07/03/2010
Le livre noir du communisme
Depuis 1994, la fuite des balseros embarqués sur des coquilles de noix (balsas, radeaux de fortune) n'a pas cessé.
« Castro a aussi tenté de freiner ces fuites en envoyant des hélicoptères bombarder les frêles embarcations avec des sacs de sable. Près de 7000 personnes ont péri en mer au cours de l'été 94. Au total on estime qu'un tiers des balseros sont morts au cours de leur fuite. En trente ans, près de 100.000 cubains ont tenté l'évasion par mer. Au total les divers exodes font que Cuba compte actuellement 20% de ses citoyens en exil. »
d'après Le livre noir du communisme.- Stéphane Courtois, Nicolas Werth, Jean-Louis Panné, Andrzej Paczkowski, Karel Bartosek et Jean-Louis Margolin édité chez Robert Laffont, 1997.
A prendre donc avec des pincettes, car on se doute bien que de tels ragots ne peuvent avoir été répandus que par la CIA et l'impérialisme international. Ceux qui désirent être informés objectivement de la réalité cubaine auront recours à la littérature communiste officielle, cela va sans dire.
D'ailleurs, les touristes français de retour de Cuba sont toujours enchantés de leur voyage. Ce n'est pas une preuve, ça, de la bonne santé du régime castriste ? Si toutefois la vie du peuple cubain n'est pas à l'image de ce que le Guide avait promis, n'est-ce pas à cause des privations engendrées par le blocus de l'impérialisme américain ?
Anticommunisme primaire, encore et toujours. Preuve en est, ce même « livre noir » nous invente des crimes qui auraient été perpétrés par Staline, y compris contre des membres de son propre parti ! Sans parler de prétendus millions de morts suite à des déportations massives d'innocents dans des camps sibériens... Des révoltes ouvrières auraient secoué les démocraties populaires en 1953, 1956, 1968, révoltes qui d'après ces mêmes auteurs auraient été écrasées par l'armée rouge ! Mais où vont-ils chercher tout ça ?
Intrigué par ces catastrophes décrites avec une précision d'horloger dans ce gros pavé (1094 pages ! en Pocket) avec force crimes, terreur et répression, et chiffres, bien sûr, chiffres, nombre de victimes du communisme depuis 1917 jusque dans les années 90 et sur quatre continents, je me dirigeai vers l'encyclopédie en ligne Wikipedia.
Le livre noir du communisme y est présenté en détail (1), ainsi que les polémiques qu'il a suscitées.
Trois niveaux de critiques :
1/ le nombre des victimes surévalué;
2/ l'idéologie communiste jugée seule responsable ;
3/ la similitude établie entre crimes communistes et crimes nazis ;
1/ Les chiffres d'abord.
Stéphane Courtois calcule pays par pays (en millions de morts):
- URSS 20
- Chine 65
- Vietnam 1
- Corée du nord 2
- Cambodge 2
- Europe de l'est 1
- Amérique latine 0,15
- Afrique 1,7
- Afghanistan 1,5
- autres 0,01
pour un total d'environ 94 millions de morts que l'auteur arrondit à 100.
Pour Nicolas Werth et Jean-Louis Margolin co-auteurs du livre (Le Monde du 14 novembre 1997), il s'agit d'
« un chiffrage des victimes du communisme abusif, non clarifié (85 millions ? 95 ? 100 ?), non justifié, et contredisant formellement les résultats des coauteurs sur l'URSS, l'Asie et l'Europe de l'Est (de leurs études, on peut tirer une « fourchette » globale allant de 65 à 93 millions ; la moyenne 79 millions n'a de valeur que purement indicative). »
Pour N. Werth il y aurait eu quinze millions de victimes en URSS (et non pas 20) ;
J.-L. Margolin explique « qu'il n'a jamais fait état d'un million de morts au Vietnam », On ne lit nulle part ce chiffre en effet. Page 808, il est question de 500.000 à 1 million de « rééduqués ». Certes, vu les conditions de détention (p.809) : soins médicaux minimes, sous-alimentation, entassement, violence des châtiments, climat tropical, manque d'aération, odeurs insupportables, maladies de peau...il est probable que le nombre de victimes fut très important. A ce propos, il est intéressant de souligner que les victimes ne sont pas exclusivement des « traîtres »: il y a aussi des membres du FNL et des communistes (originaires du sud capitaliste) (2).
