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26/02/2014

Coup d'état ? Non Sire, révolution !

 

 Ukraine. Il y a des mots à souvenirs. Des mots qui sonnent, qui alertent. Mon père me disait que les Ukrainiens avaient accueilli l’armée allemande à bras ouverts. Qu’ils pratiquaient un antisémitisme actif. Il est vrai qu’à l’occasion d’une guerre on raconte beaucoup de choses. Après j’ai lu les récits des survivants des camps qui rappelaient la cruauté des kapos souvent ukrainiens. Bref, voilà matière à bien des préjugés, alimentés par le penchant qui est le nôtre et je ne suis pas le dernier à toujours faire des généralisations risquées.  

 La sortie du XX° siècle est difficile. Les idéologies totalitaires ont tendance à survivre aux régimes qu’elles ont façonnés, au moins dans l’esprit. Combien de fois n’entendons-nous pas : les allemands ceci, les italiens cela, les français aussi sont pris comme s’il n’y en avait qu’un multiplié par des millions. Il faut rompre avec cette idée dangereuse qu’un peuple est un être responsable, un corps unique capable de tout, du meilleur comme du pire. J’ai entendu qu’il n’est pas étonnant que les allemands aient suivi Hitler comme un seul homme. Quelle absurdité ! Parler ainsi, c’est ignorer ce que des millions de personnes ont enduré sous un régime qu’elles avaient, pour nombre d’entre elles, combattu avec courage. Pourrait-on aussi accuser les Russes d’avoir instaurer le système concentrationnaire en Sibérie, alors que nombre d’entre eux y sont morts ? Accuser les Français de collaborationnisme, alors qu’il y eut la résistance, les fusillés et les justes ? 

 L’Ukraine mot à souvenirs certes, mais la joie de ces gens qui chassent le chef d’un régime corrompu n’appelle aucune réserve sur la sincérité de leur combat. C’est une révolution. Son issue est incertaine. Mais quel bonheur de voir des gens jusque là méprisés prendre possession de leur pays. Avec dignité ils visitent la résidence du président déchu, en faisant attention, touchant avec les yeux comme disait ma grand-mère. Derniers vestiges du communisme, ces  richesses qui reviendront au domaine public, sont celles qu’une caste ou quelques familles se sont attribuées, les prélevant sur les autres, c’est-à-dire sur quarante millions d’habitants. On avait vu la même chose en Roumanie et en Russie bien sûr. Mais aussi et j’en suis témoin dans l’ancienne Yougoslavie, dont on disait beaucoup de bien dans les milieux éclairés, que le communisme y était sympathique, à visage humain. Des amis m’avaient conduit aux abords de la résidence de Tito que je n’avais pas pu admirer tellement elle était loin de l’entrée du domaine, mais ce que j’avais remarqué c’était la qualité de la route, un macadam impeccable, alors qu’ailleurs, là où circulaient les gens… Lénine avait prédit l’instauration du communisme quand une cuisinière dirigerait le pays, c’était bien sûr une image. Ce sont les peuples qui ont été cuisinés.  

