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18/03/2010

Pourquoi taire les crimes du communisme ?

  Poursuivant mon voyage parmi les livres, en voici un que je n'avais pas ouvert depuis quarante ans. Page 14, c'est Lénine qui parle, il fulmine contre Kautsky :

 

« La démocratie prolétarienne est un million de fois plus démocratique que n'importe quelle démocratie bourgeoise ; le pouvoir des soviets est des millions de fois plus démocratique que la plus démocratique des républiques bourgeoises.

Pour ne pas remarquer cela, il faut être consciemment un valet de la bourgeoisie, ou un homme politiquement mort, incapable derrière les poussiéreux livres bourgeois, de voir la réalité vivante, imprégné de préjugés démocratiques bourgeois et, de ce fait, devenu objectivement un laquais de la bourgeoisie. » (1)

 

 Je lisais ces lignes dans les années soixante, et je les approuvais, avide que j'étais -comme des millions d'étudiants de par le monde- de changer la vie. C'était l'époque aussi où l'on pouvait penser que quelque chose de positif s'était passé à l'est, qu'en dépit de la période noire du stalinisme, des points avaient été marqués contre l'injustice sociale, l'égoïsme mercantile, le capitalisme fauteur de guerre... C'était l'époque aussi où dans les cercles universitaires, mais aussi dans le monde ouvrier, la révolution d'octobre était présentée comme l'exemple de ce qu'il fallait réaliser à l'échelle mondiale. C'était l'époque aussi où l'on ne savait pas tout, et quand on en savait un peu on se voilait la face afin de mieux condamner l'impérialisme américain coupable des massacres au Vietnam et de tous les maux à l'échelle planétaire.

 

 Aujourd'hui, imprégné que je suis de préjugés démocratiques bourgeois, et des lectures des écrivains « contre-révolutionnaires » Soljénitsyne, Martchenko, Grossman, Sakharov, London, Daix, regardant vers le passé, je mesure à quel point je me suis trompé, et chose plus grave, comment j'ai pu tromper les autres. Je titre cet article « Pourquoi taire les crimes... », et je réalise qu'en même temps, c'est ma propre bêtise, mon propre aveuglement que je n'ai pas le droit de taire, ne serait-ce que par respect pour celles et ceux qui me connaissent, et qui sont en droit de se demander comment j'ai pu en arriver à condamner aujourd'hui ce que j'adulais hier. N'exagérons rien, je n'adulais personne, et j'avais raison de vouloir changer le monde. J'avais tout faux sur les moyens. Moins que d'autres cependant, quand les chars russes ont écrasé le Printemps de Prague en Août 1968, je n'ai pas gardé le silence comme l'a fait une bonne partie de la gauche. Je m'arrête là. Pour répondre à ceux qui n'ont jamais de mots assez durs pour cataloguer ceux qui ont quitté le terrain de la lutte des classes, je dirai que si j'ai changé d'idées, je suis resté fidèle à mes principes : justice, liberté, démocratie, laïcité, et tout cela sans avoir de comptes à rendre à personne, sans être encarté dans un parti.

 

 Donc pour Lénine, « la démocratie prolétarienne est un million de fois plus démocratique que n'importe quelle démocratie bourgeoise. »

 

§

 

 Les crimes ou appels aux crimes cités ci-dessous sont extraits du Livre noir du communisme .- Stéphane Courtois, Nicolas Werth, Jean-Louis Panné, Andrzej Paczkowski, Karel Bartosek et Jean-Louis Margolin édité chez Robert Laffont, 1997, ouvrage dont j'ai déjà parlé dans un précédent article ; voir les références précises dans les notes.

 

 

  • - Le 9 août 1918 Lénine télégraphia au Comité exécutif de la province de Penza d'enfermer «les koulaks, les prêtres, les Gardes blancs et autres éléments douteux dans un camp de concentration» (2)

 

  • - Parmi les «éléments douteux» à arrêter préventivement figuraient les responsables politiques des partis d'opposition dont la presse avait été réduite au silence et les représentants chassés des soviets;

 

  • - Dans la Pravda du 31 août 1918: «Travailleurs, le temps est venu pour nous d'anéantir la bourgeoisie, sinon vous serez anéantis par elle. Les villes doivent être implacablement nettoyées de toute la putréfaction bourgeoise. Tous ces messieurs seront fichés et ceux qui représentent un danger pour la cause révolutionnaire exterminés...(...) L'hymne de la classe ouvrière sera un chant de haine et de vengeance.» (3)