Certes, comme l'écrit Laurent Joffrin (Libération, 17 décembre 1997) :
« la contestation des chiffres est dérisoire : à 50 ou 60 millions de morts au lieu de 80, le communisme deviendrait-il présentable ? »
2/ l'idéologie communiste jugée seule responsable ;
Pour Jean-Louis Margolin :
« Même si le terreau communiste peut aboutir aux crimes de masse, le lien entre doctrine et pratique n'est pas évident, contrairement à ce que dit Stéphane Courtois »
Le lien entre doctrine et pratique : ne pas confondre la doctrine communiste et les applications qui en ont été faites. Ayant été moi-même trotskyste, je crois bien connaître les arguments qui justifient cette thèse :
1/ La révolution d'Octobre s'est faite dans un pays arriéré, non encore industrialisé, épuisé par la guerre et qui plus est, après l'échec de la révolution allemande, isolé = voici comment on justifie la prise du pouvoir par un parti ultra minoritaire, la guerre civile, les réquisitions, la répression des soulèvements, même populaires, le bâillonnement de l'opposition, le parti unique et la dictature ;
2/ Ne pas confondre communisme et stalinisme : Staline comme représentant d'une caste bureaucratique qui a usurpé le pouvoir, est le fossoyeur de la révolution bolcheviste.
« Les masses ouvrières affamées, incultes, saignées, n'ayant pas la possibilité de contrôler l'état prolétarien, perdent les moyens de ce contrôle. Ceux qui gèrent deviennent des bureaucrates qui s'élèvent désormais au-dessus des masses et constituent une « caste » privilégiée « administrant » contre le prolétariat et les masses paysannes, les conquêtes d'Octobre. » (3)
Les thèses de Marx, Engels et Lénine ne seraient donc aucunement en cause dans les crimes perpétrés en URSS et dans les démocraties populaires : pour les trotskystes, Staline et la bureaucratie soviétique seraient seuls responsables.
Courtois répond en citant Léon Blum à Tours en 1920, s'adressant à ses camarades socialistes qui allaient fonder le PCF :
"Votre dictature (en URSS, NDLR) n'est plus la dictature temporaire. (...) Elle est un système de gouvernement stable, presque régulier dans votre esprit. (...) C'est dans votre pensée un système de gouvernement créé une fois pour toutes. (...) Vous concevez le terrorisme comme moyen de gouvernement."
Si Jean-Louis Margolin entend séparer la doctrine de son application sur le terrain, il faut bien reconnaître que nulle part dans les œuvres de Marx et Engels il n'est question d'un appel au crime. Par contre, toute l'histoire n'ayant été -d'après Marx- qu'une histoire de luttes entre les classes, il était logique de penser que le passage au socialisme ne pût se faire que par l'instauration d'une dictature (la dernière) de la classe dont la libération devait coïncider avec celle de l'humanité tout entière : la dictature du prolétariat. Nombre de pourfendeurs de la thèse du livre noir argumentent dans ce sens. On ne fait pas d'omelette sans casser des œufs, les révolutions connaissent toutes des périodes de terreur, c'est inéluctable. La faute à qui ? A la classe des exploiteurs, accrochée qu'elle est au capitalisme, garant de la pérennité de ses privilèges. Et cela nous conduit à mieux comprendre l'objection de Jean-Louis Margolin :
« Cela [l'analyse de Stéphane Courtois] revient à enlever son caractère historique au phénomène. »
Ainsi, Gilles Perrault demande pourquoi Nicolas Werth n'évoque pas « l'interventionnisme étranger acharné à juguler la jeune révolution bolchevique ? »
Faux. Troisième chapitre. La terreur rouge. Page 103 et suivantes, il est bien question de la mise en cause de la révolution par l'interventions de troupes étrangères :
« Jamais les bolcheviks n'avaient senti leur pouvoir aussi menacé qu'autour de l'été 1918. Ils ne contrôlaient en effet plus guère qu'un territoire réduit à la Moscovie historique, face à trois fronts anti-bolcheviks désormais solidement établis : l'un dans la région du Don, occupée par les troupes cosaques de l'Ataman Krasnov, et par l'armée blanche du général Denikine ; le deuxième en Ukraine aux mains des Allemands et de la Rada (gouvernement national) ukrainienne ; le troisième le long du transsibérien où la plupart des grandes villes étaient tombées sous la coupe de la légion Tchèque, dont l'offensive était soutenue par le gouvernement socialiste révolutionnaire de Samara. »
Non seulement Nicolas Werth n'escamote pas l'interventionnisme étranger, mais, et c'est tout l'intérêt de ce livre, il révèle des événements extrêmement importants qui eurent lieu à l'intérieur même du « champ de bataille » : le jeune pouvoir bolchevik fut mis en difficulté à l'intérieur du pays par des révoltes et l'insoumission de pans entiers de la population.
