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15/01/2010

Que c'est dur de se dire: "Tu t'es trompé !"

 Ces gens qui n'ont jamais touché la politique ne serait-ce que du bout des doigts posent un œil goguenard sur ceux qui en sont revenus. Pauvres hères. Ils ne savent pas. Ils sont comme ces êtres sains de corps et d'esprit -surtout de corps- qui n'ont jamais goûté l'ivresse et vous susurrent :

 

  • - Ne bois pas, ne fume pas, conseils d'ami pour ta santé.

 

Qu'est-ce qu'il en sait l'ami, peut-être que si je n'avais pas bu je me serais jeté par la fenêtre. La bouteille, c'est mon acharnement thérapeutique à moi. Je veux vivre, et personne ne pourra m'en empêcher. Jusqu'au jour où, sur un papier à en-tête, de ma plus belle écriture, j'inscrirai :

 

  • - S'il vous plaît, je n'en peux plus, mettez fin à mes souffrances, enlevez-moi cette bouteille et brûlez mes cigarettes.

 

Et je répéterai ces mots plusieurs fois, en présence de ma famille et de l'équipe médicale. Et puis je m'endormirai. Et personne ne pleurera, car je l'aurai demandé. Sauf un. Mon pote. Mon Jeff à moi. Lui, sur qui s'acharnent depuis des années les thérapies de tous les terroirs de France, lui il sait.

 

 Eux ne savent pas. Ils sont comme les petits enfants. Pourquoi ceci ? Pourquoi cela ? Ah bon ? La sécurité sociale existe parce qu'il y a eu des grèves ? Quoi, mes parents ? Ah, peut-être...et les congés payés, et les conventions collectives ? aussi ? Mais pourquoi leur en vouloir, la sécu, les congés et autres acquis sociaux leur ont été servis tout chauds, sur un plateau qu'ils finissent à chaque repas, car on les a habitués très tôt à manger de tout.

 

 Ils ne savent pas que Nicolas était un honnête homme. Qu'il a vécu une époque et surtout une guerre que je ne souhaite à personne de vivre même à mon pire ennemi, même à un nostalgique du nazisme. Attention, je dis vivre une guerre en continuant d'être honnête ! Quand il a menti dans sa vie, c'était pour sauver des camarades. Quand il s'est menti à lui-même, c'était parce que la Fin justifiait le pacte germano-soviétique. De son père, il ne m'en dit pas un mot. Mais je crois savoir que c'était Staline. Quand Maurice n'était pas là. Et Maurice n'était pas souvent là, c'était un papa provisoire, le petit chef d'une famille d'accueil, en quelque sorte. Joseph Djougachvili lui, était très loin et très proche, un Père-partout, un Père des peuples. Qui avait beaucoup d'enfants et qui construisait quelque chose avec eux. Jusqu'en Sibérie il construisait quelque chose. Il avait beaucoup d'autorité, mais il en faut car les enfants ne sont pas toujours sages. Et ils aiment l'autorité, ils la réclament à leur façon, pas toujours en le disant. Bref, Nicolas avait un père. Sa femme était au fourneau, il lui parlait fort, de ces grosses voix qui n'admettent pas la contradiction et qui cachent une grande sensibilité et le respect de l'autre. Il lui rapportait sa maigre paie de charpentier. Ils vivaient heureux, au milieu d'amis fidèles et rigolards, car dans cette rue de banlieue il y en avait du beau monde.

 

 Si j'évoque cet homme, c'est que je peux le faire sans verser une larme. Nicolas, il n'a pas su. Il est mort avant. Certes, les patrons étaient encore aux commandes, mais là-bas l'Est tenait encore bon ses promesses. Et ici, le Parti était debout, vigilant.

