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30/04/2009

Ilan pour mémoire

 

 Dans « Actualités Orange », un article sur l’ouverture du procès de Youssouf Fofana et des vingt-six autres accusés pour séquestration, torture et meurtre de Ilan Halimi :

 

 « Dans la salle des pas perdus, une petite trentaine de très jeunes juifs insultent des personnes qu'ils supposent être des proches des accusés. Quand la mère de Fofana sort de la salle, ils la poursuivent et la huent, débordant les forces de l'ordre. A l'extérieur du palais, un petit groupe hurle "Justice pour Ilan" ou "Fofana salaud". »

 

Pourquoi dire « de très jeunes juifs insultent... » ? Dire « des gens », « des jeunes » ou « de très jeunes gens » aurait été suffisant pour faire comprendre au lecteur que ces insultes étaient de trop. Résultat dans les commentaires, un lecteur qui semble de bonne foi admet que le principal accusé :

 

« …est un malade, mais (que) les juifs qui ont insulté les parents ne valent pas mieux… »

 

Passons sur la comparaison audacieuse entre des insultes d’une part et la mort d’un homme suite à une longue séquestration et des tortures, d’autre part. Là n’est pas mon propos aujourd’hui.

 

Pour le reste, cet internaute a bien raison quand il ajoute :

 

« …quand aux médias, continuez comme ça et vous ne ferez que mettre de l’huile sur le feu de l’antisémitisme »

 

§

 

A la radio, maintenant, sur le même sujet, la commentatrice présente Fofana, un homme obsédé par l’argent : « …de là… »  DIT-ELLE, son idée de s’en prendre à un juif !  Attention, c’est une journaliste professionnelle qui parle, ce n’est pas Fofana ! Elle nous dit : argent… de là…juif !

 

 La boucle est bouclée, tout le monde le sait, pas seulement Fofana et sa bande : les juifs sont riches. C’est logique que ces barbares s’en soient pris à un juif, puisque ces gens-là sont riches…

 

 Un poncif vieux comme le monde, auquel des Barbares historiques avaient ajouté le nez crochu, les griffes, le gros ventre, l’air sournois, et pourquoi pas le germe de  la peste noire. Et cela est dit sur un ton bon enfant à une heure de grande écoute (le matin à 8 heures).

 

 Il y a un débat chaque jour vers midi. A ma connaissance, aucun auditeur n’a relevé ce dérapage. Mais est-ce vraiment un dérapage ? Je commence à en douter dans ce pays où les criminels ont plus que les victimes droit à la parole, où l’antisémitisme est de plus en plus considéré comme une idée absurde et malvenue, alors que c’est un délit.

 

§

 

 

 

26/04/2009

Prétextes

 

 

« Je veux que chaque juif vive dans la peur, sauf s’il est pro-palestinien..." 

 

Je sais qui a tenu ces propos, là n’est pas la question, ils sont à la portée de tous sur les écrans, ils peuvent faire la joie des imbéciles, ils doivent indigner les autres. En tous cas, ils font réfléchir. Car la question a été mise à l’ordre du jour il y a mille ans et plus, bien avant le déclenchement du conflit au Proche-Orient.

 