« (...) près de cent quarante révoltes et insurrections de grande ampleur éclatèrent durant l'été 1918 ; les plus fréquentes étaient le fait de communautés paysannes refusant les réquisitions menées avec brutalité par les détachements de ravitaillement, les limitations imposées au commerce privé, les nouvelles mobilisations de conscrits pour l'Armée Rouge. Les paysans en colère se rendaient en foule à la ville la plus proche, assiégeaient le soviet, tentant parfois d'y mettre le feu. Généralement les incidents dégénéraient : la troupe, les milices chargées du maintien de l'ordre et, de plus en plus souvent les détachements de la Tcheka n'hésitaient pas à tirer sur les manifestants. » (4)
(J'imagine les hurlements des communistes et de l'extrême gauche aujourd'hui si Sarkozy envoyait la troupe tirer sur les paysans en colère, eux qui jugent liberticide une loi interdisant aux enfants non accompagnés de sortir la nuit... Bon, un peu d'humour ne fait pas de mal dans ce monde de brutes ! Je me reprends...)
Outre le fait qu'il est curieux qu'une révolution populaire soulève contre elle le peuple lui-même, on est en droit de s'étonner qu'une révolution populaire ne doive sa survie qu'à une violation flagrante des droits de l'homme : l'auteur rapporte les propos de Lénine (adressé au Comité exécutif du soviet de Penza):
« Camarades ! Le soulèvement koulak dans vos cinq districts doit être écrasé sans pitié. Les intérêts de la révolution tout entière l'exigent, car partout la « lutte finale » avec les koulaks est désormais engagée. Il faut faire un exemple.
1/ Pendre (je dis pendre de façon que les gens le voient) pas moins de cent koulaks, richards, buveurs de sang connus.
2/ Publier leurs noms.
3/ S'emparer de tout leur grain.
4/ Identifier les otages comme nous l'avons indiqué dans notre télégramme hier. Faites cela de façon qu'à des centaines de lieues à la ronde les gens voient, tremblent, sachent et se disent : ils tuent et continueront à tuer les koulaks assoiffés de sang. Télégraphiez que vous avez bien reçu et exécuté ces instructions. Vôtre, Lénine. » (5)
3/ la similitude établie entre crimes communistes et crimes nazis ;
S'il s'agit d'une compétition visant à évaluer le nombre de morts dans les deux camps, non seulement je ne vois aucun intérêt à la chose, mais cette réduction à deux camps me paraît illégitime. Pourquoi ne pas évoquer cette boucherie qui entre 1914 et 1918 a ravagé l'Europe tout entière ? Le capitalisme n'en est-il pas responsable ? Et les massacres et génocides en Amérique, en Afrique, en Asie, les pays colonisateurs n'en sont-ils pas responsables ?
Foin des statistiques, le problème n'est pas là. C'est même un terrain dangereux. Certains esprits mal intentionnés pourraient disculper les nazis d'avoir déporté, torturé et exterminé moins de personnes que n'en a tuées la guerre de 14.
Il serait plus pertinent -et éducatif-, mettant de côté les chiffres, de montrer comment chacun des deux systèmes, le fasciste et le communiste, ont réussi à museler des peuples, à supprimer toutes les libertés, à dénoncer, à déporter, à tuer des populations entières. Le Livre noir n'aborde cette question que du côté communiste, j'y reviendrai ultérieurement sur ce blog.
Ces quelques mots de Nicolas Werth (un des auteurs du livre) font réfléchir :
« le crime est certes une composante essentielle [du communisme], mais le mensonge qui a permis l'occultation de la terreur me paraît plus central que le crime lui-même. » (6)
L'occultation de la terreur, le nazisme ne l'a réussie que partiellement, et les efforts des négationnistes, islamistes et néo-nazis d'aujourd'hui ne sont rien d'autre que pitoyables.