 Nicolas est mort avant le soulèvement d'un coin du rideau, avant l'effondrement du mur, de l'Union Soviétique, du socialisme. Il est mort avant la fin. Avec lui il a emporté l'espérance, celle d'un peuple, des peuples, du mouvement ouvrier, de l'humanité entière. Je suis content pour lui. Il n'aurait pas mérité cela. Mais les autres, ses camarades ? Pensez : pour la première fois dans l'histoire, d'un bout à l'autre du monde, des hommes et des femmes qui ne se connaissaient ni d'Eve ni d'Adam regardaient dans la même direction, s'inventaient le même avenir. Et du jour aux lendemains, plus rien. Des secrétaires généraux qui bégaient, qui ne s'expliquent pas. Devant, le dragon capitaliste crache le feu. Derrière, un Parti exsangue, pire, mille fois pire, un Parti qui ne nous avait rien dit . Qui avait caché des faits réels, des malversations, des privilèges, des camps, des crimes. Derrière, il n'y a plus rien. Notre dépit à nous, il est à la mesure de l'espérance qui était la nôtre. Le mouvement ouvrier a été sabordé par ses propres capitaines. A l'Est par des usurpateurs, des bureaucrates sans foi ni loi qui ont défiguré puis trahi la plus belle révolution de tous les temps. A l'Ouest par des fils du peuple qui ont renié jusqu'à leurs origines, qui ont voté les crédits de guerre en 1914, qui ont montré du doigt les socialistes quand les fascistes d'Allemagne fourbissaient leurs armes, qui ont suggéré dans les usines, lors d'un grand mouvement social inspiré par l'Université, que les étudiants étaient des gosses de riches. Des fils du peuple qui qui qui qui qui qui....

 

 Oui c'est dur de se dire : « tu t'es trompé ». Le plus difficile n'est pas de regarder les choses en face, mais de se regarder soi-même. Combien de militants en ont eu le courage ? Tous sont à plaindre, et ceux-là sont des héros. Même si l'Amérique n'est pour rien dans l'échec du communisme -elle n'est intervenue ni en 1953 en Allemagne de l'est, ni en 1956 en Hongrie et Pologne, ni en 1968 en Tchécoslovaquie- on peut comprendre la haine de ces gens à son égard. Haine de l'Amérique, flambeau de l'Occident capitaliste triomphant.

 

 Plus difficile à admettre est cet acharnement à critiquer systématiquement la société occidentale, à l'accuser de tous les maux, à l'affubler de tous les mots les plus dégradants : un monde où règnent privilèges, corruption, mensonge, prostitution, misères matérielle et morale. Bref, la société dans laquelle nous vivons se résume à une bouteille de Bourbon tenue par une femme dévêtue, représentés sur un énorme panneau publicitaire sous lequel gît un homme sans domicile fixe. Alcool, luxure, déchéance. Condamnation sans appel qui ressemble étrangement à celle proférée contre la démocratie par ses pires ennemis extérieurs. Etrange cette sympathie affichée pour des hommes, des mouvements, des états -quels qu'ils soient- pourvu qu'ils combattent l'Occident. Dangereuse attitude qui risque de coûter cher à tous les démocrates, mais aussi à ceux qui entretiennent ces amitiés. Car ne l'oublions pas, en démocratie les femmes et les hommes vivent, respirent, circulent, professent, critiquent, manifestent, arrêtent le travail, votent, dessinent la caricature de leur président à la une d'un journal librement diffusé, volent et tuent aussi, et des avocats sont là pour les défendre jusque sur des ondes publiques qui ne connaissent de limites que celles de la fiabilité électronique des satellites de communication.

 

 Comme c'est désolant de voir ces fils, ces petits-fils des pionniers du socialisme s'acoquiner aux doctrines et mouvements les plus réactionnaires, quand ce n'est pas pour se faire les avocats des états qui protègent des criminels. Si j'osais, je demanderais :

 

« Franchement, les yeux dans les yeux, qui parmi vous, toi Olivier, toi Raoul, toi Quentin, toi Alain, lorsque le 11 septembre 2001 les tours du World Trade Center se sont écroulées sous les coups des terroristes, qui parmi vous n'a pas pensé :  c'est bien fait  ? Qui ? ».