 En gros et pour faire court : tous les prétextes (1) sont bons pour faire du juif le responsable de tous les malheurs du monde. Accusé de tout et de son contraire : propagateur de la peste noire (2), usurier, détenteur du capital, apôtre du communisme, responsable du chômage, dissimulateur, errant, il est nulle part et partout, cosmopolite, comploteur (3), il porte un nom bizarre en tous cas pas de chez nous. C’est en Allemagne dans les années trente qu’il fut le plus représenté. Je veux dire en images, avec un nez crochu, des griffes au bout des doigts qui enserraient le monde. C’étaient des caricatures bien sûr, qui curieusement, à l’époque n’ont pas indigné grand monde. Le personnage a rendu bien des services à plein de gens : aux dirigeants et actionnaires des groupes industriels, surtout ceux qui produisaient le matériel de guerre,  producteurs aussi de fil de fer barbelé et de produits chimiques, aux politiciens d’alors qui s’appelaient « nationaux-socialistes » et qui avaient à cœur de rendre leur patrie aux âmes bien nées, aux gens du terroir, aux gens du cru (4). Bref, si le juif n’avait pas existé, il aurait fallu l’inventer. C’est d’ailleurs ce qui a été fait : des millions de gens, d’enfants surtout, ont appris qu’ils étaient juifs. Des gens qui n’avaient jamais posé le pied dans une synagogue apprenaient qu’ils étaient juifs. Des gens qui ne savaient pas ce que c’était apprenaient qu’ils l’étaient. Les autorités d’alors se montrèrent sur ce sujet extrêmement minutieuses, jusqu’à effectuer des recherches généalogiques compliquées. Quand je dis « les autorités », j’entends des deux côtés du Rhin. Voyez, on critique toujours la nonchalance des Français en montrant l’exemple allemand, sa rigueur, son goût pour l’ordre et les choses bien faites, eh bien le « Made in France » existe aussi, du moins il existait dans les années quarante.

 

 Mais revenons à l’Allemagne : j’éprouve le plus grand respect pour les survivants du génocide et les parents des victimes du nazisme qui n’éprouvent aucun ressentiment vis-à-vis de l’Allemagne et de ses ressortissants. Ces gens ont su, malgré leur souffrance, ne pas confondre des criminels –même s’ils étaient des millions- avec un peuple tout entier, ils ont su ne pas joindre leur voix à ces exhortations xénophobes du style « à chacun son boche » proférées bien souvent par des résistants de la dernière heure. Ces hommes qui ont froidement planifié la mort de six millions de personnes, qui ont brûlé des villages, répandu la mort sur un continent, ces hommes n’étaient pas LES Allemands. Et s’il n’y avait eu dans ce pays qu’un innocent, on ne pourrait encore pas dire LES Allemands. En fait, il y en eut plus d’un, et des résistants, de grands résistants. Buchenwald a vu torturer et mourir un militant, dirigeant du parti communiste allemand, spécialiste en électronique, et qui a collaboré à la construction des engins V2, mettant au point un système qui les rendait inefficace et les détournait de leur objectif : Londres. C’est lui aussi qui fit parvenir aux Alliés le plan de situation de l’usine d’armement sise à proximité du camp de Buchenwald, et qui permit son bombardement. Il s’appelait Albert Kuntz. Ce même camp, comme celui de Dachau, avait été construit depuis le début des années trente par des esclaves allemands, des opposants au régime nazi, des sociaux-démocrates, des communistes, des démocrates, des syndicalistes.

 Juger les Allemands ? Les peuples ne sont responsables de rien. La responsabilité est toujours individuelle, parce que les hommes sont faits ainsi : ils sont libres. Libres de dire oui, de dire non, et cela n’a rien à voir avec leurs gênes, leur origine, ni les ancêtres de leurs ancêtres.

 

J’ai donc lu cette phrase :

 

« Je veux que chaque juif vive dans la peur, sauf s’il est pro-palestinien... » 

 