 

  • - Le même jour, Dzerjinski a déclaré, dans un «Appel à la classe ouvrière»: «Que la classe ouvrière écrase, par une terreur massive, l'hydre de la contre-révolution! Que les ennemis de la classe ouvrière sachent que tout individu arrêté en possession illicite d'une arme sera exécuté sur-le-champ, que tout individu qui ose faire la moindre propagande contre le régime soviétique sera aussitôt arrêté et enfermé dans un camp de concentration!» (4)

 

  • - Le 5 septembre 1918 le gouvernement soviétique légalisa la terreur par le décret «Sur la Terreur rouge»: «Dans la situation actuelle, il est absolument vital de renforcer la Tcheka (...) de protéger la république soviétique contre ses ennemis de classe en isolant ceux-ci dans des camps de concentration, de fusiller sur-le-champ tout individu impliqué dans des organisations de Gardes blancs, des complots, des insurrections ou des émeutes, de publier les noms des individus fusillés en donnant les raisons pour lesquelles ils ont été passés par les armes.» (5)

 

  • - Le 16 mars 1919 les détachements de la Tcheka prirent d'assaut l'usine Poutilov défendue les armes à la main. 900 ouvriers environ furent arrêtés. Au cours des jours suivants près de 200 grévistes furent exécutés sans jugement...

 

 

Si ces déclarations ne suffisaient pas pour convaincre les incrédules de la politique génocidaire du communisme soviétique AVANT STALINE, cette déclaration de Zinoviev en Septembre 1918 est-elle authentique:

 

  • - «Pour défaire nos ennemis, nous devons avoir notre propre terreur socialiste. Nous devons entraîner à nos côtés disons quatre-vingt dix des cent millions d'habitants de la Russie soviétique. Quant aux autres, nous n'avons rien à leur dire. Ils doivent être anéantis.»? (6)

 

  • - La répression de l'insurrection de Kronstadt: plusieurs centaines d'insurgés passés par les armes, en avril-juin 1921, 2103 condamnations à mort et 6459 condamnations à des peines de prison ou de camp;

 

  • - Fusillade de dizaines de milliers d'otages ou de personnes emprisonnées sans jugement et massacre de centaines de milliers d'ouvriers et de paysans révoltés entre 1918 et 1922;

 

  • - Assassinat de dizaines de milliers de personnes dans les camps de concentration à partir de 1918;

 

§

 

 

 Les crimes du fascisme et du nazisme commis avant guerre en Allemagne: persécution des juifs, des communistes, des sociaux-démocrates et démocrates, construction des camps allemands (Dachau, Buchenwald) ont été connus pratiquement en temps réel. Les crimes commis, et le pire de tous, le génocide nazi de 6 millions de juifs, des tziganes et éléments désignés comme asociaux ont été connus avant la fin de la guerre, quant à l'ampleur des monstruosités elle fut révélée au monde quand les troupes alliées ouvrirent les portes des camps. A Nuremberg, qui fut le haut lieu du nazisme, un tribunal international a jugé et condamné les auteurs des crimes, pas tous certes, car nombre d'entre eux avaient eu le temps et les complices nécessaires pour échapper à la justice, mais enfin, ce procès a eu lieu, son rôle éducatif fut incontestable. Dès lors le fascisme, surtout sous sa forme nazie, est devenu le symbole de l'inhumanité. Des milliers de livres ont montré, expliqué, condamné la terreur et l'enfer vécus par les peuples des pays occupés par l'armée allemande. Les programmes et manuels scolaires ont montré aux jeunes générations ce qu'était la bête immonde, des millions d'élèves des pays d'Europe se sont rendus avec leurs professeurs sur les lieux du crime, d'autres ont entendu des témoins, des rescapés de la déportation. En France, chaque année des élèves visitent le camp de Drancy, se rendent au Mémorial de la Shoah, au Struthof. Récemment, un président a demandé aux enseignants de lire la dernière lettre d'un jeune héros de la résistance aux occupants nazis. Des poèmes, des chansons ont été composés par les plus grands artistes, des films ont été tournés, il n'est pas un seul grand cinéaste qui n'ait abordé cette tragédie, certains avec un talent extraordinaire, je pense à .... (Holocauste), à Claude Lanzmann (Shoah), Alain Resnais (Nuit et brouillard), Spielberg (La liste de Schindler), Benigni (La vie est belle) et bien d'autres... Chaque année, des commémorations rassemblent, autour de gens qui ne peuvent pas oublier, d'autres qui ne le veulent pas. Et si par malheur, animés par le racisme ou l'antisémitisme, des nostalgiques du nazisme, révisionnistes de l'histoire et négationnistes du génocide s'expriment dans les médias ou par la publication d'articles ou de livres, la loi aujourd'hui permet de les traduire en justice.

