04/09/2015
Si l'on excepte quelques penseurs honnêtes
Cité par Emmanuel Carrère dans « Limonov » : George Orwell parlait de common decency,
« …cette haute vertu qui est plus répandue dans le peuple que dans les classes supérieures, extrêmement rare chez les intellectuels, et qui est un composé d’honnêteté et de bon sens, de méfiance à l’égard des grands mots et de respect de la parole donnée, d’appréciation réaliste du réel et d’attention à autrui. ».
Ce livre d’Emmanuel Carrère est une source inépuisable pour celui qui veut comprendre notre temps. J’y reviendrai. Common decency : le dictionnaire traduit par décence, bienséance, convenance, respect humain, pudeur, honnêteté. Je retiens ces trois derniers, ce sont des piliers solides sur lesquels peut s’édifier une conduite humaine. Qualités essentielles mais rares. Qualités qui ont peu de rapport avec le niveau culturel des personnes.
Au commentaire de E.Carrère qui évoque les grands mots, sous-entendant par là qu’ils sont proférés par les intellectuels, j’applaudis. Bavards intarissables, ils parlent trop souvent pour ne rien dire. Je mettrai un bémol. Le vingtième siècle les a trop souvent vus parler alors qu’il aurait fallu qu’ils se taisent, mais n’oublions pas qu’ils se sont aussi tus quand il aurait fallu qu’ils parlent. Car si les longues études développent l’intelligence, elles donnent des responsabilités. Qu’un philosophe dispense ses cours à l’université sous un régime qui sème la terreur, qu’il approuve même ce régime, c’est incompréhensible, ce fut pourtant la réalité. Que des écrivains ou des artistes reviennent enthousiasmés et glorifient l'intolérable, c’est révoltant mais ce fut la réalité. Quand je dis que je mettrai un bémol sur le penchant des intellectuels pour le bavardage, c’est qu’il faut leur accorder aussi cette faculté qu’ils ont de se taire. Au besoin, ils sont les rois du silence.
Je n’ai jamais reproché à cet ami de ma grand-mère dont j’ai longuement parlé ici-même, il s’appelait Nicolas, je ne lui ai jamais reproché d’être communiste, c’est-à-dire stalinien tout simplement, même quand on savait que le « petit » père des peuples était champion du monde du crime –excepté Hitler, on ne va pas comparer le nombre de morts, les déportations, les souffrances. Je ne lui ai pas reproché pour deux raisons. D’abord, Staline déportait, tuait et torturait au nom du communisme, et le communisme c’est le plus bel objectif qui ait été à ce jour proposé à l’humanité. Pour Nicolas, comme pour des millions d’ouvriers français, l’Union soviétique c’était l’espoir, et pour les plus combatifs : l’avenir. Alors pour les crimes, mais de quels crimes parlez-vous donc quand c’est pour le bonheur des peuples ? Ensuite, Nicolas n’avait lu ni Hegel ni Feuerbach ni Marx ni Engels ni Lénine. Sa culture était celle de l’Humanité quotidienne et de Paris turf pour le tiercé du dimanche. Donc pour lui, à partir de 1941, l’horreur était nazie, terrible, insupportable, mais limitée à l’Allemagne, certes importée en France mais par des traîtres à la solde des « boches ». Par contre, nos poètes à la Aragon qui en appelaient au Guépéou, nos universitaires qui se taisaient en 56 lors des événements de Pologne et de Hongrie, et qui pour certains ne rompaient le silence que pour accuser les ouvriers hongrois d’être manipulés par l’ogre américain, justifiant ainsi l’écrasement de leur révolte par les chars du grand frère soviétique, ah oui à ceux-là il y aurait des reproches à faire mais c’est trop tard toujours trop tard. Combien de ces intellectuels ont bougé leur cul pour accueillir Leonid Plioutch à l’aéroport français, ce mathématicien chassé de son pays pour dissidence ? Quelques dizaines. Silence radio. Ces écrivains qui ne savent plus raconter des histoires, sauf quand on ne leur demande pas, qui n’ont jamais souffert, qui n’ont vécu aucune aventure, qui s’auto analysent sur du papier à grand tirage, ils se sont tus quand d’autres à l’est recopiaient sur du carbone des chefs d’œuvre interdits. Des courageux comme Pierre Daix, il y en a eu peu, trop peu pour parler, pour dire que l’Archipel du Goulag était plus qu’un beau morceau de littérature.
Ils sont les rois du silence quand le réel ne coïncide pas avec l’idée qu’ils se font du monde. Dans les moments cruciaux de l’histoire des hommes, quand les dogmes menacent de s’effondrer, le silence des maîtres à penser les maintient encore debout. Pour quelques temps seulement, mais c’est déjà trop.