Imaginons le pire. Un Israël super-puissant, sur-armé, à la conquête d’un espace vital sans limites. Une guerre éclair préparée de longue date, des centaines de milliers de chars de Tsahal sur-équipée roulent sur l’Orient. Liban, Syrie, Jordanie, Irak, Iran sont laminés. L’Egypte se rend. En véritables renards du désert, les stratèges israéliens traversent la Libye, et ne rencontrent que peu de résistance sur la longue route du Maghreb dont les gouvernements sont en exil. Cap sur l’Europe : bombardements intensifs des sites stratégiques, l’aviation israélienne est maîtresse du ciel. Les troupes suivent. Petite résistance en Italie au Mont Cassino vite neutralisée. Pour éviter les Alpes (les Français plus malins que les autres ont bouché les tunnels de Fréjus et du Mont Blanc), Tsahal prépare un débarquement gigantesque sur les plages du Midi. Le Haut-commandement français n’est pas pris au dépourvu : des obstacles de toutes sortes sont disposés sur le sable : tétraèdres anti-chars, pieux sur lesquels sont disposées des mines –dits pieux Alliot-Marie- et sur la corniche, des batteries et canons à longue portée. C’est sans compter sur la puissance de feu des destroyers israéliens. En quelques heures, la mer Méditerranée est noire de navires, sans compter les sous-marins. Les défenses françaises sont dépassées. Par milliers, les barges d’attaque déchargent des milliers de soldats, des half-tracks, des chars d’assaut, des canons et tout un matériel nécessaire à l’occupation d’un pays, que dis-je d’un continent ! En quelques jours, la France est sous la botte. Un exode massif vers le nord s’avère bien vite inutile. Tsahal est plus rapide, et ses avions n’hésitent pas à mitrailler ces colonnes de pauvres gens qui ont tout laissé et s’épuisent sur les routes. Et ce qui devait arriver arrive. Un beau matin, les parisiens ébahis sont réveillés par des bruits de chenilles métalliques puis le choc de bottes sur le pavé : les loups sont entrés dans Paris et l’étoile de David flotte sur la Tour Eiffel.

 

 Si ce cauchemar devenait réalité, si l’armée israélienne se rendait maîtresse de la France, de l’Europe et du monde -vous avouerez que c’est quand même autre chose qu’une offensive sur la bande de Gaza- aurait-on le droit de souhaiter –comme on a pu l’entendre dans les rues de Paris il y a quelques mois- la destruction de l’état d’Israël ? 

 

 La folie meurtrière d’un gouvernement nous autoriserait-elle à maudire un peuple ?

 

 Vouloir que chaque israélien vive dans la peur ? Y aurait-il un cas pour lequel la haine d’un innocent deviendrait légitime ?

 

 Je doute que celui qui haït à ce point un peuple puisse en aimer un autre, fut-il Palestinien.

 

 Quand à vouloir que chaque juif vive dans la peur, celui qui a dit cela ne le pensait pas, si c’est un homme.

 

§

 

 

 

(1) fausses raisons mises en avant ;

 

(2) Léon Poliakov cite Boccace : « Privés des secours du médecin, sans l’aide d’aucun domestique, les pauvres et malheureux cultivateurs périssaient avec leurs familles le jour, la nuit, dans leurs fermes, dans leurs chaumières isolées, dans les chemins et jusque dans leurs champs… » 

 De 1347 à 1350 la peste noire faucha plus d’un tiers de la population de l’Europe.

 Les esprits s’interrogeaient, pourquoi ce fléau ?

« Il s’agissait soit d’un châtiment divin, soit des maléfices de Satan, soit de l’un et des autres à la fois, Dieu ayant donné licence entière à son antagoniste pour châtier la Chrétienté. Satan, dans ces conditions, opérait suivant son habitude à l’aide d’agents qui polluaient les eaux et empoisonnaient les airs, et où pouvait-il les recruter sinon au sein de la lie de l’humanité, parmi les miséreux de toute espèce, les lépreux –et surtout parmi les juifs, peuple de Dieu et peuple du Diable à la fois ? Les voici promus, à grand échelle, à leur rôle de boucs émissaires… » (Poliakov)

 S’ensuivirent expulsions, pillages, massacres, à tel point écrit l’auteur, que dans certaines villes où les juifs étaient rares ou absents, « des chrétiens qu’on supposait d’origine juive furent, semble-t-il, massacrés à leur place. »

 

(Léon Poliakov .-Histoire de l’antisémitisme, tome 1, L’âge de la foi, éd. Calmann-Lévy, 1981, pp. 290-294 de la coll. Pluriel)

 

(3) le thème du « complot juif mondial » n’en est pas resté aux traditionnels Protocoles des Sages de Sion :

