05/11/2018
Eve
L’haleine divine planait sur les faces des eaux. L’Eternelle dit :
- Que la terre produise des êtres animés selon leurs espèces !
Et cela s’accomplit. L’Eternelle forma les bêtes sauvages selon leurs espèces, de même les animaux qui paissent, de même ceux qui rampent sur le sol selon leurs espèces. Et Elle considéra que c’était bien. L’Eternelle dit :
- Faisons la femme à notre image, à notre ressemblance, et qu’elle domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail; enfin sur toute la terre et sur tous les êtres qui s’y meuvent.
L’Eternelle créa la femme à son image ; c’est à l’image de l’Eternelle qu’elle la créa. Femelle et mâle furent créés à la fois. Elle les bénit en leur disant :
- Croissez et multipliez ! Remplissez la terre et soumettez-la !
L’Eternelle examina tout ce qu’Elle avait fait : c’était bien. Et Elle se reposa. Le soir se fit, puis le matin.
L’Eternelle façonna la femme –poussière détachée du sol- fit pénétrer dans ses narines un souffle de vie et la femme devint un être vivant. L’Eternelle planta un jardin en Eden, vers l’orient, et y plaça la femme qu’Elle avait façonnée. Elle fit surgir du sol toute espèce d’arbres, beaux à voir et propres à la nourriture ; et l’arbre de la science du bien et du mal au milieu du jardin. Un fleuve sortait d’Eden pour arroser le jardin. L’Eternelle prit donc la femme pour le cultiver et le soigner. L’Eternelle donna un ordre à la femme en disant :
- Tous les arbres du jardin, tu peux t’en nourrir ; mais l’arbre de la science du bien et du mal, tu n’en mangeras point : car du jour où tu en mangeras, tu dois mourir !
L’Eternelle dit :
- Il n’est pas bon que la femme soit seule ; Je lui ferai un aide digne d’elle.
L’Eternelle fit peser une torpeur sur la femme, qui s’endormit ; Elle prit une de ses côtes, et forma un tissu de chair à la place. Elle organisa en un homme la côte qu’Elle avait prise à la femme, et Elle le présenta à la femme. Et la femme dit :
- Celui-ci, pour le coup, c’est l’os de mes os et la chair de ma chair : celui-ci sera nommé ich, parce qu’il a été pris de icha (1).
Or, ils étaient tous deux nus, la femme et son homme, et ils n’en éprouvaient point de honte.
Mais le serpent était rusé. Il dit à l’homme :
- Est-il vrai que l’Eternelle a dit : vous ne mangerez rien de tous les arbres du jardin ?
L’homme répondit au serpent :
- Les fruits des arbres du jardin nous pouvons en manger ; mais quant au fruit de l’arbre qui est au milieu du jardin, l’Eternelle a dit : « Tu n’en mangeras point : car du jour où tu en mangeras, tu dois mourir ! »
Le serpent dit à l’homme :
- Non, vous ne mourrez point : mais l’Eternelle sait que, du jour où vous en mangerez, vos yeux seront dessillés, et vous serez comme l’Eternelle, connaissant le bien et le mal.
L’homme jugea que l’arbre était bon comme nourriture, qu’il était attrayant à la vue et précieux pour l’intelligence ; il cueillit de son fruit et en mangea, puis en donna à sa femme, et elle en mangea. Leurs yeux à tous deux se dessillèrent, et ils connurent qu’ils étaient nus. Ils cousirent des feuilles de figuier et s’en firent des ceintures. Alors ils entendirent la voix de l’Eternelle, parcourant le jardin du côté d’où vient le jour. La femme et son compagnon se cachèrent de la face de l’Eternelle, parmi les arbres du jardin. L’Eternelle appela la femme et lui dit :
- Où es-tu ?
Elle répondit :
- J’ai entendu ta voix dans le jardin ; j’ai eu peur, parce que je suis nue, et je me suis cachée.
Alors Elle dit :
- Qui t’a appris que tu étais nue ? Cet arbre dont je t’avais défendu de manger, tu en as donc mangé ?
La femme répondit :
- L’homme -que tu m’as associé- c’est lui qui m’a donné du fruit de l’arbre, et j’ai mangé.
L’Eternelle dit à l’homme :
- Pourquoi as-tu fait cela ?
L’homme répondit :
- Le serpent m’a entraîné et j’ai mangé.
L’Eternelle dit au serpent :
- Parce que tu as fait cela, tu es maudit entre tous les animaux et entre toutes les créatures terrestres : tu te traîneras sur le ventre, et tu te nourriras de poussière tous les jours de ta vie. Je ferai régner la haine entre toi et l’homme, entre ta postérité et la sienne : celui-ci te visera à la tête, et toi, tu l’attaqueras au talon.
A la femme Elle dit :
- Puisque tu as cédé à la voix de ton époux, et que tu as mangé du fruit de l’arbre dont je t’avais enjoint de ne pas manger, j’aggraverai tes labeurs et ta grossesse ; tu enfanteras avec douleur.
A l’homme Elle dit :
- Maudite est la terre à cause de toi, c’est avec effort que tu en tireras ta nourriture, tant que tu vivras. C’est à la sueur de ton front que tu mangeras du pain. La passion t’attirera vers ton épouse, et elle te dominera.
