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31/03/2010

Sur l'art de se taire

 

 Dans cette promenade que je fais parmi mes livres, il m'arrive d'ouvrir un Jean-François Revel, qui pour moi est un auteur de génie, et visionnaire. La nouvelle censure, sous titré : Un exemple de mise en place de la mentalité totalitaire (1), page 11 :

 

« ...Ce qui a toujours caractérisé la défense de la Foi, dans toutes les Eglises, est de ne pas répondre aux arguments périlleux pour cette Foi, et, au lieu de cela d'empêcher qu'ils ne parviennent à la conscience des Fidèles. En effet, discuter un argument, c'est en prendre connaissance, y réfléchir, et éventuellement, y succomber (...) 

« La technique de la « censure indirecte », que tout croyant commence par exercer pour et en lui-même, consiste d'abord à ignorer délibérément les arguments et les faits présentés par ceux dont les vues sont contraires à la Foi, ensuite à jeter la suspicion sur leurs mobiles, enfin, en dernier recours, à les accuser d'être stériles, destructifs... »

 

 Revel n'a pas été témoin de l'implantation de l'islam en Occident, mais il a vécu les périodes stalinienne et post-stalinienne en France. Ce qu'il nomme « la nouvelle censure », c'est le silence imposé par la nomenclature politique française, à gauche mais pas seulement, sur l'oppression des peuples de l'est de l'Europe sous la botte communiste. Le but, ici, n'est pas d'expliquer les raisons de ce silence, j'ai déjà abordé le sujet dans un précédent article (2). Mais les quelques phrases recopiées plus haut éclairent ce que les libres penseurs vivent aujourd'hui en France. La politique des pouvoirs, gouvernement, partis, medias peut se résumer ainsi :

 

1/ Ne pas répondre aux arguments périlleux pour la pensée officielle. Si cela est impossible, on étouffe les réactions des gens témoins des atteintes à la démocratie et à la laïcité : pas d'images sur les prières dans l'espace public, on évite les mots « islam » ou « islamisme » dans les reportages sur les attentats ou les guerres interethniques, motus et bouche cousue concernant les femmes battues, les actes antisémites dans les banlieues... la liste est longue ;

 

2/  Jeter la suspicion sur ceux qui dénoncent, à travers l'islamisation, les atteintes à la laïcité, aux droits et à la dignité de la femme, en les accusant de racisme en usant et abusant de l'amalgame bien connu entre « islam » et « race » ;

 

3/  Accuser ceux qui dénoncent, de complicité avec l'extrême droite ;

 

 Je vois dans cette démarche -mélange de lâcheté et de perversité- une ressemblance étonnante avec le silence respectueux des intellectuels béats devant les réussites du paradis socialiste, quand les chars écrasaient les révoltes populaires en Allemagne de l'est, en Pologne, en Hongrie, en Tchécoslovaquie, quand les communistes sincères là-bas étaient contraints aux aveux, que les dissidents étaient internés en psychiatrie, que les écrivains fuyaient ou étaient expulsés, que les artistes travaillaient en cachette, qu'un scientifique de renommée mondiale était en résidence surveillée... Et encore, si la politique de l'autruche n'avait été adoptée que par les tenants du communisme en France, mais non : la gauche plongeait sa tête dans le sable, programme commun oblige.

 

 Et gare à ceux qui mettaient en cause la légitimité du socialisme à l'est ! Ils étaient au mieux suspects de quelque chose, d'être de droite ou réactionnaires, au pire fascistes,  agents de l'impérialisme ou de la CIA...

 

 Si un jour, les peuples se sont libérés de l'étau totalitaire, ils ne le doivent qu'à eux-mêmes. La gauche française et européenne n'y est pour rien, j'oserais dire : bien au contraire.

 

 Les leçons du passé servent-elles à quelque chose ? Apparemment non, quand on voit avec quelle mollesse nos représentants politiques n'en finissent pas de ne pas en finir avec une loi interdisant la burqa. Les islamistes doivent rire en douce. Qu'elle est c... la démocratie occidentale !  Profitons-en, puisqu'elle nous laisse la parole, et même qu'elle nous la propose ! L'ami Ramadan est sur les plateaux de télé. Des artistes, des intellectuels, des philosophes ou qui se prétendent tels, bref des gens très bien n'ont de cesse de faire l'éloge de la diversité culturelle : pour reprendre le mot de Jean-François Revel, « Censure indirecte », car ces bonnes gens savent bien qu'au nom de cette diversité, un retour en arrière de plusieurs siècles attend l'occident, par la mise en cause de tout ce que les Lumières, les révolutions, les peuples ont réussi à nous transmettre : la démocratie, la liberté, la laïcité. 

 

§

  

  • (1) Robert Laffont, 1977
  • (2) Pourquoi taire les crimes du communisme?