« La désastreuse puissance du sionisme juif ne vise pas seulement l’occupation de la Palestine, mais occupe en fait tous les pays de l’Occident, l’économie mondiale, les médias et les organisations internationales et régionales. Il est possible que les sionistes entreprennent de judaïser le christianisme. Cette judaïsation a commencé avec Saint-Paul et s’est poursuivie avec certains papes judaïsés. Aujourd’hui nous sommes arrivés à une situation où le chef de l’Eglise de France est un juif appelé Lustiger. »

 

(Ahmed Rami, in Al-Shaab du 6 février 1998, cité par Goetz Nordbruch .-La négation de la Shoah dans les pays arabes, in Antisémitisme et négationnisme dans le monde arabo-musulman : la dérive)

 

(4) Brassens : La ballade des gens qui sont nés quelque part ;

12/04/2009

Innocents

 

 Après tout il est bien possible que le dessin d’une croix gammée sur le wagon et la stèle du mémorial de Drancy soit l’œuvre

 

d’un déséquilibré,

d’un jeune désœuvré ayant un peu bu,

d’un pauvre homme à qui des faibles esprits avaient monté le bourrichon,

d’un être inculte et ignorant l’histoire de France,

d’un adolescent en mal de vivre,

d’un chômeur en fin de droit,

d’un immigré sans papiers, sans ressources, sans toit, sans rien,

d’un désespéré s’adressant au monde et lui disant : « Moi aussi je souffre ! »,

d’un jeune homme amoureux délaissé par sa compagne,

d’un être ordinaire cherchant la célébrité sous les caméras de surveillance,

 

bref, il est bien possible que le dessin d’une croix gammée sur le wagon et la stèle du mémorial de Drancy soit l’œuvre d’un innocent.

 

Ces profanations qui se répètent et semblent s’intensifier ont toujours pour auteurs (quand ceux-ci sont identifiés et jugés) des gens

 

qui ne savaient pas,

qui n’avaient pas conscience de leurs actes,

qui avaient quitté trop tôt l’école,

qui avaient eu une jeunesse malheureuse,

qui avaient été battus par leur père et même pire,

qui avaient de mauvaises fréquentations,

qui étaient en mal de ceci, en mal de cela,

qui avaient passé des heures devant l’écran de leur ordinateur,

qui avaient tout confondu, image violente et violence réelle,

qui vivaient mal dans une banlieue défavorisée,

qui avaient été séduits, puis sans le savoir, enrôlés, embrigadés,

 

bref, ces profanations qui se répètent et semblent s’intensifier ont toujours pour auteurs des gens qui n’étaient responsables de rien, vous savez comme ces gardes-chiourmes, ces Kapos dans les camps qui, après la guerre se défendaient en disant  que les ordres venaient d’en haut, qu’ils n’étaient que le dernier maillon d’une chaîne infernale, qu’ils ne pouvaient agir autrement.

 

 Les innocents, les vrais, n’étaient plus là pour parler.

 

 Ici-bas les commentaires vont bon train. J’ai lu des choses abominables :

 

« Qu’on cesse de nous casser les pieds avec le génocide. »

« Depuis des millénaires il y en a eu des milliers, pourquoi s’attarder sur celui-ci ? »  

« Arrêtez de ressasser le passé, il y a d’autres problèmes plus graves qu’un dessin à la peinture sur un wagon. »

« On s’indigne pour une croix gammée, pendant ce temps il y a des milliers de Palestiniens qui sont massacrés. »

 

 Non, je plaisante, tout ceci est le fruit de mon imagination, d’ailleurs, je n’ai pas cité mes sources…il n’y en avait pas.  Personne n’oserait dire ou même penser de telles sottises.

 

 Bon, allez, je veux bien croire que l’auteur de cette profanation ne savait pas ce qu’il faisait. Le maire a fait effacer ces offenses. Elles laisseront une trace dans la mémoire de ceux qui dans ce pays en ont une, sont allés à l’école, connaissent l’histoire et surtout, ont un cœur.

 

 Au Mémorial de la Shoah à Paris, il y a des noms gravés sur un mur, les noms de soixante-seize mille innocents dont soixante-sept mille sont partis de Drancy.

 

§