01/12/2020
Y a-t-il encore la possibilité d’un jardin secret ?
Il sera bientôt difficile de trouver quelqu’un à qui parler car ce ne sont plus des êtres humains qui nous entourent, mais des communautés. Quand elles ont un nom, c’est celui de leurs ancêtres, de leur fratrie, de leur village, de leur pays, de leur ethnie, de leur peuple, de ses souffrances, de ses guerres, de ses soulèvements, de ses sacrifices, de son histoire, de ses légendes, de sa mythologie. La personne humaine s’efface derrière le groupe, la famille, la « tribu ». La question existentielle se réduit à « d’où vient-on ? ». C’est le règne des généalogies, chacun y va de son arbre. Plus on remonte dans le temps plus on est fier, si on décroche un roi ou une reine, sait-on jamais parmi la multitude des ancêtres, y aurait-il ce héros dont le pauvre généalogiste perdu au bout de la chaîne aurait encore dans les veines une goutte de sang ? Depuis plusieurs années cette folie a franchi la porte des écoles.
Au lieu de s’extasier sur des enfants parce qu’ils viennent d’ailleurs, l’éducation nationale ferait mieux de les aider à se construire comme futurs citoyens d’une république dont les besoins en intelligence et ouverture d’esprit sont insatiables. Qu’on s’intéresse un moment à un petit africain pour savoir comment il est arrivé là, qu’est-ce qu’il sait, ce qu’il peut apporter à ses camarades de classe, d’accord. Mais il faut s’intéresser aussi à tous les autres, car l’ailleurs n’est pas une question de continent et de kilomètres. Pour le petit citadin qui n’a connu que le centre ville, celui qui vient de la campagne ne vient-il pas de loin, d’un monde qu’il ne connaît pas, ne peut-il lui-même pour ses camarades être une source de richesse ? Et puis même, pour deux citadins, deux de la campagne, deux d’outre-mer ou deux des antipodes y a-t-il nécessairement une similitude simplement parce qu’ils sont originaires du même lieu ? C’est une idée fausse car elle suppose que la personnalité de chaque individu est réductible à son origine, à son environnement, à son milieu social. C’est ignorer l’extraordinaire capacité du genre humain à distendre et rompre le lien avec le milieu dans lequel il évolue. C’est une idée dangereuse car, en identifiant les individus selon l’origine, elle conduit au mépris des gens qui ne sont pas nés ici. Et au racisme, pour lequel la pureté de la race s’altère au fur et à mesure qu’on s’éloigne de « chez soi ». C’est la fameuse boutade « je suis plus proche de mon frère que de mon cousin, de mon cousin que de mon voisin, de mon voisin que de l’étranger… » et pourquoi pas « plus proche de l’étranger blanc que du noir ou du jaune » ! Ou inversement.
Il faudra qu’un jour celle ou celui qu’on interroge substitue le « je » au « nous ». Cerveau, sensibilité, corps humain, force physique ne sont pas donnés en partage, ils sont bien propres à chacun. Pourquoi la pensée ne le serait-elle pas ? Pourquoi un être humain serait-il condamné à penser comme ceux de sa parenté ou de son voisinage ? Le communautarisme confirme par l’absurde le cogito cartésien. Les autres pensent en moi, donc je n’existe pas.
Certes penser implique un effort et du courage. Mais pourquoi s’interdire de permettre à chacun d’évoluer librement, quitte à rejoindre le point de vue d’un autre, mais suite à une réflexion, en respectant son libre arbitre ? C’est ce dernier, le libre arbitre que certaines théories sociologiques désirent absolument mettre de côté. N’est-ce pas devenu aujourd’hui une banalité d’entendre que la personnalité de chacun est la résultante de mille facteurs, milieu social, ethnie, rôle du père, sexe ? Faire une tambouille de tout cela pourrait nous donner une idée de ce que nous sommes ? Non vraiment, si la sociologie et la psychanalyse ont apporté leur contribution à la connaissance de l’humain, elles n’ont toujours pas répondu à la question de savoir QUI nous sommes, qui JE suis.
Quand on aura dressé la liste de toutes les forces qui expliquent et déterminent nos actions, quand on aura évoqué Dieu, le destin, les commandements, l’éducation, le rôle du père, les leçons de morale, l’inconscient, l’adhésion à un parti, l’appartenance à un groupe ou une communauté, l’argent et la cupidité, la crainte de la sanction, la mode, l’idéal du moi, le ça, toutes les pulsions imaginables et les plus indomptables, quand on aura décidé -car c’est maintenant dans presque tous les cerveaux et les traités des penseurs - qu’en dernière analyse c’est l’être social qui détermine la conscience, il restera encore au fond de chaque être humain une part irréductible de liberté. Sinon comment expliquer que dans les pires conditions de vie, menaces, souffrance, enfermement, torture, des femmes et des hommes ont pu se taire, résister, rester fidèles à leur conviction ? Comment expliquer même, à un degré moindre, le fait que nos actions sont parfois imprévisibles, comme si rien, aucune cause ne pouvait les expliquer sinon le libre-arbitre ?
N’est-ce pas dans cette direction, au-delà de tous les courants et des influences, qu’il faut découvrir toute l’originalité et la beauté de la condition humaine ?