 Une chose m’étonne, pourquoi ce silence de cette partie de l’échiquier politique pourtant toujours à l’affût de tout ce qui de près ou de loin ressemble à une révolution ? Cela aussi rappelle des événements terribles, et des silences qui le furent encore plus, quand les troupes du pacte de Varsovie écrasèrent les révolutions dans les pays d’Europe de l’est, Allemagne orientale (1953) et Hongrie (1956). On nous disait, et pas seulement les communistes, que ce n’étaient que soulèvements contre-révolutionnaires fomentés par les ennemis du peuple. Le revoilà le « peuple », entité absolue œuvrant comme un seul homme à l’édification de la société future avec l’aide des chars des peuples frères. Et les honnêtes gens d’ici, pas forcément d’ailleurs dans les milieux intellectuels devaient se taire pour éviter d’être considérés comme des complices du diable américain. Si l’Ukraine s’extirpe difficilement du carcan communiste, ce pays ne l’est plus, communiste, et le sera moins encore si cette révolution réussit. Mais ce qui gêne nos révolutionnaires de salon, c’est que cette révolution là n’appelle pas mais alors pas du tout un régime des soviets. Les gens qui ont chassé le régime corrompu demandent peu de chose, et c’est déjà beaucoup : la démocratie. Et mieux encore : se rapprocher de l’Europe. HORREUR ! Oh les vilains, c’est aussi monstrueux que s’ils avaient proclamé leur envie d’Amérique. A l’extrême gauche qui eut autrefois ses heures de gloire, c’est aujourd’hui la traversée du désert, elle connaît une grave crise de recrutement, il lui faut chercher des boucs émissaires, montrer du doigt l’ennemi afin de séduire les victimes de la crise. Et voilà un ennemi désigné : l’Europe. Alors imaginez leur désarroi de voir les insurgés ukrainiens tourner leurs regards vers Satan ! Nos extrêmes politiciens auront toutefois du grain à moudre, l’Ukraine révolutionnaire aura un réveil difficile, le pays est surendetté et économiquement tributaire de la Russie.  

 Il faut ajouter, ce n’est réjouissant pour personne, la présence de l’extrême droite parmi les acteurs du soulèvement. Croix gammées, ambiance nazie, un air connu et pas seulement en Ukraine suivez mon regard. Mais à qui fera-t-on croire que les millions d’ukrainiens qui ont participé ou soutenu ce mouvement de fond sont manipulés par des fascistes ? Les analystes professionnels qui insistent sur la présence des croix gammées n’ont rien compris –ou feignent d’ignorer- ce qui se passe en Ukraine.  

 Et comme ceux qui prédisent le pire ont raison un jour ou l’autre, ils pourront toujours dire qu’ils avaient raison de ne pas s’émerveiller et se donneront des airs de gens raisonnables. On aura du mal à les croire, car nous avons changé de siècle et nous écoutons plus distraitement les sirènes qui nous promettent le bonheur en échange d’une adhésion. 

 En attendant, le soleil s’est relevé à l’est, et ça fait du bien.  

 

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17/03/2013

Incorrigibles

 

 Oui ils le sont. Au mieux ils se taisent. Au pire ils l’encensent. Chavez. Un dictateur comme on voudrait qu’il y en eût beaucoup ? Ils se moquent de nous et des vénézuéliens. Ou alors ils rêvent. Comme les petits enfants ils inventent un monde qui n’existe pas.  

 Souvenez-vous. Leur silence fut remarquable lors de l’investiture d’Ahmedinejad en Iran. Chavez le félicitait. Silence généralisé alors à gauche, sans parler de l’extrême… J’ai cru comprendre aussi que nos démocrates à sens unique ne disaient mot des atteintes à la démocratie au Venezuela.  

 Nos politiciens de gauche sont les rois du silence. On aurait pu espérer qu’avec le mur de Berlin, les vieilles coutumes staliniennes s’effondreraient aussi. L’époque où il fallait s’abstenir de soutenir les ouvriers hongrois réprimés par les chars soviétiques, éviter de lire ces livres ennuyeux (dixit Marchais) du contre-révolutionnaire Soljenitsyne, bref toutes ces choses inventées de toutes pièces par l’impérialisme il fallait les taire, c’était presque un devoir, et plus encore un hommage à rendre au grand frère soviétique. Les socialistes scotchés sur l’union de la gauche n’étaient pas en reste, ils n’ont pas brillé à l’époque en discours enflammés condamnant goulag, internements en hôpitaux psychiatriques, écrasement du printemps de Prague. En politique, il faut savoir se taire à l’occasion, ils l’ont parfaitement compris.  

