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13/08/2018

C’est la faute à qui ?

 

 


 Ce vieux slogan de mai 68 « Il est interdit d’interdire » a fait des ravages dans les familles et la société tout entière. Animé de bons sentiments, on est toujours tenté par ces belles idées que sont la liberté, la tolérance et on a raison. Malheureusement bien souvent dans la réalité ces belles idées deviennent licence et permissivité. Les parents savent bien que les enfants ont besoin d’une autorité. Sans le dire les enfants la réclament. Le pire serait de leur laisser croire que la vie suivra son cours sans obstacles.

 Je crois que ces considérations valent pour les adultes. Si nous étions des anges, les lois seraient inutiles, car nous ferions passer le bien commun avant nos intérêts. Seulement voilà, nous ne sommes pas des anges. Et pour éviter que nous soyons des bêtes, des lois se sont imposées, définissant les contours d’une démocratie, un idéal pour l’humanité, un idéal. Car cette belle idée implique un combat de tous les jours, des sanctions aussi, non seulement contre ceux qui ne respectent pas la loi, mais aussi pour se garantir des appétits individuels, des tendances de chacun d’entre nous à s’accorder la meilleure part du gâteau, tendances bien compréhensibles, mais qui –étendues à la société toute entière- représentent pour elle un danger. L’idéal démocratique est à cent lieues de la permissivité et du laisser-faire qui conduisent au désordre, au chaos. Ce sont là des situations propices aux dictatures. Et là, les sanctions frappent les innocents.

 Un des fléaux qui menacent nos sociétés est cette tendance à déresponsabiliser l’individu. Les responsables ne sont plus les hommes en chair et en os, mais l’histoire, la psychologie, la misère, les quartiers défavorisés, l’illettrisme, l’immigration, la pluie, le verglas, l’alcool, le tabac, les pulsions, le père, le ça, le sexe, l’argent, le capitalisme, la première femme, l’esprit du mal, le diable…Chercher par tous les bouts une justification au délit a deux conséquences. D’abord on encourage le crime, car les délinquants savent que leurs avocats auront du grain à moudre. Ensuite, on pénalise les victimes, en prenant cet air désolé qui veut dire : on n’y peut rien, c’est la société qui est responsable. On s’en prend alors à ses représentants, à commencer par les forces de l’ordre. Un « jeune homme de 25 ans » est interpellé, et meurt en garde à vue. Les premiers soupçons se portent sur la police. L’armée des associations, médias, commentateurs, angelots et bourgeois parisiens montent au créneau. Le tohu-bohu dure plusieurs jours, avec défilés dans les quartiers devant les caméras de télé : bavure de la police.

 On apprend quelques jours plus tard que la personne décédée était un délinquant, qu’il souffrait d’une maladie cardiaque et n’était pas soigné. De ce jour, sur les ondes plus un mot.

 S’il est interdit d’interdire, tous les délits sont permis. Oui, j’exagère. Disons : tous les petits délits. D’ailleurs ce ne sont plus des délits mais des incivilités. Un mot à la mode, un euphémisme parmi d’autres, une feuille de vigne pour cacher la misère. La vraie. Celle des gens qui essuient des crachats, qui ne montent au logement qu’en baissant les yeux et en s’excusant, ceux qui se lèvent tôt quand ils ont du travail, ceux qui n’ont plus de bus faute de chauffeurs audacieux, bref les gens qui ne sont pas comme moi. Moi qui habite un pavillon tranquille à cent lieues du front, et les nouvelles qui nous en parviennent sont annoncées par des gens qui habitent un pavillon tranquille à cent lieues du front. Ces nouvelles ? Un professeur a été un peu poignardé par un élève, mais il est hors de danger, une marche silencieuse contre la violence est organisée ce matin dans ce quartier habituellement pourtant néanmoins toujours très calme. On passe au sport.

 Ce qui est à craindre, c’est qu’un jour l’ordre soit rétabli par des hors-la-loi, des gens à qui l’on n’a rien interdit, et qui en toute liberté supprimeront celle des autres. On l’a vu dans le passé.


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27/06/2018

De Paris à Ispahan

 


 Il faudrait qu’enfin les occidentaux qui prétendent faire la leçon aux autres sortent de leur petit monde : démocratie, libertés publiques, laïcité de l’école et de l’état, liberté et émancipation de la femme, instruction pour les filles, droit de changer de religion ou de ne pas croire.