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18:56 Publié dans libre pensée | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : communauté, individu, libre arbitre
30/04/2020
Politic art
Ce qui est lassant dans la vie politique, c’est d’entendre le pouvoir dire toujours la même chose, et l’opposition dire toujours le contraire de la même chose. Que vienne donc le temps où le pouvoir nous surprendra, aurons-nous du même coup la joie d’entendre l’opposition constater qu’enfin celui qui tient entre ses mains la destinée du pays ne tient pas ses promesses !
Mais ce n’est qu’un rêve. L’opposition existe parce qu’elle s’oppose. Imaginez-vous le plus rebelle des opposants souhaiter la réussite de son pays quand celui qui préside n’est pas de son parti ? On peut même supposer qu’il attend avec délectation la pire crise possible si cela confirme le bien-fondé de son programme politique.
Autant que l’exercice du pouvoir, celui de l’opposant est un travail, presque un métier. Savoir se taire quand la décision prise est la bonne, en évitant le compliment, attendre les difficultés et intervenir en évitant les gros mots, en prenant la posture d’un sage qui, s’il était en position de décider, saurait résoudre les problèmes.
Mais voilà, l’opposant n’est pas en position de décider et c’est sa première qualité : tous les problèmes de la terre s’évanouissent car ce qui est proposé est d’autant plus beau qu’il n’y a pas d’incidence sur le réel. A l’opposé du vœu de Platon, c’est dans l’opposition que le philosophe fait son nid. Pour une pensée idéaliste, belle et séduisante, parfois mise en musique par des bateleurs qui savent vous vendre deux idées pour le prix d’une.
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17:44 Publié dans libre pensée | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pouvoir, opposition
15/12/2019
S’opposer oui, mais dans quel but ?
Il vous est sans doute arrivé, par curiosité parce que vous vous intéressez à la vie politique, de jeter un œil sur les titres des gazettes qui défendent des points de vue extrêmes. Enflammés, les titres de leur une mettent violemment en cause le pouvoir, les pouvoirs, gouvernement, force publique, médias et jusqu’aux institutions républicaines. Jusque là rien d’étonnant, surtout en des moments où le peuple lui-même est en souffrance. Car ces gens, outre le fait d’être radicaux, sont de grands séducteurs. Ils ont perpétuellement quelque chose à préparer : un rassemblement, une manifestation, une pétition à faire signer, un parti à construire. Et pour atteindre ces objectifs, il leur faut des fidèles. Dans leurs commentaires de l’actualité politique, ils sont nécessairement amenés à forcer le trait. En temps normal, quand règne la paix sociale, ils rencontrent peu de succès. Mais quand le ciel social se couvre de gros nuages lourds, les gens –d’abord ceux à qui la société ne fait jamais de cadeaux- tendent l’oreille. Et ce qu’ils entendent suscite la colère. Comme celle-ci n’est jamais bonne conseillère, des gens habituellement calmes et réfléchis se laissent entraîner à croire que le saccage et le pillage de magasins, la profanation d’un monument symbolique de la victoire sur le nazisme, le développement des trafics en tout genre, le déferlement des violences dans les banlieues, et jusqu’à l’effondrement d’un pont, c’est à la fin des fins le pouvoir en place qui en est responsable. On se demande même si ce crachin détestable qui tombe depuis quelques jours, le gouvernement lui-même n’y est pas pour quelque chose.
Mais là non.
Car dans ces gazettes, même en tournant les pages dans tous les sens, il n’y a pas la moindre trace de prévisions météo. Encore que. Quand le sujet du temps (qu’il fait) est abordé, c’est toujours avec le sous-entendu que la banquise étant en train de fondre, le réchauffement est général, le climat change. Allez savoir si le crachin détestable n’est pas la conséquence d’une suite tout à fait logique de phénomènes dont l’origine pourrait bien être cette complaisance du pouvoir en place vis-à-vis des lobbies capitalistes du pétrole, du charbon et compagnie ? Si on ne vous annonce pas le temps qu’il fera demain, on ne manque pas d’alarmer le peuple sur les catastrophes à venir si…si…si…
Et là se justifient les rassemblements, les manifs, les pétitions, peut-être même aussi les violences, car la vraie, la seule violence condamnable n’est-elle pas celle de la force publique aux ordres des méchants qui nous gouvernent ? La boucle est bouclée. Nous sommes au cœur du dogme. Rien à redire. Pas de questions. Tout est politique. Le grand soir approche. Tout sera réglé.
Pas tout à fait cependant. Une explication fait défaut dans ces gazettes. A force de lire que tout va de mal en pis, on se prend à espérer jusqu’à la dernière page. Une lumière, peut-être le bout du tunnel ? Mais non rien. Il y a certes des articles bien écrits, argumentés. Mais jamais, jamais vous entendez, jamais on ne vous dresse un tableau de la société que ces gens appellent de leurs vœux. C’est dommage, car les humains que nous sommes, toujours prêt à croire tout ce qu’on nous raconte, seraient j’en suis certain, bien empressés de la préparer pour nos enfants !
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18:42 Publié dans libre pensée | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : société future, opposition systématique