 Et je ne parle pas seulement du personnel politique. Je regarde autour de moi, toujours surpris de voir avec quel empressement de bons amis condamnent le moindre écart vis-à-vis des droits de l’homme quand il s’agit des USA, d’Israël, du Royaume-Uni, de l’occident en général. Et comment les mêmes restent silencieux quand il s’agit de crimes commis par des dictatures. La Chine ferait disparaître le Tibet qu’ils ne diraient mot. Les mêmes qui, ici, nous saoulent avec leur obsession de la diversité culturelle et le respect dû aux minorités religieuses ne trouvent pas les mots pour condamner le totalitarisme chinois. Et vas-y que je me promène à Cuba –un état qui emprisonne les opposants au régime y compris les poètes. A quand des destinations touristiques en Corée du nord et en Iran ?  

 Ils sont incorrigibles. On se penche avec compassion sur le douloureux problème de l’extinction progressive et inexorable du parti communiste. Mais vraiment il n’y a pas de quoi verser une larme. Le parti disparaît, mais son idéologie est toujours active, vivante, dynamique. Dans les médias certes, mais aussi dans l’esprit des gens, à gauche bien sûr, mais à droite et à l’extrême droite car l’américanophobie est là et bien là. Le US GO HOME a fait des petits. New York s’embraserait, l’indignation serait moins grande qu’elle ne le fut quand furent diffusées les images de sombres brutes de l’armée américaine tenant en laisse des prisonniers irakiens. Maudire l’Amérique c’est toujours sympathique, le dimanche entre la poire de nos vergers et le fromage bien de chez nous. 

 Comme ils n’ont plus rien à espérer du côté du levant, comme les théories de la libération n’ont abouti qu’à des dictatures, comme les peuples ont compris que ces gens-là n’étaient pas de leur monde, comme ils n’ont rencontré la misère que dans les livres et encore pas toujours, pour donner du corps à leur discours, ces gens cherchent des boucs émissaires. Depuis leurs cinq pièces du sixième arrondissement, ils lancent des anathèmes contre les forces réactionnaires du monde entier, et vont même jusqu’à dire qu’ils n’aiment pas les riches. Désigner l’ennemi dans une situation de crise est un jeu d’enfant, le choix est large. Et les préjugés xénophobes tenaces leur donnent un bon coup de main. 

 Les personnes dont je parle sont les survivants –parfois inconscients- d’une déflagration qui a ébranlé l’univers : le marxisme.  Enorme météore tombé du ciel, cette philosophie qui devait éclairer les esprits et le monde n’a fait que soulever un énorme nuage de poussière qui nous a trop longtemps rendus aveugles. Nous n’avons rien vu venir, car l’idée était trop belle, et année après année, les idéalistes que nous étions ont cru devoir laisser encore et toujours un peu de chance à ceux qui se disaient en charge du destin de l’humanité toute entière. De Lénine en Staline, de Brejnev en Mao, d’Ho Chi Minh en Castro, d’unions de la gauche en fronts populaires, de Thorez en Mitterrand, d’années en années et d’échecs en catastrophes, partout le marxisme s’est révélé être non pas –oh que non- une illusion, mais une machine de guerre contre l’humanité. Une machine plus efficace que le pire des fascismes, car le marxisme s’il déporte, s’il emprisonne et s’il tue, le fait au nom du peuple et du bien commun. N’a-t-il pas inventé ce concept d’ennemi du peuple ?  

 Tout cela nous le savons, mais il a fallu longtemps le cacher. Et on le cache encore, comme je disais plus haut. A quand un mémorial en hommage aux victimes du communisme en Russie, en Pologne, en Allemagne, à Prague, à Budapest, à Bucarest ? Quand manifesterons-nous notre solidarité avec les démocrates persécutés en Chine et à Cuba ? 

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06/12/2012

Transformer le monde

 

 Transformer le monde ? Boudieu de boudieu comme dirait Chris… Bon. On s’y met ? Oui mais c’est lourd. C’est du lourd.  