Posons d’emblée cet axiome : les intellectuels sont très majoritairement de gauche. Pourquoi ? Défendre ou même promouvoir le capitalisme, l’idée du profit, le système bancaire, l’exploitation de l’homme par l’homme, bref se faire l’avocat du diable est une tâche pratiquement insurmontable pour quiconque a fait de longues études, et souhaite en tirer quelque chose en général pour faire carrière, mais pas toujours, quelquefois aussi pour améliorer le sort de ses contemporains même si c’est contre le gré de ces derniers, au péril de leur vie. L’intellectuel penche donc à gauche et rêve de faire le bonheur des peuples. Je reviens au livre de Carrère pour une longue citation qui en vaut la peine (il reprend lui-même des propos d’un certain Martin Maria) :
« Le socialisme intégral n’est pas une attaque contre des abus spécifiques du capitalisme mais contre la réalité. C’est une tentative pour abroger le monde réel, tentative condamnée à long terme mais qui sur une certaine période réussit à créer un monde surréel défini par ce paradoxe : l’inefficacité, la pénurie et la violence y sont présentées comme le souverain bien. »
Pour expliquer le silence de nos intellectuels pendant les riches heures du totalitarisme soviétique, il faut noter que ce dernier ne s’en est jamais pris au peuple, ni à l’honnête citoyen, mais aux « ennemis du peuple ». Là réside toute la force du système : on met tout en œuvre pour faire le bien, et quelques énergumènes (en réalité entre 10 et 15 millions) pour la plupart agents de puissances étrangères ourdissent des plans contre-révolutionnaires. Ajoutez à cela l’aura dont jouit le père des peuples et sa clique après la victoire sur l’Allemagne nazie, et on comprend mieux pourquoi ici à l’ouest la gauche s’est tue, et même parfois a complaisamment entendu la propagande communiste.
On va me dire : mais enfin pourquoi revenir sans cesse sur ce passé ? C’en est fini du communisme, tirons un trait.
Non. Le parti est mourant, mais les idées qui furent les siennes sont encore vivantes. A l’extrême gauche c’est certain, mais aussi colportées par la majorité des médias : américanophobie, critique du capitalisme sous toutes ses formes, silence ou bavardage complaisant sur les crimes de guerre quand ils ne sont pas le fait des puissances occidentales, culture de l’irresponsabilité, justification de la délinquance par le chômage des jeunes, du terrorisme par l’extension de la misère dans le monde, explication des guerres et génocides en Afrique par la richesse du sous-sol convoitée par les puissances occidentales…on se croirait revenu dans les années cinquante quand les unes de l’Humanité imputaient les malheurs du monde à l’impérialisme américain, US go home.
Nos intellectuels aujourd’hui, si l’on excepte quelques penseurs honnêtes qui ne craignent pas d’appeler un chat un chat, d’aller contre l’opinion au risque de passer pour des complices de ce que la gauche a estampillé comme étant la « réaction », nos intellectuels donc, c’est le prix à payer pour se faire un nom, caressent le pouvoir, tous les pouvoirs, politique, religieux, médiatique, dans le sens du poil. Pour les aider, les gentils journalistes qualifient leur discours de « décalé ». On ne m’empêchera pas de penser que l’humanisme haut de gamme qu’ils manifestent partout et sur les ondes est une couche de vernis étalée sur de la mauvaise conscience. A l’image des bourgeois bohèmes qui les admirent : à des kilomètres du monde réel et des cités dangereuses, tout ce qu’ils risquent, c’est une rayure sur leur puissant 4x4 hybride. Si si, ça existe, dans les beaux quartiers l’avenir de la planète est préoccupant.
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13:15 Publié dans libre pensée | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : intellectuels, engagement, communisme
23/08/2015
Fascisme rouge
J'ai d'abord été emporté par la colère. Puis j'ai eu honte. Honte d'être français. De partager mon pays avec ces gens qui hurlaient sur le pavé parisien. Rêvais-je? Non. Ils sont apparus comme cela sur l'écran des actualités. "A la poubelle Madame Merkel! " Et ils répétaient et ils riaient! Il y a en France aujourd'hui des hommes et des femmes politiques qui n'ont qu'une idée en tête, provoquer la haine, animer les sentiments primaires des individus, cultiver l'instinct xénophobe. On savait qu'Hitler avait fait des petits. Voilà qu'un autre triste patriarche se révèle au monde soixante deux ans après sa mort: Staline. Fascisme. On avait le brun, on avait le vert, on a le rouge. Mais dîtes-moi, un tel guide osera-t-il un jour présenter sa candidature à la présidence de la république?