 

Mais je n'ose. Peut-être méditent-ils aussi ? Peut-être pensent-ils leurs plaies ? Le mal totalitaire est encore purulent. Il faudra du temps.

 

 

§

10/11/2009

Ils étaient le peuple, le vrai.

 Quand les manifestants clamaient « Wir sind das Volk », ils s'adressaient avec détermination, mais aussi avec ironie à ces canailles qui prétendaient jusque là parler et agir au nom du peuple. Depuis la fin de la guerre et les coups d'état communistes épaulés par l'armée soviétique dans les pays d'Europe centrale, en se présentant comme les représentants du peuple les castes dirigeantes protégeaient leurs privilèges et s'octroyaient tous les pouvoirs. D'ailleurs, les dissidents étaient dénoncés comme ennemis du peuple. Car -c'est écrit dans les Livres- les communistes ne peuvent compter d'ennemis que dans les rangs des capitalistes. Le peuple par définition ne peut être qu'unanime derrière les détenteurs de la Vérité, en d'autres termes les descendants de Marx, Engels, Lénine... (on s'arrête là, sinon, cela provoque des polémiques). Bon, il peut arriver qu'ici ou là on expédie -par erreur- un démocrate en Sibérie,  mais rien de grave, trente ans après, le parti fait son autocritique. Bref, depuis la guerre, parti dirigeant et peuple, c'était la même chose. Dictature ? Oui, mais du prolétariat... Ouf !

 

 De là la force de ce slogan  « Wir sind DAS Volk » , slogan qui est un livre à lui tout seul, un livre écrit avec le sang de ces gens qui, n'en pouvant plus de vivre enfermés, tentèrent de franchir l'enceinte de la prison.

 

 En quelques jours, il y a vingt ans, les canailles qui prétendaient jusque là parler et agir au nom du peuple rendaient les armes, et le mur s'effondrait.

 

 Hommage soit rendu à ces femmes et à ces hommes qui, bravant les forces de l'ordre -et quel ordre !- ont permis à des millions d'autres qui subissaient le totalitarisme de lui asséner le coup fatal, et d'accéder à la liberté et à la démocratie. Les allemands libérés, se réunissant avec ceux qui l'étaient déjà, pouvaient alors se reconnaître comme faisant partie du même peuple. Wir sind EIN Volk.

 

 Certes, il y a encore beaucoup à faire, on ne sort pas sans douleur d'un demi-siècle d'oppression, mais le plus dur a été accompli.

 

 

 

§

 

 

11/10/2009

Quatre mots qui ébranlèrent le monde

 

 

 

Il y a vingt ans dans les rues de Leipzig, clamés par des dizaines de milliers d’honnêtes gens, quatre mots allaient bouleverser le monde, dans la plus belle déclaration jamais entendue depuis la naissance du mouvement ouvrier :

 

            « Wir sind das Volk !»    Nous sommes le peuple! 

 

 Quelques jours après, les canailles qui prétendaient jusque là parler et agir au nom du peuple rendaient les armes, et le mur s’effondrait.

 

 Oui, la muraille a été cassée. Hommage soit rendu à ces femmes et à ces hommes qui, bravant les forces de l’ordre –et quel ordre !- ont permis à des millions d’autres qui subissaient le totalitarisme de lui asséner le coup fatal, et d’accéder à la liberté et à la démocratie. Certes, il y a encore beaucoup à faire, on  ne sort pas sans douleur d’un demi-siècle d’oppression, mais le plus dur a été accompli.

 

 Mais le mur, mur de la honte, mur de la haine, mur de l’intolérance, mur du fanatisme, mur de l’idéologie sûre d’elle-même, mur du dogme, mur des polices secrètes, mur des tortures et des aveux, ce mur est encore debout. Et pour l’abattre celui-là, piolets et bulldozers ne pourront rien.