 

 Savoir si la somme de toutes ces énergies mobilisées contre la barbarie saura empêcher le retour de celle-ci, si les jeunes générations sauront maintenir haut le flambeau de la liberté et de la démocratie, par respect pour nos enfants et petits enfants, nous n'avons pas le droit d'en douter.

 

 Maintenant que ces choses-là sont dites, on peut s'étonner qu'il fallût attendre les années soixante et soixante-dix pour que les crimes commis à l'est, en Russie soviétique fussent révélés au public. Deux poids, deux mesures. Pourquoi ? J'ai écrit dans un article précédent que la comparaison du nombre des victimes du nazisme et du communisme, sorte de tableau de chasse des totalitarismes du vingtième siècle, n'avait aucun intérêt. Je disais que cette comparaison contribuait à relativiser le meurtre organisé et planifié de six millions de juifs par les nazis, crime qualifié par certains antisémites « de guerre » ou de « détail de l'histoire ». La folie meurtrière des tyrans du vingtième siècle ne se juge pas seulement au nombre des victimes, mais aussi aux souffrances, aux vexations, aux déportations forcées, aux tortures, aux persécutions, aux dénonciations, aux menaces, à l'enfermement, aux privations de toutes sortes, surtout des libertés, à la surveillance continuelle, à la peur de la police secrète, jusqu'à la méfiance vis-à-vis du voisin, de l'ami.

 

 Les deux systèmes ont été à l'origine d'une tragédie sans précédent dans l'histoire, leurs Führer ou Petit Père des peuples ont fait régner la terreur sur un continent et au-delà. Quand il était midi pour un détenu au Struthof en Alsace, il était minuit pour le détenu de la Kolyma en Sibérie orientale. Sur deux continents, il était bien minuit dans le siècle. L'univers concentrationnaire fut un empire où pendant des années le soleil ne se coucha pas. De la côte atlantique à l'extrême est sibérien, femmes, hommes et enfants furent persécutés parce qu'ils étaient nés, parce qu'ils étaient Juifs, Tziganes, Ukrainiens, Baltes, Moldaves, Bessarabiens, Allemands de la Volga, Tatars, Tchétchènes, Ingouches. D'un bout à l'autre du continent, des démocrates, des socialistes, des communistes, des anarchistes, des gens sans parti avides seulement de liberté, des dissidents, des résistants ont accompagné ces innocents dans les camps de travail forcé, de concentration ou d'extermination. L'ampleur du crime est si bien partagée des deux côtés qu'on peut se demander si la différence, l'opposition déclarée des programmes politiques entre les deux systèmes garde une valeur pour les sciences politiques. Après tout, un mort est un mort, qu'il ait été assassiné d'un coup de crosse par un SS, ou d'une balle dans la nuque par un agent du Guépéou. Des villages ont été rasés et leurs villageois brûlés par des divisions SS près de chez nous, et plus loin et bien avant, en 1918 en Russie soviétique, au temps de la Terreur Rouge des villages furent le lieu d'atrocités.

 

 Et pourtant, deux poids, deux mesures. Les crimes commis par les nazis furent condamnés, mille fois condamnés. Les crimes commis au nom du communisme : tus, cachés, pire : excusés, atténués, relativisés. A peine révélés, déjà oubliés. Pourquoi ?

 

 En 1968, quand un trotskyste se déclarait solidaire du Printemps à Prague, des militants de l'Union des Etudiants Communistes l'accusaient d'être un agent de la CIA. Bien avant, en 1956, quand les ouvriers hongrois s'insurgeaient contre le régime stalinien, les partis communistes les accusaient d'être des contre-révolutionnaires, et les intellectuels prétendument éclairés en Occident se taisaient, comme ils se sont tus pour la plupart quand de courageux dissidents soviétiques tentaient d'alerter l'opinion internationale sur les persécutions des opposants. Les révélations des Soljénitsyne, Chalamov, Poretsky, Plioutch ont été tièdement accueillies, et pas seulement par les tenants de l'idéologie officielle, mais aussi par une bonne partie de l'opinion, intellectuels en tête, union de la gauche et programme commun obligent.