Il en va tout autrement des crimes du communisme qui ont été cachés au monde pendant plusieurs dizaines d'années. Le mensonge en a effectivement été une composante essentielle. Comment ce mensonge a-t-il été possible ? J'y reviendrai.
- (1) Le livre noir du communisme, un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
- (2) Qu'on se rappelle le traitement qui avait été infligé par Staline aux soldats soviétiques de retour d'Allemagne.
- (3) Pierre Foulan.- Introduction à l'étude du marxisme, in Documents de l'Organisation Communiste Internationaliste n°4, date d'édition non précisée, début des années 80?
- (4) L.M.Spirin, Klassy y partii v grazdanskoi voine v rossii (classes et partis dans la guerre civile russe) Moscou 1968, p.180 et suiv.
- (5) Centre russe de conservation et d'étude de la documentation historique contemporaine 158/1/1/10
- (6) Wikipédia, op.cit.
10:28 Publié dans Totalitarisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : communisme, nazisme, fascisme, totalitarisme, génocide, crime contre l'humanité
28/02/2010
A Cuba, on emprisonne et on tue.
Ce qui est effrayant dans cette histoire
N'est pas que j'aie voulu
Jadis donner ma vie
Mais bien qu'aujourd'hui
Ils veuillent me l'ôter.
Sous le titre « Socialisme réel » ces lignes ont été écrites par Raul Rivero poète et journaliste. En 1995 il avait fondé l'agence Cuba Press qui ne comptait dans ses rangs que des professionnels qui exerçaient leur métier en dehors du contrôle de l'état. En 1997 il reçut le Prix international de Reporters sans Frontières pour son combat en faveur de la liberté de la presse. Il est l'auteur de nombreuses œuvres poétiques.
Aujourd'hui, il est en prison. Il a été jugé le 04 avril 2009 avec son ami Ricardo Gonzalez Alfonso. Ce dernier, accusé d'être un « agent à la solde des Etats-Unis » fête cette année son 60° anniversaire en captivité. D'après RSF, vingt cinq journalistes sont actuellement détenus à Cuba. Dix neuf d'entre eux ont été arrêtés lors du « Printemps noir » (1) et condamnés à des peines allant de 14 à 27 ans de prison.
Il y a quelques jours, le prisonnier politique Orlando Zapata, plombier-maçon, noir de peau, âgé de 42 ans, est mort. D'après le Nuevo Herald, cet opposant à la dictature était « condamné au total, à 36 années de prison pour désordre public, il avait refusé de s'alimenter le 3 décembre dernier pour protester contre ses conditions de détention ». D'après sa mère, il ne restait plus sur son cadavre « que la peau sur les os ». « C'est un assassinat prémédité -dit-elle- , le pouvoir voulait en finir avec lui. »
Puisqu'on nous dit qu'il est impossible qu'un état socialiste prive de leur liberté des citoyens innocents,
Puisqu'on nous dit que les dissidents ne sont pas des citoyens comme les autres, qu'ils sont des agents l'ennemi impérialiste,
Puisqu'en Occident, les agences nous invitent encore et toujours à découvrir leurs formules de voyage vers La Havane destination de rêve, (2)
Puisqu'en Occident, les responsables politiques ont l'ouïe défaillante et n'entendent pas les mots, les cris des personnes emprisonnées,
Puisque enfin les appels, les déclarations, les communiqués ne suffisent pas,
il nous reste les mots du poète :
« Un spécialiste des interstices est venu
un critique littéraire ayant provisoirement grade de caporal
qui a ausculté de la pointe de son pistolet
le dos des livres de poésie.
Huit policiers
dans la maison
avec un mandat de perquisition
une opération propre
une victoire complète
de l'avant-garde du prolétariat
qui a confisqué ma machine à écrire Consul
cent quarante-deux pages blanches
et un tas de paperasses tristes et personnelles
qui était ce que j'avais de plus périssable
cet été. »
§
Ces quelques vers ainsi que ceux reproduits en haut de page ont pour auteur Raul Rivero aujourd'hui emprisonné, et sont extraits de l'anthologie des poètes censurés à Cuba sous le titre :
Anthologie de la poésie cubaine censurée,
proposée par Zoé Valdés, éditée par Gallimard avec la collaboration de Reporters sans frontières et de la FNAC en 2002.