 

 Par qui donc est-il encore dressé ce mur qui divise, intolère, persécute, ce mur qui fait tant de mal ? Ses fondations exigeaient du béton armé, vibré, comme seuls savent le couler des gens dotés d’une conscience politique aiguë. Des gens qui ne s’étonnent de rien car ils savent tout sur tout. Des gens qui sont des puits de science. Des gens qui expliquent tout. Des gens qui analysent. Des gens qui développent –sur un ton définitif- pourquoi vous êtes dans l’erreur. Des gens pour qui vous êtes dans l’erreur quand vous ne pensez pas comme il faut. Des gens pour qui la pensée unique, c’est la pensée de l’autre. Des gens qui, s’ils le pouvaient, vous colleraient une étiquette sur le front. Des gens qui, s’ils le pouvaient, vous rangeraient dans un tiroir. Des gens qui, s’ils le pouvaient, vous inscriraient un numéro sur l’avant-bras. Des gens qui, s’ils étaient au pouvoir…

 

Des gens pour qui la paix est un bienfait universel sauf dans certains cas.

Des gens pour qui la guerre n’est pas franchement condamnable quand elle est sainte.

Des gens pour qui les bombardements sont criminels, mais pas les attentats à la voiture piégée qui explose devant un lieu de culte à l’heure de la prière provoquant la mort de plusieurs dizaines de personnes.

Des gens qui nous présentent la barbarie comme un moyen de libération.

Des gens qui tuent pour monter au ciel.

Des gens qui prétendent parler au nom d’un peuple et qui, parvenus au pouvoir, lui imposent la loi religieuse.

Des gens pour qui la moitié de l’humanité doit se voiler la face.

Des gens qui ont la haine.

Des gens qui ont la haine car il leur faut un adversaire pour exister.

 

Des gens dont le métier est d’informer et qui appellent les terroristes des « combattants ».

Des gens qui, quand trois mille personnes sont mortes, ont dit « C’est bien fait ».

Des gens qui n’ont pas dit « C’est bien fait », mais qui l’ont pensé.

Des gens qui manifestaient pour la paix le 15 février 2003 à Rome et brandissaient un calicot sur lequel on pouvait lire « Oussama ti amo ».

Des gens orphelins depuis la disparition de la Patrie du « Petit Père des Peuples » et qui par dépit, en veulent à l’Amérique.

 

Des gens qui ont des postes tellement haut placés qu’ils voient tout.

Des gens qui ont des postes tellement haut placés qu’ils savent combien la vie est difficile dans les quartiers.

Des gens qui ont des postes tellement haut placés qu’ils disent qu’il ne faut rien exagérer et ne pas sombrer dans le « tout sécuritaire ».

Des gens du VI° arrondissement très engagés politiquement choqués par les propos racistes d’habitants de HLM de banlieue.

Des gens qui organisent des marches silencieuses dont le silence n’est interrompu que par les radios publiques et privées, les chaînes de télévision câblées et hertziennes, la presse écrite quotidienne, les magazines d’opinion, les sites internet, sans oublier les graffitis sur les murs des régions concernées.

Des gens peu soucieux de soulager la souffrance des familles des victimes, mais qui marchent silencieusement derrière un calicot portant le nom de leur association.

Des gens qui n’organisent pas de marche silencieuse le jour des funérailles d’une femme policier renversée par la voiture d’un délinquant en fuite.

Des gens très engagés et fins analystes politiques effarouchés par les scores d’un parti raciste dans les banlieues ouvrières.

Des gens qui feignent de croire que 18% de la population est raciste.

Des gens très engagés politiquement qui font 4% des voix quand 60% de la population ouvrière les soutenait après la guerre.

Des  gens très engagés politiquement qui se demandent encore pourquoi.