 

 Mais l'union de la gauche n'explique pas tout. Il y a des causes plus profondes, qui ont des racines plus anciennes. Le communisme est un courant du mouvement ouvrier qui a été porteur d'une espérance pour des millions d'hommes à l'échelle planétaire. De la Commune de Paris à la révolution d'octobre 1917, les révolutionnaires inspirés du marxisme, du socialisme ou d'idées libertaires ont lutté pour une société débarrassée de l'exploitation et de la misère. En Allemagne, en France, dans la plupart des pays d'Europe, en Amérique du nord, le mouvement ouvrier s'est construit, nourri de la théorie de la lutte des classes élaborée par Marx et Engels. L'origine du communisme est là, non pas enfermée dans un livre, mais ancrée dans l'histoire des luttes ouvrières, le développement du syndicalisme, de l'internationalisme prolétarien. Rien de comparable avec le fascisme ou le nazisme qui n'ont d'autres racines que la culture de la haine et comme têtes pensantes les théoriciens de la supériorité d'une race sur le reste du monde. Nous sommes placés devant ce paradoxe : le communisme est dans l'histoire des idées, celle qui a été pour des millions d'individus à l'échelle planétaire la plus porteuse d'espoir, et pour cette raison précisément, celle qui pouvait excuser la pire des escroqueries. On condamne la préméditation, le malfaiteur, le criminel par intérêt. On dit qu'il a le mal dans la peau. Mais on pardonne à celui qui fait du mal sans l'avoir voulu, au maladroit animé de bons sentiments. Pour nombre d'observateurs -pas toujours objectifs il faut le dire- le communisme n'est pour rien dans les crimes qui ont été perpétrés en Russie, dans les pays de l'est européen, en Chine, en Corée, au Vietnam, au Cambodge, à Cuba, ce qui est en cause c'est son application. Il est facile de répondre par une question : pouvez-vous citer un pays où le système communiste aurait été expérimenté sans commettre de crimes ?

 

 Mettre en cause l'URSS, c'était s'en prendre au communisme, donc au mouvement ouvrier tout entier. En religion, cela s'appelle sacrilège, blasphème. En politique, reniement, trahison.

Reniement, renégat, voilà un terme qui traduit parfaitement le jugement sans appel qui est porté sur ceux qui un jour ou l'autre susurrent une critique, ou élèvent carrément la voix, voir la violence avec laquelle Lénine rejetait les critiques qui étaient adressées par d'anciens compagnons de route au pouvoir bolchevik (7). Les idées totalitaires ont toutes leurs renégats, puisque par définition, elles se suffisent à elles-mêmes et ne souffrent aucune discussion. Regardez comment les fondamentalistes de l'Islam regardent les plus modérés, sans parler des pires de tous, ceux qui quittent le navire, les apostats.

 Les communistes qui élevaient la voix en URSS et dans les démocraties populaires étaient soient passés par les armes, soient déportés, en tous les cas contraints à des aveux de crimes qu'ils n'avaient pas commis. Ils étaient (le mot est apparu du vivant de Lénine) des ennemis du peuple. Ce qui justifiait la pire des punitions.

 

 En 1989 le mur de Berlin a cédé devant l'assaut des peuples, emportant avec lui le rideau de fer qui partageait le continent, maintenant sous le joug totalitaire des millions d'Européens. Le communisme aurait-il fait long feu ? Ce n'est pas certain. En tout cas, pas dans les esprits. Il y a la crise du capitalisme et ses conséquences dramatiques pour les peuples sur cinq continents, au nord et au sud, la misère, le chômage, le désespoir. Voilà revenus les ferments qui alimentent les idéologies les plus extrêmes, idéologies qui n'ont nul besoin de développer des discours alambiqués pour convaincre des gens qui, n'écoutant plus personne, risquent d'accorder foi au slogan du premier bonimenteur venu. Il a suffi de quelques milliers de révolutionnaires professionnels pour venir à bout de deux cent millions d'hommes en Russie, à quelques centaines d'illuminés antisémites et revanchards allemands pour mettre le feu à l'Europe. Plus que jamais en temps de crise, la démocratie est à défendre, et pour cela, il faut oser regarder le passé, en tirer tous les enseignements, ne rien cacher, même si parfois pour certains, et j'en suis, c'est un effort douloureux.