(1) icha : hommesse, d’où ich : homme
10:03 Publié dans Autour d'un mot, étrange | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : première femme, eve, genèse
15/10/2018
Y’a pas d’souci
Un philosophe nous dit que l’homme vit dans le projet. Il n’y a rien de plus vrai. Et ce n’est pas toujours pour notre bonheur. Certes il nous arrive dix fois, cent fois dans une vie d’attendre un heureux événement, de croire en la réussite de ceux qu’on aime, de voir les hommes faire la paix, bref d’envisager l’avenir avec enthousiasme. Mais ce qui nous mine, ce sont mille soucis qui nous accablent et troublent notre sommeil. Il y en a de terribles et je n’ai pas aujourd’hui le cœur d’en parler. Et tous les autres. Minuscules, insignifiants. Me rendre avant mercredi au laboratoire d’analyses car le médecin attend les résultats pour vendredi, mais la voiture est au garage car la pièce commandée n’est toujours pas disponible et aller en ville en vélo je ne pourrais le faire qu’en danseuse à cause de cette fracture du coccyx qui ne se remet pas, quand à demander l’aide du voisin, je l’ai déjà trop fait, il a lui-même ses petits soucis, je ne veux pas lui en ajouter. Une nuit blanche entière à me demander comment je vais m’en sortir. Pauvre de moi ! Si je prenais seulement conscience que tout cela n’est rien !
Il faudra qu’un jour une personne qui m’est chère m’apprenne qu’elle n’a plus que quelques mois à vivre pour que mon laboratoire, mes analyses, ma voiture en panne, mon coccyx et la gêne que j’éprouve à déranger mon voisin, toutes ces choses s’évanouissent pour réaliser enfin que les moments que je vis sont ceux d’un homme heureux. Faut-il ainsi connaître le malheur des autres pour que j’oublie le mien ?
Ou vivre comme un animal. Manger, dormir, procréer, mourir sans le savoir. Impossible bien sûr dans la société humaine qui m’attend au tournant, travail, sécu, impôts, obligations, réglementations, « vivre ensemble », éducation des enfants, éloignement du laboratoire d’analyses, pharmacopée pour calmer la douleur au coccyx et j’en passe. Il y a peut-être une solution. Si la recette du bonheur consiste à faire le vide dans sa tête, plutôt que de garnir le compte en banque des marchands de techniques et de produits relaxants, à partir de maintenant je note toutes les obligations et ennuis à venir sur un agenda. Pour libérer mon esprit et faire tourner en moi tous les moulins de l’espoir (1).
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(1) en remerciement au compositeur Michel Legrand dont la passion amoureuse fait tourner « tous les moulins de son cœur ».
19:13 Publié dans Autour d'un mot | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : souci, bonheur, projet, avenir
12/09/2018
Anonymat
Un président est gravement mis en cause par une personne qui ne dit pas son nom. Un minimum de jugement aurait permis à l’élu attaqué de déclarer devant toute la presse qu’il ne s’était rien passé puisque de l’inexistence de quelqu’un on ne peut tirer quelque discours que ce soit.
L’événement serait insignifiant si la société dans laquelle nous vivons n’était pas peuplée de personnes qui n’ont ni nom ni adresse et qui pourtant laissent des traces partout où elles passent, en particulier sur les réseaux appelés complaisamment « sociaux ». Du point de vue pratique, cette manière d’inexistence offre des avantages. On peut dire tout et son contraire, alimenter des rumeurs, harceler les gens sans défense, et même appeler au crime sans être inquiété ni même contredit. On peut déverser des flots de haine et dormir sur ses deux oreilles : le cauchemar est réservé aux victimes. Car la pire des offenses est celle diffusée dans le noir total, tellement invisible qu’on a l’impression qu’elle vient de partout.
Puissance de l’invisible ! Voilà trois millénaires des hommes s’inclinèrent devant quelque chose qui échappait totalement à la connaissance sensible : inaudible, impalpable, inodore et invisible. Quelque chose qui était au-delà de tout : invariable et permanent alors que la lune et le soleil passaient et disparaissaient, invulnérable car intouchable contrairement aux idoles, statues qui n’avaient de consistance que celle de la terre ou du marbre. C’est son invisibilité qui fit de Dieu un être unique, universel. Et si la terre ou le marbre ont pu le représenter urbi et orbi, jusque dans les contrées les plus reculées de la planète, cela n’est dû qu’à la faiblesse humaine qui ne peut s’empêcher d’affubler d’une silhouette, d’un sexe et pourquoi pas d’une barbe l’Inconnaissable.
Mais l’invisible accusateur du président ne sera jamais sculpté dans le marbre, on peut l’espérer.
L’événement montre à quel point nos sociétés sont en proie à cette maladie : l’irresponsabilité. Un comportement qui contamine la classe politique jusqu’au plus haut sommet de la démocratie la plus puissante du monde. J’insiste sur « démocratie ». Car il y a des situations qui obligent des personnes courageuses à publier sous le manteau. Rappelez-vous le samizdat en Russie soviétique. Il en fallait du courage pour exprimer une opinion, même en cachette, en sachant qu’au bout il y avait le risque de la déportation ou d’une mort plus expéditive. C’est loin d’être le cas en Amérique.
Mais voilà que nos journalistes relèvent d’abord ce qu’affirme l’accusation. Ils commentent à longueur de temps des propos qui n’ont aucune espèce d’importance puisqu’ils ne sont pas signés. Que vienne le temps où une femme ou un homme, devant les caméras ou par écrit à la une d’un grand quotidien, dira au président des Etats-Unis que le premier irresponsable du pays, c’est lui !
Personne ne demande aux commentateurs de condamner l’anonymat, mais seulement de remettre une déclaration sans queue ni tête à sa place : aux annonces gratuites.
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19:26 Publié dans Autour d'un mot | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : responsabilité, signature, pseudonyme