 

 

26/03/2010

à lire absolument

Questions à propos de Vichy et Pétain

sur   BONDIEUSERIES

12/03/2010

Ce matin, j'étais là, devant mes livres

 

 Quand je ne sais pas quoi faire, il m'arrive de me promener dans la bibliothèque, je sors un livre, un peu au hasard, je consulte la table des matières, je lis les premières lignes de la préface ou de l'introduction, il m'arrive aussi de l'ouvrir à la dernière page pour voir « comment ça finit »... Seuls les livres permettent les grands voyages, dans l'espace, mais aussi et surtout dans le temps. Rendez vous compte : en restant sur place, simplement en allongeant le bras, vous avez accès

 

à l'Histoire de la guerre du Péloponnèse, mais aussi au : Monde d'hier, souvenirs d'un européen de Stefan Zveig,

 

à un gros volume un peu déchiré intitulé Saint Thomas d'Aquin Patron des écoles catholiques, ouvrage dédié à la jeunesse par le R.P.Fr. Charles-Anatole Joyau des Frères Prêcheurs mais aussi à :  Pourquoi je ne suis pas chrétien de Bertrand Russel,

 

au Leviathan de Hobbes,  mais aussi aux :  Confessions de Jean-Jacques Rousseau.

 

On en arrive même à réaliser l'incroyable : Saint Thomas d'Aquin (cité plus haut un peu déchiré) par le jeu des étagères, n'est qu'à 24 cm de The sexual revolution de Wilhelm Reich ! 24 cm...ahurissant.

 

Autre prodige : une seule planche sépare Les Oraisons funèbres et sermons de Bossuet du livre de Marcuse « Eros et civilisation ».

 

 Tristes, un peu oubliées sont les œuvres victimes de l'arthrose chronique qui me fait souffrir du dos et des genoux : elles  occupent les rayons d'en bas. C'est tout un pan de la culture humaine, poésie, philosophie, linguistique, politique, qui m'échappe, vérification s'il en était besoin de l'influence des maux du corps sur la santé de l'âme. Car comme le dit Montaigne (à 23 cm de Saint Thomas d'Aquin) :

 

« Notre jugement et les facultés de notre âme en général souffrent selon les mouvements et altérations du corps, lesquelles altérations sont continuelles. »

 

 La bibliothèque est le seul endroit de la maison, et peut-être du monde où se fréquentent sans le moindre froissement la chèvre et le chou. Là je suis bien, je ne vois pas le temps passer, je plane, je vole d'année en année, de siècle en siècle, d'idée en idée, je quitte un poète pour questionner un philosophe, je reviens au poète. M'assurant que je suis bien seul, je déclame la Conscience « L'œil était dans la tombe... » ou Le dormeur du val. Je sors le Georges Brassens de la collection « Poètes d'aujourd'hui » et je chante « Auprès de mon arbre » ou « L'orage », malheureusement l'édition est de 1965, et ma préférée ne figure pas dans ce livre : « La princesse et le croque notes », pas de regret, de toute façon, sans guitare, ça ne vaudrait rien, et ce chef d'œuvre me fait pleurer, je ne l'écoute plus.

 

 Ce matin, j'étais là devant mes livres. Tiens, Miguel de Unamuno ! Voilà au moins quarante ans que je n'ai pas lu une ligne de ce philosophe. Mon professeur nous avait conseillé sa lecture, comme il nous avait dirigé vers Kierkegaard et Max Scheler. Et là, je vous assure que je dis les choses telles quelles se sont passées, je m'empare du « Sentiment tragique de la vie » (collection Idées), page de garde je remarque qu'il appartenait à ma femme, achat recommandé par son prof de terminale, et je l'ouvre, absolument au hasard. Tenez-vous bien, c'était à la page 114, je lis :

 

« Le propre, la caractéristique de l'avocasserie, en effet, est de mettre la logique au service d'une thèse qu'on a à défendre, tandis que la méthode rigoureusement scientifique part des faits, des données que nous offre la réalité, pour arriver ou ne pas arriver à la conclusion. L'important est de bien situer le problème, d'où il résulte que le progrès consiste souvent à défaire ce qui a été fait. L'avocasserie suppose toujours une pétition de principe, et ses arguments sont tous ad probantum. Et la théologie supposée rationnelle n'est qu'avocasserie. »  

 

 Tout ce que, jour après jour, je m'efforce de défendre sur ce blog, en dénonçant les polices de la pensée, les idées toutes faites, les préjugés et les dogmes, en m'attaquant à l'intolérance, au totalitarisme religieux ou politique, ce diable de philosophe le dit, tranquillement en quelques lignes :

 