 

§

 

 

(1) Lénine.- La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky ;

(2) Lénine.- Polnoie sobranie socinenii, Œuvres complètes, vol. L, p.143 ;

(3) Pravda, 31 août 1918 ;

(4) Izvestia, 3 septembre 1918 ;

(5) Izvestia, 10 septembre 1918 ;

(6) Severnaia Kommuna n°109, 19 septembre 1918 ;

(7) La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky ;

 

07/03/2010

Le livre noir du communisme

 Depuis 1994, la fuite des balseros embarqués sur des coquilles de noix (balsas, radeaux de fortune) n'a pas cessé. 

« Castro a aussi tenté de freiner ces fuites en envoyant des hélicoptères bombarder les frêles embarcations avec des sacs de sable. Près de 7000 personnes ont péri en mer au cours de l'été 94. Au total on estime qu'un tiers des balseros sont morts au cours de leur fuite. En trente ans, près de 100.000 cubains ont tenté l'évasion par mer. Au total les divers exodes font que Cuba compte actuellement 20% de ses citoyens en exil. »

 d'après Le livre noir du communisme.- Stéphane Courtois, Nicolas Werth, Jean-Louis Panné, Andrzej Paczkowski, Karel Bartosek et Jean-Louis Margolin édité chez Robert Laffont, 1997.

 A prendre donc avec des pincettes, car on se doute bien que de tels ragots ne peuvent avoir été répandus que par la CIA et l'impérialisme international. Ceux qui désirent être informés objectivement de la réalité cubaine auront recours à la littérature communiste officielle, cela va sans dire. 

 D'ailleurs, les touristes français de retour de Cuba sont toujours enchantés de leur voyage. Ce n'est pas une preuve, ça, de la bonne santé du régime castriste ? Si toutefois la vie du peuple cubain n'est pas à l'image de ce que le Guide avait promis, n'est-ce pas à cause des privations engendrées par le blocus de l'impérialisme américain ? 

 Anticommunisme primaire, encore et toujours. Preuve en est, ce même « livre noir » nous invente des crimes qui auraient été perpétrés par Staline, y compris contre des membres de son propre parti ! Sans parler de prétendus millions de morts suite à des déportations massives d'innocents dans des camps sibériens... Des révoltes ouvrières auraient secoué les démocraties populaires en 1953, 1956, 1968, révoltes qui d'après ces mêmes auteurs auraient été écrasées par l'armée rouge ! Mais où vont-ils chercher tout ça ? 

 Intrigué par ces catastrophes décrites avec une précision d'horloger dans ce gros pavé (1094 pages ! en Pocket) avec force crimes, terreur et répression, et chiffres, bien sûr, chiffres, nombre de victimes du communisme depuis 1917 jusque dans les années 90 et sur quatre continents, je me dirigeai vers l'encyclopédie en ligne Wikipedia. 

 Le livre noir du communisme y est présenté en détail (1), ainsi que les polémiques qu'il a suscitées. 

Trois niveaux de critiques : 

1/ le nombre des victimes  surévalué;

2/ l'idéologie communiste jugée seule responsable ;

3/ la similitude établie entre crimes communistes et crimes nazis ;

 

1/ Les chiffres d'abord.

 

  Stéphane Courtois calcule pays par pays (en millions de morts):

 

- URSS                       20

- Chine                       65

- Vietnam                     1

- Corée du nord           2

- Cambodge                 2

- Europe de l'est          1

- Amérique latine         0,15

- Afrique                      1,7

- Afghanistan               1,5

- autres                        0,01 

pour un total d'environ 94 millions de morts que l'auteur arrondit à 100.

Pour Nicolas Werth et Jean-Louis Margolin co-auteurs du livre (Le Monde du 14 novembre 1997),  il s'agit d'

« un chiffrage des victimes du communisme abusif, non clarifié (85 millions ? 95 ? 100 ?), non justifié, et contredisant formellement les résultats des coauteurs sur l'URSS, l'Asie et l'Europe de l'Est (de leurs études, on peut tirer une « fourchette » globale allant de 65 à 93 millions ; la moyenne 79 millions n'a de valeur que purement indicative). »

Pour N. Werth il y aurait eu quinze millions de victimes en URSS (et non pas 20) ;

J.-L. Margolin explique « qu'il n'a jamais fait état d'un million de morts au Vietnam », On ne lit nulle part ce chiffre en effet. Page 808, il est question de 500.000 à 1 million de « rééduqués ». Certes, vu les conditions de détention (p.809) : soins médicaux minimes, sous-alimentation, entassement, violence des châtiments, climat tropical, manque d'aération, odeurs insupportables, maladies de peau...il est probable que le nombre de victimes fut très important. A ce propos, il est intéressant de souligner que les victimes ne sont pas exclusivement des « traîtres »: il y a aussi des membres du FNL et des communistes (originaires du sud capitaliste) (2).