(1) à ne pas confondre avec le Printemps de Prague !
(2) cela peut rappeler quelques souvenirs aux plus âgés d'entre nous, quand des intellectuels français dans les années quarante et cinquante revenaient enchantés de leurs voyages en URSS et dans les démocraties populaires...
18:26 Publié dans Colère | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : castro, castrisme, communisme, totalitarisme, droits de l'homme
15/01/2010
Que c'est dur de se dire: "Tu t'es trompé !"
Ces gens qui n'ont jamais touché la politique ne serait-ce que du bout des doigts posent un œil goguenard sur ceux qui en sont revenus. Pauvres hères. Ils ne savent pas. Ils sont comme ces êtres sains de corps et d'esprit -surtout de corps- qui n'ont jamais goûté l'ivresse et vous susurrent :
- - Ne bois pas, ne fume pas, conseils d'ami pour ta santé.
Qu'est-ce qu'il en sait l'ami, peut-être que si je n'avais pas bu je me serais jeté par la fenêtre. La bouteille, c'est mon acharnement thérapeutique à moi. Je veux vivre, et personne ne pourra m'en empêcher. Jusqu'au jour où, sur un papier à en-tête, de ma plus belle écriture, j'inscrirai :
- - S'il vous plaît, je n'en peux plus, mettez fin à mes souffrances, enlevez-moi cette bouteille et brûlez mes cigarettes.
Et je répéterai ces mots plusieurs fois, en présence de ma famille et de l'équipe médicale. Et puis je m'endormirai. Et personne ne pleurera, car je l'aurai demandé. Sauf un. Mon pote. Mon Jeff à moi. Lui, sur qui s'acharnent depuis des années les thérapies de tous les terroirs de France, lui il sait.
Eux ne savent pas. Ils sont comme les petits enfants. Pourquoi ceci ? Pourquoi cela ? Ah bon ? La sécurité sociale existe parce qu'il y a eu des grèves ? Quoi, mes parents ? Ah, peut-être...et les congés payés, et les conventions collectives ? aussi ? Mais pourquoi leur en vouloir, la sécu, les congés et autres acquis sociaux leur ont été servis tout chauds, sur un plateau qu'ils finissent à chaque repas, car on les a habitués très tôt à manger de tout.
Ils ne savent pas que Nicolas était un honnête homme. Qu'il a vécu une époque et surtout une guerre que je ne souhaite à personne de vivre même à mon pire ennemi, même à un nostalgique du nazisme. Attention, je dis vivre une guerre en continuant d'être honnête ! Quand il a menti dans sa vie, c'était pour sauver des camarades. Quand il s'est menti à lui-même, c'était parce que la Fin justifiait le pacte germano-soviétique. De son père, il ne m'en dit pas un mot. Mais je crois savoir que c'était Staline. Quand Maurice n'était pas là. Et Maurice n'était pas souvent là, c'était un papa provisoire, le petit chef d'une famille d'accueil, en quelque sorte. Joseph Djougachvili lui, était très loin et très proche, un Père-partout, un Père des peuples. Qui avait beaucoup d'enfants et qui construisait quelque chose avec eux. Jusqu'en Sibérie il construisait quelque chose. Il avait beaucoup d'autorité, mais il en faut car les enfants ne sont pas toujours sages. Et ils aiment l'autorité, ils la réclament à leur façon, pas toujours en le disant. Bref, Nicolas avait un père. Sa femme était au fourneau, il lui parlait fort, de ces grosses voix qui n'admettent pas la contradiction et qui cachent une grande sensibilité et le respect de l'autre. Il lui rapportait sa maigre paie de charpentier. Ils vivaient heureux, au milieu d'amis fidèles et rigolards, car dans cette rue de banlieue il y en avait du beau monde.
Si j'évoque cet homme, c'est que je peux le faire sans verser une larme. Nicolas, il n'a pas su. Il est mort avant. Certes, les patrons étaient encore aux commandes, mais là-bas l'Est tenait encore bon ses promesses. Et ici, le Parti était debout, vigilant.