« La théologie part du dogme, et dogme, dogma, dans son acception primitive et directe, signifie décret, quelque chose comme le latin placitum, ce qui a paru bon, digne d'être loi, à l'autorité législative. De cette acception juridique part la théologie. Pour le théologien, comme pour l'avocat, le dogme, la loi, c'est quelque chose de donné, un point de départ qui ne prête à discussion qu'en ce qui concerne son application ou son interprétation la plus exacte. De là vient que l'esprit théologique ou avocassier est dans son principe dogmatique, tandis que l'esprit strictement scientifique, purement rationnel, est sceptique, c'est-à-dire investigateur. »

 

 Evoquant plus loin la Summa theologica de Saint Thomas, Miguel de Unamuno y voit une logique fallacieuse qui peut s'exprimer par ce syllogisme :

 

« Je ne peux comprendre ce fait sans lui donner une explication ; c'est ainsi que je suis forcé de le comprendre, donc ce doit être là son explication. Ou bien je n'y comprends rien. »

 

 On peut même se demander : qu'est-ce qu'un fait ? N'est-ce pas déjà le résultat d'un choix, d'une pensée, d'une opinion, d'une façon de voir les choses ? Quelle idée imbécile de croire que « les faits sont têtus » ! Les faits sont créés, conçus, construits. Un hérisson heurté par une voiture sur la route, voici un fait. Ah non, un motocycliste accidenté, voilà un fait en vérité, me dira-t-on. Ce qui prouve bien, puisque ces deux événements se sont passés, que pour l'observateur, l'un est un fait, l'autre non. Et le jour où aucun motocycliste ne sera renversé sur la route, peut-être parlera-t-on du hérisson. Si je fais ce détour, c'est que dans tous les cas, ce ne sont pas les yeux qui font d'une action un fait, mais l'esprit, et celui-ci étant plus ou moins formaté, il vaut mieux pour nous y regarder à deux fois avant d'accepter pour fait ce qui ne l'est pas.

 

 Le théologien donc, pour notre cher Unamuno, part de la thèse, du dogme pour arriver à la réalité. Réalité qui n'en est plus une puisque vue, appréciée, spécifiée, classée d'après l'idée première, le présupposé (1). Les idéologies qui ont fait tant de mal à l'humanité et qui risquent encore d'en faire, qu'elles soient religieuses ou politiques, ne délivrent d'autre vérité que la leur propre, puisqu'elles ne voient que ce qu'elles ont -à l'avance- décidé de voir : la justification de leurs thèses. C'est aussi pourquoi elles sont si difficiles à combattre, comme elles ne doutent de rien, elles sont toujours fidèles à elles-mêmes, répètent toujours la même chose, et la règle d'or de la pédagogie étant la répétition, leur discours est infiniment plus doux à l'oreille et plus reposant et agréable à entendre que celui de l'honnête homme qui pose une question, qui doute et s'interroge. Dans le meilleur des cas, on le fait passer pour un illuminé, dans le pire des cas, il termine ses jours sur un bûcher, dans un hôpital psychiatrique ou dans un goulag. A contrario, les personnes qui s'interrogent ne font de mal à personne. Le doute ne tue pas.

 

 J'entends déjà les critiques de ceux qui n'ont pas entendu cette belle ritournelle de Georges Brassens : Mourir pour des idées. Vous souvenez-vous ? Vous les boutefeux, vous les grands apôtres... mourrez donc les premiers, nous vous cédons le pas ! Ces gens-là me diront : si on passait notre temps à douter, rien ne changerait jamais. Plus je les entends, plus j'aime Montaigne, sa tranquillité d'âme et sa façon bien à lui de ne donner des leçons de sagesse à personne.

 

Mon ami Jean-Bernard n'a rien écrit, son nom n'apparaît donc pas dans ma bibliothèque. Il peignait, passionnément. Bien qu'il parlât peu de sa peinture, il lui arrivait de dire quelques mots de celle des autres. Certains de ses jugements restent gravés dans ma mémoire. Si je parle de lui aujourd'hui, c'est qu'il me dit un jour qu'un artiste ne travaillait pas selon l'idée, qu'il ne démontrait rien, que l'œuvre d'art ne cachait aucun message. Qu'elle était là, devant nous, sublime, admirable.

 

 Il y a certes des images, des dessins qui font rire ou réfléchir, des photographies suggestives, et dans notre siècle, les suggestions couvrent les murs, crèvent les écrans. Mais on sait quel usage mauvais peut être fait de ces images par des gens certes sincères, bien intentionnés ou intentionnés tout court, en tous les cas convaincus.

 

  Nietzsche (Humain, trop humain) est un peu plus bas dans les rayons (à 80 cm de Saint Thomas d'Aquin), je peux encore l'atteindre :

 

« Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges. »

 

 

 (1) A ce propos, je renvoie mes chers lecteurs au site de Jacques Roquencourt sur l'invention de la photographie (voir liste sites intéressants), qu'il ouvre sur une magistrale citation de Condillac.