Certes, comme l'écrit Laurent Joffrin (Libération, 17 décembre 1997) :

« la contestation des chiffres est dérisoire : à 50 ou 60 millions de morts au lieu de 80, le communisme deviendrait-il présentable ? »

2/ l'idéologie communiste jugée seule responsable ;

 Pour Jean-Louis Margolin :

 « Même si le terreau communiste peut aboutir aux crimes de masse, le lien entre doctrine et pratique n'est pas évident, contrairement à ce que dit Stéphane Courtois »

 

 Le lien entre doctrine et pratique : ne pas confondre la doctrine communiste et les applications qui en ont été faites. Ayant été moi-même trotskyste, je crois bien connaître les arguments qui justifient cette thèse :

 

1/ La révolution d'Octobre s'est faite dans un pays arriéré, non encore industrialisé, épuisé par la guerre et qui plus est, après l'échec de la révolution allemande, isolé  =  voici comment on justifie la prise du pouvoir par un parti ultra minoritaire, la guerre civile, les réquisitions, la répression des soulèvements, même populaires, le bâillonnement de l'opposition, le parti unique et la dictature ;

 2/ Ne pas confondre communisme et stalinisme : Staline comme représentant d'une caste bureaucratique qui a usurpé le pouvoir, est le fossoyeur de la révolution bolcheviste. 

« Les masses ouvrières affamées, incultes, saignées, n'ayant pas la possibilité de contrôler l'état prolétarien, perdent les moyens de ce contrôle. Ceux qui gèrent deviennent des bureaucrates qui s'élèvent désormais au-dessus des masses et constituent une « caste » privilégiée « administrant » contre le prolétariat et les masses paysannes, les conquêtes d'Octobre. » (3)

 Les thèses de Marx, Engels et Lénine ne seraient donc aucunement en cause dans les crimes perpétrés en URSS et dans les démocraties populaires : pour les trotskystes, Staline et la bureaucratie soviétique seraient seuls responsables.

 Courtois répond en citant Léon Blum à Tours en 1920, s'adressant à ses camarades socialistes qui allaient fonder le PCF :

"Votre dictature (en URSS, NDLR) n'est plus la dictature temporaire. (...) Elle est un système de gouvernement stable, presque régulier dans votre esprit. (...) C'est dans votre pensée un système de gouvernement créé une fois pour toutes. (...) Vous concevez le terrorisme comme moyen de gouvernement."

 Si Jean-Louis Margolin entend séparer la doctrine de son application sur le terrain, il faut bien reconnaître que nulle part dans les œuvres de Marx et Engels il n'est question d'un appel au crime. Par contre, toute l'histoire n'ayant été -d'après Marx- qu'une histoire de luttes entre les classes, il était logique de penser que le passage au socialisme ne pût se faire que par l'instauration d'une dictature (la dernière) de la classe dont la libération devait coïncider avec celle de l'humanité tout entière : la dictature du prolétariat. Nombre de pourfendeurs de la thèse du livre noir argumentent dans ce sens. On ne fait pas d'omelette sans casser des œufs, les révolutions connaissent toutes des périodes de terreur, c'est inéluctable. La faute à qui ? A la classe des exploiteurs, accrochée qu'elle est au capitalisme, garant de la pérennité de ses privilèges. Et cela nous conduit à mieux comprendre l'objection de  Jean-Louis Margolin :

« Cela [l'analyse de Stéphane Courtois] revient à enlever son caractère historique au phénomène. »

Ainsi, Gilles Perrault demande pourquoi Nicolas Werth n'évoque pas « l'interventionnisme étranger acharné à juguler la jeune révolution bolchevique ? »

Faux. Troisième chapitre. La terreur rouge. Page 103 et suivantes, il est bien question de la mise en cause de la révolution par l'interventions de troupes étrangères :

 « Jamais les bolcheviks n'avaient senti leur pouvoir aussi menacé qu'autour de l'été 1918. Ils ne contrôlaient en effet plus guère qu'un territoire réduit à la Moscovie historique, face à trois fronts anti-bolcheviks désormais solidement établis : l'un dans la région du Don, occupée par les troupes cosaques de l'Ataman Krasnov, et par l'armée blanche du général Denikine ; le deuxième en Ukraine aux mains des Allemands et de la Rada (gouvernement national) ukrainienne ; le troisième le long du transsibérien où la plupart des grandes villes étaient tombées sous la coupe de la légion Tchèque, dont l'offensive était soutenue par le gouvernement socialiste révolutionnaire de Samara. »

Non seulement Nicolas Werth n'escamote pas l'interventionnisme étranger, mais, et c'est tout l'intérêt de ce livre, il révèle des événements extrêmement importants qui eurent lieu à l'intérieur même du « champ de bataille » : le jeune pouvoir bolchevik fut mis en difficulté à l'intérieur du pays par des révoltes et l'insoumission de pans entiers de la population.