10:33 Publié dans Colère | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : fascisme, communisme, xénophobie
04/04/2015
L'islam, un espoir pour l'humanité ?
L’islam peut-il permettre à l’humanité d’en finir avec l’individualisme et la concurrence sauvage liée à l’économie de marché ? C’est la question que posait –bien avant les porte-parole du multiculturalisme- Roger Garaudy (1). L'idée est simple: la société va mal parce que l'homme a perdu la foi, parce qu'en ne croyant plus en Dieu il ne croit plus en rien. Le lien avec le Ciel a été rompu, la religion a été renvoyée à ses autels, ceux qui président à la destinée du monde sont perdus, dés-orient-és.
Garaudy pense que le christianisme des débuts était porteur d’un immense espoir. L'était-il vraiment ? D’où vient alors la fin de l’espérance ?
Il faudrait la chercher dans le dualisme grec, cette séparation voulue par les philosophes entre le domaine de la foi et celui de la raison. Une fausse interprétation de la parole biblique selon laquelle il faut rendre à César ce qui lui appartient, à Dieu ce qui lui revient. Coupure entre le politique et le religieux. Garaudy a-t-il raison de dire qu’il n’y avait dans la parole de Jésus que la volonté de dénoncer les prétentions totalitaires de César ? Il reste que cette coupure, cette séparation des domaines terrestre et céleste est remarquable dans la philosophie d’un fondateur de la pensée occidentale, Aristote. L’allégorie platonicienne de la caverne soulignait la continuité du fil qui mène de l’ombre à la lumière, chemin difficile à suivre, démarche douloureuse qui ne mène nulle part ailleurs qu’à l’intérieur de soi (une quête peut-être inspirée de la pensée orientale). Pour Aristote la beauté du monde sensible dans lequel les hommes sont plongés leur donne la possibilité d'y discerner l'existence d'un ordre supérieur, intelligible. D’affirmer qu’il y a un « ailleurs », un autre monde, un au-delà. Qu'il y a une cause supérieure, une puissance créatrice, ordonnatrice. Mais qu’il y a ici-bas un monde et de quoi s’occuper. En laissant à César puis à Constantin plein pouvoir sur la vie politique et sociale, le dualisme « faisait de la foi une affaire privée, n’ayant plus prise sur l’organisation de la cité ». Devenue autonome, la politique portait « en soi ses propres fins, sans rapport avec l’homme ni avec le divin » (Garaudy).
Il faut être aveugle et imbibé de culture religieuse pour oublier que durant dix-huit siècles les royaumes occidentaux ont usé et abusé du droit divin, que durant dix-huit siècles les hommes, poètes, philosophes, mécréants, scientifiques, astronomes –sans oublier les femmes- durent vivre, penser et agir à l’heure religieuse, catholique en l’occurrence, un totalitarisme bien plus pervers qu’une dictature car les peuples maintenus dans l’ignorance participent eux-mêmes à leur propre servilité. Si les Lumières, les réformes et les révolutions ont ouvert une brèche dans la forteresse des dogmes et des croyances primitives, elles le firent contre le système religieux, et chaque fois qu’il fallut développer la pensée et le savoir, elles trouvèrent en face d’elles l’Eglise, les églises.
En faisant l’impasse sur la nuit qui s’abattit si longtemps sur les peuples, Roger Garaudy veut retrouver la pureté originelle qui fut celle des premiers chrétiens, la vraie foi. Pour lui, si le christianisme a encore une chance de sauver l’homme, « l’homme de nos sociétés occidentales…voué à la solitude, à l’isolement à l’égard des autres hommes…par l’écrasement des plus démunis, …par la convoitise…la publicité et le marketing… », cette chance il peut la trouver dans l’islam. L’islam qui, « en refusant les faux dualismes de la politique et de la foi…en liant indissolublement transcendance et communauté, peut nous aider à revivifier le christianisme lui-même et à surmonter la crise de désintégration du tissu social. »
Fichtre ! Moi qui croyais dans les années soixante qu’on allait en finir avec l’obscurantisme religieux, que l’imagination allait s’emparer du pouvoir, accompagnée de ses anges gardiens, la liberté de penser d’un côté et l’avenir de l’homme, poitrine nue de l’autre, me voilà aujourd’hui bien embarrassé ! Tout ça pour rien !? Nous avons cru en un monde inaccessible, nous avons cru en un monde, nous avons cru. Et c’était là l’erreur. Il ne faut pas croire. Un demi-siècle après avoir partagé avec des millions que les religions sont un opium pour les peuples, près de moi passent des femmes dont on ne voit que le bout du nez, des hommes qui n’ont plus d’humain que le système pileux, un philosophe qui me dit que l’avenir d’une religion qui a fait tant de mal si longtemps ici, qui a obligé tant d’hommes et de femmes et d’enfants à croire à des sornettes, tout cela pour préserver des privilèges de caste ou de classe, un philosophe qui émet l’hypothèse que le christianisme pourrait être sauvé par une idéologie qui nous ramène encore plus loin dans le passé et les ténèbres : l’islam !
