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10/08/2017

Le modèle




 Il fait tout comme il faut. A côté on se sent tout petit, mal à l’aise. Immature. On ne dit plus un mot. Peu de chance que la conversation vous intéresse. Si vous tentez le coup, vous n’aurez jamais droit à l’assentiment, mais à un sourire, et si vous avancez une idée ou deux, il vous remettra les pieds sur terre, vous renverra à la dure réalité, à l’agenda, au calendrier, à la carte de France, au petit Larousse illustré, aux heures de fermeture des magasins, à celles où il n’est pas bon de circuler sur les routes, aux médicaments qu’il faut prendre ou ne pas prendre, aux dates limites et précises à respecter pour les démarches administratives, et comme sur chaque homme qu’on le veuille ou non souffle de temps à autre un vent de liberté, il vous dira avec la superbe d’un résistant de la première heure où sont les radars sur la route que vous allez prendre. Oh le vilain !

 Pour s’informer mais en a-t-il vraiment besoin, trois minutes télévisées lui suffisent pour les événements importants du canton et surtout la météo. Pour le reste, ce qui se passe dans le monde, un survol suffit pour s’assurer que la guerre et le terrorisme sont loin.

 Le problème c’est qu’il est dans la norme et qu’ils sont des millions. Je parle pour la France, mais le problème est planétaire.

 Quand il part, ce n’est pas vers d’autres horizons, quel horrible concept que celui d’horizon, lieu de hasard et d’incertitude, où les risques sont légion, où assurances et mutuelles ne mettent jamais les pieds, où l’on ne sait pas de quoi demain sera fait, non. Il ne part pas. Il se rend d’un lieu à un autre. Le départ c’est l’inconnu.

 Si un jour enfin vous parvenez à placer un mot, une question sur un sujet qui vous préoccupe, du genre que posent les enfants entre banane et nutella sur ce qu’il y a après la mort, pourquoi des familles traversent la mer sur des embarcations de fortune, s’il y a de la vie ailleurs dans l’univers, s’il y a un dieu ou plusieurs ou pas du tout, notre homme, si c’en est un mais ça peut aussi être une femme, notre homme plonge le nez dans son assiette ou admoneste ses enfants qui mettent les coudes sur la table. Silence intersidéral, trou noir, absence. Le vide.

 Mais sur tous ces sujets en savez-vous vraiment plus que lui ? Non bien sûr. Et peut-être encore moins car s’il vous arrive de douter, son savoir à lui est définitif. Vous réalisez alors que tout ce que vous avez appris à l’école et dans la vie n’aura servi qu’à ruminer, passer des nuits blanches à vous dire qu’il vaut mieux savoir que Carrefour Market est ouvert le dimanche, que partir à l’aventure sans savoir où sont dissimulés les radars.


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26/07/2017

Autour d’un mot de deux lettres

 


C’est un petit jeu auquel chacun s’amuse, qui consiste à se demander ce qui se serait passé si…

Pas toujours avec plaisir, il m’est arrivé plusieurs fois, dans les moments qui suivent un accident, un événement douloureux de me dire que les choses se seraient mieux passées si le feu tricolore était resté plus longtemps au rouge, si cette amie n’avait jamais fumé, si, si…

Certes, la puissance de ce mot est plus impressionnante encore quand il s’agit d’événements qui ont bouleversé l’histoire du monde. Lors de nuits d’insomnie les images et les suppositions défilent, toutes plus saugrenues les unes que les autres, mais au-delà des drames subis, que la meilleure volonté des hommes et parfois le manque de courage n’ont pu éviter dans notre longue histoire, pourquoi le cacher, le jeu du si est inévitable et même captivant. Ainsi je me demande ce qui se passerait s’il n’y avait qu’un continent ou si les dinosaures avaient survécu.

 

Si Homère avait vu clair,
si Pâris n’avait pas enlevé Hélène
et si Ulysse n’était jamais revenu ?

Si Phidias avait été privé de la vue,
si Socrate n’avait rien dit,
si Alexandre n’avait pas quitté la Macédoine,
si les oies du Capitole avaient bien dormi
et si César avait déposé les armes aux pieds de Vercingétorix ?

Si les coqs ne chantaient pas,
si Judas n’avait pas embrassé Jésus,
si les évangélistes avaient travaillé sur des cassettes enregistrées,
si Constantin ne s’était pas converti,
si les Amérindiens avaient disposé de missiles Tomahawk
et si Luther, ignorant les princes, s’était rallié aux peuples ?

Si Lénine était resté en Suisse faire du ski et de l’escalade,
si la démocratie avait triomphé des tsars en Russie,
si Liebknecht et Jaurès avaient été entendus,
si on n’avait jamais ajusté un fusil à la queue d’une fleur,
si les chants n’étaient jamais guerriers,
si la poudre n’avait pas été inventée,
si madame Hitler avait fait une fausse couche,
si Katyn et Oswiecim étaient restés des petits villages sans histoire
et si le premier geste de l’homme était d’aller vers son prochain ?

Si les hommes n’avaient pas le feu
ou s’ils le découvraient cinq cent mille ans plus tard ?

Si la roue n’avait pas été inventée,
si le tigre aux dents de sabre rôdait,
si on montait dans les arbres,
si on marchait à quatre pattes,
si on était tout nu
et si on communiquait par gestes et par cris ?

Si on savait ce qui allait arriver,
si on avait réponse à tout,
si on ne pensait plus,
si on ne se souvenait de rien
et si papa n’avait pas connu maman ?

 

§

13:30 Publié dans étrange | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : si, conditionnel, fiction

01/07/2017

Devant ce mur passeront aussi des classes d’élèves…

  

 Deux jours après avoir entendu un député bravache déclamer qu’il ne porterait plus de cravate dans l’hémicycle, voilà que Simone Veil nous quitte. Ces deux événements mettent en lumière cette pensée de grand philosophe, que nous autres humains sommes ballottés entre l’infiniment petit et l’infiniment grand.

 J’adresse à la famille de Simone Veil mes plus sincères condoléances. J’ai toujours eu de l’admiration pour son courage, j’avais retenu ces quelques mots du discours qu’elle prononça le jour de l’inauguration du mur des noms au Mémorial de la Shoah le 23 janvier 2005:

« Le temps n’est pas loin où disparaîtront les derniers témoins de cette époque maudite. Le temps viendra aussi où nos enfants et petits enfants, qui nous ont souvent interrogés, disparaîtront à leur tour. (…)
Devant ce mur passeront aussi des classes d’élèves, des jeunes dont beaucoup n’auront sans doute jamais entendu parler de la Shoah, à moins que l’école, comme elle le fait depuis quelques années, assume pleinement sa mission d’enseignement de l’histoire. En effet, la mémoire de la Shoah ne peut pas être seulement portée par les victimes et leurs descendants. »

 Simone Veil n’a pas seulement porté la mémoire de la Shoah, elle a osé, au cœur du monde d’hier, des préjugés et de la réaction, par une loi, donner aux femmes une part de cette liberté qui leur fut confisquée durant les siècles des siècles.

 Comme les grands de ce monde qui ont lutté pour changer la vie, elle a tracé un chemin. C’est aux autres, à nous, de le poursuivre. Simone Veil nous a quittés, mais l’antisémitisme est toujours vivant, jusque dans les écoles, et, bien qu’une loi fondamentale ait été votée, les violences faites aux femmes n’ont pas cessé. Le meilleur hommage qu’on peut rendre à cette dame, c’est de ne jamais croire que les horreurs du passé ont servi aux hommes de leçon.


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11:26 Publié dans portraits | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : simone veil