 Qu’ils prennent enfin conscience que toutes ces idées leur appartiennent, qu’elles sont leur propre vision du monde et ne sont que cela. Qu’ils cessent de se poser benoîtement la question : comment peut-on être Persan ? Alors qu’ils sont eux-mêmes singuliers pour ne pas dire surprenants quand on les regarde d’Ispahan.

 Qu’ils admettent qu’il peut y avoir sur cette planète d’autres opinions, d’autres visions, d’autres façons de vivre, d’autres conceptions de ce qui est bien, de ce qui est mal !

 Ainsi parlerait mon cousin si j’en avais un. Il aurait lu Montesquieu en tenant le livre à l’envers. Allons cousin, les Lettres persanes ne sont pas un réquisitoire contre la culture d’ici. Elles sont la critique d’une posture ethnocentrique qui consiste à faire passer pour universel ce qui n’est que tradition, opinion et préjugé. Ainsi l’évocation ironique du dogme religieux, quand trois ne font qu’un, n’est pas une flèche pointée sur la religion de l’homme occidental mais sur la bouffonnerie de celui-ci quand il cesse d’être raisonnable, quand la pensée laisse le champ libre à la croyance.

 L’esprit des Lumières n’est pas ce petit monde dans lequel baignerait voluptueusement l’homme occidental. Il n’est pas non plus l’étendard de colonisateurs. Il n’est pas une bannière. Il n’est pas un modèle. Il est la pensée en exercice. Pensée qui s’interroge, qui se bat, qui s’épuise parfois. Petite flamme qui s’éteint. Pensée qui renaît et s’insurge. Pensée qui sape, pensée révoltée. Pensée combattue, condamnée, emprisonnée, torturée, brûlée. L’esprit des Lumières n’appartient à personne, il n’est d’aucun pays, il n’a pas d’hémisphère. Il est planétaire. Il appartient aux hommes et aux femmes de partout. Et bientôt aux enfants, car l’école va le transmettre, j’en suis sûr.

 

 

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08/05/2018

Programme minimum et programme maximum

 

 

 Dans un discours récent, le président de la république a réussi un tour de force. Evoquer dans un même élan l’acte héroïque du commandant Beltrame et l’impopularité d’une mesure gouvernementale: la diminution de 50€ annuels pour l’aide au logement. En y regardant de plus près, en suivant le fil de son discours, ce rapprochement n’a rien d’un raccourci. Il s’agissait pour lui de remettre les choses à leur place. Les requêtes touchant le contenu du porte-monnaie du citoyen ne peuvent faire oublier l’essentiel : les hautes valeurs nationales qui sont à l’origine de la bravoure et du sacrifice d’un français. Le but ultime de la stratégie présidentielle plaçant au-dessus de tout la grandeur de la France ne peut s’identifier aux revendications liées aux petits soucis quotidiens du peuple. On comprend la colère de l’auditeur lambda qui admira certes le geste sublime du héros, mais qui doit jongler chaque fin de mois entre le paiement du loyer, les frais de garde des enfants et tout le reste.

 Et pourtant, au deux centième anniversaire de la naissance de Karl Marx, je sais que je vais faire hurler les bobos parisiens, la boutade du président nous rappelle quelque chose : la critique que faisait le philosophe des programmes de Gotha et d’Erfurt de ces socialistes qui s’en tenaient au programme minimum, combattant pour les seules revendications salariales. Non seulement ils oubliaient le but final : la lutte pour une société mettant fin à la lutte des classes, le communisme. Mais plus encore : ils n’avaient pas compris que le combat revendicatif quotidien était indissolublement lié à celui pour l’émancipation de la classe laborieuse.

 Au-delà de la brutalité du propos, je ne pense pas que le président actuel de la France soit si peu que ce soit inspiré par le père du socialisme scientifique. Il reste que, sauf à vouloir absolument le décrier, on peut imaginer que dans son esprit les 50€ annuels pris dans le porte-monnaie du pauvre pourraient aider à résorber la dette du pays, associés bien sûr à d’autres mesures pour un temps impopulaires, pour finalement au bout du bout, comme récompense de l’effort accompli, grâce au rétablissement de la nation par sa grandeur retrouvée, rendre à chacun de ses membres ce qui leur est dû, au centuple.

 

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