« (...) près de cent quarante révoltes et insurrections de grande ampleur éclatèrent durant l'été 1918 ; les plus fréquentes étaient le fait de communautés paysannes refusant les réquisitions menées avec brutalité par les détachements de ravitaillement, les limitations imposées au commerce privé, les nouvelles mobilisations de conscrits pour l'Armée Rouge. Les paysans en colère se rendaient en foule à la ville la plus proche, assiégeaient le soviet, tentant parfois d'y mettre le feu. Généralement les incidents dégénéraient : la troupe, les milices chargées du maintien de l'ordre et, de plus en plus souvent les détachements de la Tcheka n'hésitaient pas à tirer sur les manifestants. » (4)

(J'imagine les hurlements des communistes et de l'extrême gauche aujourd'hui si Sarkozy envoyait la troupe tirer sur les paysans en colère, eux qui jugent liberticide une loi interdisant aux enfants non accompagnés de sortir la nuit... Bon, un peu d'humour ne fait pas de mal dans ce monde de brutes ! Je me reprends...)

Outre le fait qu'il est curieux qu'une révolution populaire soulève contre elle le peuple lui-même, on est en droit de s'étonner qu'une révolution populaire ne doive sa survie qu'à une violation flagrante des droits de l'homme : l'auteur rapporte les propos de Lénine (adressé au Comité exécutif du soviet de Penza):

« Camarades ! Le soulèvement koulak dans vos cinq districts doit être écrasé sans pitié. Les intérêts de la révolution tout entière l'exigent, car partout la « lutte finale » avec les koulaks est désormais engagée. Il faut faire un exemple.

1/ Pendre (je dis pendre de façon que les gens le voient) pas moins de cent koulaks, richards, buveurs de sang connus.

2/ Publier leurs noms.

3/ S'emparer de tout leur grain.

4/ Identifier les otages comme nous l'avons indiqué dans notre télégramme hier. Faites cela de façon qu'à des centaines de lieues à la ronde les gens voient, tremblent, sachent et se disent : ils tuent et continueront à tuer les koulaks assoiffés de sang. Télégraphiez que vous avez bien reçu et exécuté ces instructions. Vôtre, Lénine. » (5)

3/ la similitude établie entre crimes communistes et crimes nazis ;

S'il s'agit d'une compétition visant à évaluer le nombre de morts dans les deux camps, non seulement je ne vois aucun intérêt à la chose, mais cette réduction à deux camps me paraît illégitime. Pourquoi ne pas évoquer cette boucherie qui entre 1914 et 1918 a ravagé l'Europe tout entière ? Le capitalisme n'en est-il pas responsable ? Et les massacres et génocides en Amérique, en Afrique, en Asie, les pays colonisateurs n'en sont-ils pas responsables ?

Foin des statistiques, le problème n'est pas là. C'est même un terrain dangereux. Certains esprits mal intentionnés pourraient disculper les nazis d'avoir déporté, torturé et exterminé moins de personnes que n'en a tuées la guerre de 14.

 Il serait plus pertinent -et éducatif-, mettant de côté les chiffres, de montrer comment chacun des deux systèmes, le fasciste et le communiste, ont réussi à museler des peuples, à supprimer toutes les libertés, à dénoncer, à déporter, à tuer des populations entières. Le Livre noir n'aborde cette question que du côté communiste, j'y reviendrai ultérieurement sur ce blog.

Ces quelques mots de Nicolas Werth (un des auteurs du livre) font réfléchir :

« le crime est certes une composante essentielle [du communisme], mais le mensonge qui a permis l'occultation de la terreur me paraît plus central que le crime lui-même. » (6)

 L'occultation de la terreur, le nazisme ne l'a réussie que partiellement, et les efforts des négationnistes, islamistes et néo-nazis d'aujourd'hui ne sont rien d'autre que pitoyables.

 Il en va tout autrement des crimes du communisme qui ont été cachés au monde pendant plusieurs dizaines d'années. Le mensonge en a effectivement été une composante essentielle. Comment ce mensonge a-t-il été possible ? J'y reviendrai.