Nicolas est mort avant le soulèvement d'un coin du rideau, avant l'effondrement du mur, de l'Union Soviétique, du socialisme. Il est mort avant la fin. Avec lui il a emporté l'espérance, celle d'un peuple, des peuples, du mouvement ouvrier, de l'humanité entière. Je suis content pour lui. Il n'aurait pas mérité cela. Mais les autres, ses camarades ? Pensez : pour la première fois dans l'histoire, d'un bout à l'autre du monde, des hommes et des femmes qui ne se connaissaient ni d'Eve ni d'Adam regardaient dans la même direction, s'inventaient le même avenir. Et du jour aux lendemains, plus rien. Des secrétaires généraux qui bégaient, qui ne s'expliquent pas. Devant, le dragon capitaliste crache le feu. Derrière, un Parti exsangue, pire, mille fois pire, un Parti qui ne nous avait rien dit . Qui avait caché des faits réels, des malversations, des privilèges, des camps, des crimes. Derrière, il n'y a plus rien. Notre dépit à nous, il est à la mesure de l'espérance qui était la nôtre. Le mouvement ouvrier a été sabordé par ses propres capitaines. A l'Est par des usurpateurs, des bureaucrates sans foi ni loi qui ont défiguré puis trahi la plus belle révolution de tous les temps. A l'Ouest par des fils du peuple qui ont renié jusqu'à leurs origines, qui ont voté les crédits de guerre en 1914, qui ont montré du doigt les socialistes quand les fascistes d'Allemagne fourbissaient leurs armes, qui ont suggéré dans les usines, lors d'un grand mouvement social inspiré par l'Université, que les étudiants étaient des gosses de riches. Des fils du peuple qui qui qui qui qui qui....
Oui c'est dur de se dire : « tu t'es trompé ». Le plus difficile n'est pas de regarder les choses en face, mais de se regarder soi-même. Combien de militants en ont eu le courage ? Tous sont à plaindre, et ceux-là sont des héros. Même si l'Amérique n'est pour rien dans l'échec du communisme -elle n'est intervenue ni en 1953 en Allemagne de l'est, ni en 1956 en Hongrie et Pologne, ni en 1968 en Tchécoslovaquie- on peut comprendre la haine de ces gens à son égard. Haine de l'Amérique, flambeau de l'Occident capitaliste triomphant.
Plus difficile à admettre est cet acharnement à critiquer systématiquement la société occidentale, à l'accuser de tous les maux, à l'affubler de tous les mots les plus dégradants : un monde où règnent privilèges, corruption, mensonge, prostitution, misères matérielle et morale. Bref, la société dans laquelle nous vivons se résume à une bouteille de Bourbon tenue par une femme dévêtue, représentés sur un énorme panneau publicitaire sous lequel gît un homme sans domicile fixe. Alcool, luxure, déchéance. Condamnation sans appel qui ressemble étrangement à celle proférée contre la démocratie par ses pires ennemis extérieurs. Etrange cette sympathie affichée pour des hommes, des mouvements, des états -quels qu'ils soient- pourvu qu'ils combattent l'Occident. Dangereuse attitude qui risque de coûter cher à tous les démocrates, mais aussi à ceux qui entretiennent ces amitiés. Car ne l'oublions pas, en démocratie les femmes et les hommes vivent, respirent, circulent, professent, critiquent, manifestent, arrêtent le travail, votent, dessinent la caricature de leur président à la une d'un journal librement diffusé, volent et tuent aussi, et des avocats sont là pour les défendre jusque sur des ondes publiques qui ne connaissent de limites que celles de la fiabilité électronique des satellites de communication.
Comme c'est désolant de voir ces fils, ces petits-fils des pionniers du socialisme s'acoquiner aux doctrines et mouvements les plus réactionnaires, quand ce n'est pas pour se faire les avocats des états qui protègent des criminels. Si j'osais, je demanderais :
« Franchement, les yeux dans les yeux, qui parmi vous, toi Olivier, toi Raoul, toi Quentin, toi Alain, lorsque le 11 septembre 2001 les tours du World Trade Center se sont écroulées sous les coups des terroristes, qui parmi vous n'a pas pensé : c'est bien fait ? Qui ? ».
Mais je n'ose. Peut-être méditent-ils aussi ? Peut-être pensent-ils leurs plaies ? Le mal totalitaire est encore purulent. Il faudra du temps.
§
13:32 Publié dans libre pensée | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : communisme, socialisme, totalitarisme, aveuglement, vingtième siècle