 

 

 

 Ce mur est encore debout, solide, dressé contre les peuples. Contre les vrais peuples, pas ceux des livres, pas ceux des déclarations programmatiques, pas les peuples des philosophes qui nous disent « le Peuple, c’est… ».

Non, le mur est dressé contre des gens tout simples, tout bêtes, ordinaires, des gens de tous les jours. Des gens qui ne savent pas que leur émancipation coïncide avec l’émancipation de l’Humanité toute entière. Des gens qui n’ont pas eu accès au savoir et qui sont tristes car ils le savent. Des gens, aussi, qui n’ont condamné personne, qui n’ont torturé personne. Des gens qui n’ont été complices ni de condamnations ni de tortures. Des gens qui ont des sentiments humains, des lâches, des courageux.

 

Des gens qui ne parlent que pour eux-mêmes.

Des gens qui n’ont pas parlé, pas cité les noms de leurs camarades et qui sont morts.

Des gens qui ont parlé quand on menaçait leur famille.

Des gens dont on ignore le nom qui ont sauté avec la bombe et les rails sur lesquels devait passer un convoi qui allait bombarder des gens.

Des gens qui n’ont pas la Carte dans leur fourre-tout, qui ne la demandent pas aux autres.

Des gens qui, au péril de leur vie, abritèrent discrètement des enfants persécutés.

Des gens méchants qui noient leur misère dans l’alcool.

Des gens qui maltraitent leur femme en revenant du boulot.

Des gens sans le sou qui viennent en aide à n’importe qui.

Des gens qui croient au Ciel.

Des gens qui y croient aussi mais pas au même.

Des gens qui ne croient plus en rien et qui aiment leurs enfants.

Des gens qui tuent leur femme, leurs enfants et qui se donnent la mort.

Des gens qui luttent courageusement, chaque jour, pour survivre.

Des gens qui ne savent plus où aller et qui sont là, en bas de chez toi.

 

Le mur est dressé contre des gens qui n’ont pas lu l’œuvre de Fourier et qui vivent en communauté accrochés à un esquif en Méditerranée.

Des gens qui n’ont pas lu Bakounine car ils reviennent très tard du boulot et qui demandent qu’on mette de l’ordre partout et surtout dans leur quartier.

Des gens qui vivent très bien dans leur quartier où tout le monde est très gentil, mais qui rêvent d’habiter -ailleurs- un petit pavillon avec jardin .

Des gens qui n’ont pas lu « Le Capital » et qui s’embourgeoisent au point de posséder une maison, un jardin, une voiture quelquefois deux.

Des gens qui ignorent totalement que Monsieur Dühring –en fait- n’avait pas bouleversé la science.

Des gens qui ne sont jamais mentionnés dans les traités ou pamphlets politiques.

Des gens qui n’entrent pas dans les cadres philosophico-économico-sociologiques traditionnels estampillés par les Maîtres-Penseurs.

Des gens du voyage par exemple.

Des gens qu’on ne peut pas définir comme faisant partie d’une classe ou d’une nation.

Des Harkis par exemple.

Des gens qui se cachent, qui possèdent tout, qui exercent d’énormes pressions sur le pouvoir et les médias, du moins à ce qu’on dit, et cela m’a été confirmé (discrètement) par la sœur (par alliance) du cousin de l’ex d’un copain de mon voisin de palier.

Des gens comme la sœur (par alliance) du cousin de l’ex d’un copain de mon voisin de palier qui n’est pas antisémite, oh  que non, peuchère, seulement antisioniste.

 

Des gens qui s’aiment.

Des gens qui se cachent pour s’aimer.

Des gens qui se cachent car ce sont des femmes.

Des gens sans religion, sans croix, sans foulard, sans kippa, sans gri-gri d’aucune sorte.