 

  • (1) Le livre noir du communisme, un article de Wikipédia, l'encyclopédie libre.
  • (2) Qu'on se rappelle le traitement qui avait été infligé par Staline aux soldats soviétiques de retour d'Allemagne.
  • (3) Pierre Foulan.- Introduction à l'étude du marxisme, in Documents de l'Organisation Communiste Internationaliste n°4, date d'édition non précisée, début des années 80?
  • (4) L.M.Spirin, Klassy y partii v grazdanskoi voine v rossii (classes et partis dans la guerre civile russe) Moscou 1968, p.180 et suiv.
  • (5) Centre russe de conservation et d'étude de la documentation historique contemporaine 158/1/1/10
  • (6) Wikipédia, op.cit.

28/02/2010

A Cuba, on emprisonne et on tue.

 

Ce qui est effrayant dans cette histoire

N'est pas que j'aie voulu

Jadis donner ma vie

Mais bien qu'aujourd'hui

Ils veuillent me l'ôter.

 

 

 

Sous le titre « Socialisme réel » ces lignes ont été écrites par Raul Rivero poète et journaliste. En 1995 il avait fondé l'agence Cuba Press qui ne comptait dans ses rangs que des professionnels qui exerçaient leur métier en dehors du contrôle de l'état. En 1997 il reçut le Prix international de Reporters sans Frontières pour son combat en faveur de la liberté de la presse. Il est l'auteur de nombreuses œuvres poétiques.

 

 Aujourd'hui, il est en prison. Il a été jugé le 04 avril 2009 avec son ami Ricardo Gonzalez Alfonso. Ce dernier, accusé d'être un « agent à la solde des Etats-Unis » fête cette année son 60° anniversaire en captivité. D'après RSF, vingt cinq journalistes sont actuellement détenus à Cuba. Dix neuf d'entre eux ont été arrêtés lors du « Printemps noir » (1) et condamnés à des peines allant de 14 à 27 ans de prison.

 

 Il y a quelques jours, le prisonnier politique Orlando Zapata, plombier-maçon, noir de peau, âgé de 42 ans, est mort. D'après le Nuevo Herald,  cet opposant à la dictature était « condamné au total, à 36 années de prison pour désordre public, il avait refusé de s'alimenter le 3 décembre dernier pour protester contre ses conditions de détention ». D'après sa mère, il ne restait plus sur son cadavre « que la peau sur les os ». « C'est un assassinat prémédité -dit-elle- , le pouvoir voulait en finir avec lui. »

 

 

 

Puisqu'on nous dit qu'il est impossible qu'un état socialiste prive de leur liberté des citoyens innocents,

 

Puisqu'on nous dit que les dissidents ne sont pas des citoyens comme les autres, qu'ils sont des agents l'ennemi impérialiste,

 

Puisqu'en Occident, les agences nous invitent encore et toujours à découvrir leurs formules de voyage vers La Havane destination de rêve, (2)

 

Puisqu'en Occident, les responsables politiques ont l'ouïe défaillante et n'entendent pas les mots, les cris des personnes emprisonnées,

 

Puisque enfin les appels, les déclarations, les communiqués ne suffisent pas,

 

il nous reste les mots du poète :

 

 

 

« Un spécialiste des interstices est venu

un critique littéraire ayant provisoirement grade de caporal

qui a ausculté de la pointe de son pistolet

le dos des livres de poésie.

 

Huit policiers

dans la maison

avec un mandat de perquisition

une opération propre

une victoire complète

de l'avant-garde du prolétariat

qui a confisqué ma machine à écrire Consul

cent quarante-deux pages blanches

et un tas de paperasses tristes et personnelles

qui était ce que j'avais de plus périssable

cet été. »

 

 

§

 

 

Ces quelques vers ainsi que ceux reproduits en haut de page ont pour auteur Raul Rivero aujourd'hui emprisonné, et sont extraits de l'anthologie des poètes censurés à Cuba sous le titre :

 

Anthologie de la poésie cubaine censurée,

 

proposée par Zoé Valdés, éditée par Gallimard avec la collaboration de Reporters sans frontières et de la FNAC en 2002.

 

 

 

(1) à ne pas confondre avec le Printemps de Prague !

(2) cela peut rappeler quelques souvenirs aux plus âgés d'entre nous, quand des intellectuels français dans les années quarante et cinquante revenaient enchantés de leurs voyages en URSS et dans les démocraties populaires...