Il écrivait cela en 1981. Aujourd’hui l’islam est devenu une affaire qui marche. Les catholiques qui, après avoir rongé leur frein dans les années soixante ont compris que l’avenir du culte n’était pas auprès du bénitier, mais à gauche, dans les associations charitables, chrétiens de gauche apôtres du « vivre ensemble » qui sont devenus à ce point des thuriféraires (de turifer: qui porte l'encens) de l’islam qu’ils ne sont plus à même de défendre leurs coreligionnaires empêchés de pratiquer leur culte, et persécutés en Orient. Il ne serait pas étonnant d'assister bientôt à des conversions. Je pense d'abord à ceux pour qui la propagation de l'islam s'explique par le développement du chômage et de la misère. Ils n'ont pas à tergiverser longtemps pour désigner un ennemi commun : le capitalisme sans foi ni loi. A quoi bon condamner les petits trafics quand plus haut on pioche des millions dans les caisses de l'état ? Inquiétant de voir des sentiments aussi humains que l'esprit de solidarité, de justice ou de charité trouver en une idéologie aussi impérialiste et dévastatrice que l'islam un allié de circonstance ! Des milliers de nos compatriotes qui par noblesse de cœur tentent de donner aux jeunes une raison d'espérer, parce que cette belle entreprise se heurte à une situation sociale irrémédiable, risquent de sombrer avec eux dans un islamisme tout politique, frère de ce que nous avons connu dans les années soixante sous le nom de théories de la libération. Ce qu'il y avait dans ces « théories » de volonté d'en finir avec la colonisation et l'exploitation du tiers monde hante les nouveaux libérateurs de nos quartiers : non seulement dans la haine de cette cible clairement identifiée, l'état d'Israël qui colonise à tout va, aussi parce que la situation des jeunes dans les quartiers est celle d'enfants d'enfants d'enfants de colonisés. L'islam qui est devenu dans nombre de pays du proche et du moyen orient l'étendard de la révolution pourrait en occident cimenter les exigences des enfants de l'immigration que la société n'a pas su accueillir, ou qui n'ont pas voulu s'y intégrer, mais aussi inspirer une certaine gauche un peu perdue depuis la disparition corps et âme de ses maîtres à penser et de leurs tristes expérimentations sur des millions d'êtres humains. Certains signes ne trompent pas, une candidate d'extrême gauche voilée, la participation de militants gauchistes à des manifestations islamistes aux slogans antisémites, à des colloques en présence de salafistes, le silence réservé aux attentats et l'insistance à en rendre coupables des gens qui n'ont rien à voir avec l'islam...
N'est-elle pas paradoxale cette fusion entre une partie du monde progressiste, intellectuels, militants de partis ou d'associations et l'idéologie totalitaire ? Elle ne devrait pas nous étonner. On a connu fusion semblable dans le passé quand on dénommait certaines parties du territoire les banlieues rouges. Elles étaient peuplées de familles ouvrières qui voyaient dans le communisme en construction à l'est une raison d'espérer. Etaient-ils blâmables ces militants qui restaient sourds aux appels pressants des « dissidents » qui alertaient l'occident sur les effets terribles de la dictature communiste ? Certainement pas. D'autres oui, beaucoup plus haut sur l'échelle militante, qui savaient.
La trajectoire de Garaudy est intéressante car elle montre comment on peut passer d'une idée à une autre. D'un totalitarisme qui a fait son temps à un autre, "prometteur". Elle montre aussi que le capitalisme sauvage mondialisé peut fabriquer des monstres. Combien nos sociétés derrière une façade aux couleurs de la modernité n'ont pas progressé dans le domaine de l'esprit. Combien il est difficile d'être un simple militant de la liberté, sans se référer à un système ni à un livre aussi sacré soit-il. C'est pourtant ce qu'il faut être.
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(1) Garaudy, Promesses de l’islam, éditions du Seuil, 1981, p.57 ;
10:38 Publié dans Totalitarisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : garaudy, islam, christianisme, communisme