Des gens croyants aussi, chrétiens, juifs ou musulmans, mais calmes, souriants, de compagnie agréable et non dénués du sens de l’humour.

Des gens sans conscience politique particulière mais très attachés à la démocratie.

Des gens courageux, honnêtes, fidèles, travailleurs, animés souvent d’une profonde conscience politique,

Des gens qui, génération après génération, depuis les balbutiements du mouvement ouvrier, depuis un siècle et demi, depuis la Commune de Paris, depuis les Canuts, depuis les grandes grèves, depuis Courrières, depuis le grand, le très grand mois d’Octobre,

Des gens qui, génération après génération, de souffrance en souffrance, fils et filles de rien avec les Lumières pour tout héritage,

Des gens accrochés à la fenêtre de l’Histoire, Anne ma sœur Anne, des gens qui n’ont rien vu venir, pas même une explication, un mot, une consolation. Rien.

Des gens qui ont vu leurs porte-parole briser tous leurs espoirs, qui ont vu leurs révolutions déporter leurs frères,

Des gens de tous les jours.

 

 Oui, le mur est encore debout. Il n’est plus à Berlin. Il n’est nulle part. Il est partout. Total. Totalitaire. Dans les esprits. Il imprègne. Les idées y grimpent comme le lierre autour d’un tronc.  Telles des racines dans l’humus, ses assises plongent dans le tréfonds des âmes. La psychologie des profondeurs n’y pourra rien. Ridicule.

 On peut croire parfois qu’il se lézarde. De toutes parts alors on se précipite, on le consolide, un coup de truelle par ci, une pelletée de béton par là. Qui « on » ? Main d’œuvre nombreuse, rafistoleurs de dogmes, amnésiques professionnels, maîtres-penseurs à la petite semaine, éternels maîtres censeurs, hauts parleurs, béats qui veulent se faire entendre, apôtres du « il faut choisir son camp, camarade ». Beati pauperes spiritu ! Chalamov qui revenait de Sibérie, du fond de la salle du Congrès des écrivains, s’adressait à l’apparatchik de service :

 

« Le mien, c’est la Kolyma, camarade. »

 

 Il en faudra encore des Arthur Chalamov, des Alexandre Soljénitsyne, des Albert Kuntz, des Emile Zola.

 Il en faudra encore des Chevalier de la Barre, des Galilée, des Bruno. Il en faudra encore des Nagy, des Sacco et des Vanzetti.

 Il en faudra encore des soldats inconnus d’une guerre qui n’était pas la leur. Il en faudra encore des inconnus, des millions d’inconnues et d’inconnus courageux que l’histoire n’a pas retenus car l’histoire s‘écrit avec un grand H et napoléon avec un grand N. Majuscules pour les tueurs. Majuscules pour Hitler et pour Staline. On a entendu des gens par ailleurs très bien dire que certain dictateur avait fait aussi de bonnes choses. C’est fou ce qu’on peut raconter loin des camps et du goulag, bien au chaud sous la couette démocratique.

 Il en faudra encore des humiliations et des souffrances pour déconstruire pierre par pierre le mur de l’intolérance.

 Il en faudra encore du courage pour défoncer, écrouler, casser en mille, en dix mille, en cent mille, en millions de morceaux, pour rompre le silence d’un mur qui ne renvoie d’écho que celui d’un discours appris par cœur et de slogans scandés par hauts parleurs.

 Il en faudra de l’intelligence mais les gens en ont, pour défier les vopos de la pensée. Il faudra les désarmer, donner un porte-plume à tout le monde. Car chacun a le droit de parler, ceux de droite, ceux de gauche, ceux de nulle part. La vérité, personne n’en a le monopole. Elle est trop grande pour appartenir à quelqu’un. Elle ne se partage pas. Ceux qui, savants, malins, philosophes, ont cru la détenir, l’ont vue se dérober. Habile la coquine, cruelle aussi parfois, à l’image de l’humanité.

 

 

§