 Les grands penseurs ont procédé par étapes. Tenter l’installation d’une société idéale à Genève. Associer le capital et le travail dans une même entreprise. J’admire l’œuvre de Jean-Baptiste André Godin et son familistère : plus d’un siècle d’existence, des ouvriers et ouvrières heureux. Un véritable palais social. Avec la contrainte toutefois de vivre entre quatre murs, coupés du monde extérieur. Allez-y quand même, c’est à découvrir à Guise. Un détail à méditer : Godin vivait dans son familistère dans les mêmes conditions que ses ouvriers. 

 On a instauré la démocratie il y a deux mille cinq cent ans à l’échelle d’une cité : Athènes. Mais seuls les citoyens jouissaient de l’égalité et de la liberté. Ces avantages leur étaient accordés grâce à l’exploitation de milliers de métèques et d’esclaves qui produisaient les richesses dans des conditions inhumaines. La démocratie pour quelques uns n’est pas la démocratie. Mais l’idée était là. Elle pouvait suivre son bonhomme de chemin. Sans s’affoler, c’est le moins qu’on puisse dire. 

 1789 ans après, plus 400 ans (la démocratie athénienne n’ayant vécu que quelques années), à l’extrême bout de l’Europe, au bord de l’océan, un pays connu pour le jugement éclairé de ses philosophes tenta de franchir le pas : en finir avec les privilèges accordés à une minorité d’individus au détriment d’un peuple plongé dans la misère. La colère refoulée au cours des siècles des siècles déferla sur le pavé. Et la joie, le délire. Et la terreur. Bon, on n’a rien sans rien, et la terreur il ne faut pas en parler, c’est blasphémer. La RRRRRévolution FFFFFrançaise, c’est du sacré. D’ailleurs mises à part l’Amérique, la Russie, la Chine, et d’autres encore mais insignifiantes, la Révolution est avant tout principalement d’abord française.  

 Ailleurs ils ont tenté le coup. Sans succès. En Amérique, l’inégalité sociale est un fléau national. En Russie, les barbelés rouillent dans l’archipel sibérien mais les policiers des soviets sont encore au sommet de l’état. En Chine, on déporte des millions de paysans pour le bien de tous, à la stalinienne. 

 Chez nous les nuits sont calmes. On fait un gros dodo. Les capitalistes ont gardé le pouvoir. Mais ce sont les gentils, de gauche. Les masses populaires des villes et des campagnes, on ne les prend plus à rebrousse-poil. On les caresse doucement, on les endort. Le chômage est égal à lui-même, il a même augmenté depuis que les méchants ont abandonné les affaires. Tout va mal, mais c’est pour la bonne cause : transformer le monde. Ici aussi on procède par étapes. D’abord, le redressement productif du pays. Pour cela, on licencie encore un peu, mais pas violemment comme dans l’ancien régime. On agrémente les plans sociaux de discours empreints de compassion et on réunit des commissions d’experts qui savent eux de quoi ils parlent, ils sont payés pour plaindre les familles privées de ressources. Bref la gauche au pouvoir, c’est le chômage plus les enluminures. On a encore une armée, mais c’est pour envoyer aux quatre coins du monde des messages de paix. D’ailleurs on retire nos soldats des pays en guerre. Entre nos murs, on accepte toute la misère du monde sauf celle venue d’ailleurs : on expulse les gens du voyage dont le mode de vie est incompatible avec l’idée de redressement productif.  

 Oui, il faudra nous y faire, le socialisme est en marche. Je souhaite toutefois qu’il n’avance pas trop vite. Engager la France sur la voie de la justice sociale, c’est bien, mais allons-y mollo. On a vu des cas où les masses populaires des villes et des campagnes, incultes et dépourvues du sens de la mesure, trop longtemps privées de tout et de pain, s’en prirent violemment aux biens et aux personnes.  

 Allez à Guise, c’est dans l’Aisne (02) au nord-est de St-Quentin, visitez le familistère de Godin. Je sais que ça ne va pas plaire aux révolutionnaires professionnels de passage, qui vont hurler à l’utopie. On leur répondra que la société future qu’ils nous proposent depuis un siècle et demi à grands renforts de dictatures, de polices politiques et de camps de rééducation, n’est malheureusement pas une utopie. 

 

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