21/12/2014
Comment pourrait-on oublier?
Oublier un demi siècle de persécutions, d'emprisonnements, de procès truqués ?
Oublier la paupérisation d'un peuple et l'enrichissement honteux des séides d'un régime qui promettait la justice sociale ?
Oublier les mensonges, la désinformation, les vérités imposées ?
Oublier les discours d'idéologues qui prétendaient établir l'économie socialiste et qui ont fait de la misère une institution et de la débrouille une manière de survivre ?
Non, Cuba n'est pas seulement l'île des fusées de Khrouchtchev, de l'industrie sucrière, des gros cigares, de la rumba et des voyages à thème pour touristes communistes qui ont perdu l'URSS, c'est aussi un pays où le bonheur a été rangé dans un tiroir sous des tonnes de paperasses, un pays où personne n'a rien à faire ici.
Si l'Amérique redonne à ces gens de l'espoir, tant mieux. Mais il faudra qu'un jour les dictateurs soient renvoyés à leurs dossiers, si possible devant un tribunal. Il y en a un à La Haye, apparemment efficace.
Heberto Padilla remporta le prix de poésie Julian del Casal qui lui valu ainsi qu’à son épouse la poétesse Belkis Cuza Malé d’être emprisonné. A l’issue d’un procès de type stalinien, quelques intellectuels français cessèrent de soutenir Fidel Castro.
Le poète, renvoyez-le !
Il n’a rien à faire ici.
Il n’entre pas dans le jeu.
Il ne s’enthousiasme pas.
Il ne met pas au clair son message.
Il ne remarque même pas les miracles.
Il passe toute la sainte journée à se creuser la tête.
Il trouve toujours quelque chose à objecter.
Ce type-là renvoyez-le !
Mettez de côté ce trouble-fête,
ce rabat-joie
de l’été,
aux lunettes noires
sous le soleil qui naît…
§
Recueil de textes de poètes interdit à Cuba intitulé « Anthologie de la poésie cubaine censurée » publié par Reporters sans frontières et les éditions Gallimard, 2002.
10:17 Publié dans Totalitarisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cuba, communisme, heberto padilla
09/11/2014
Il y a 25 ans...
...le mur de la honte est tombé. Il avait été édifié contre la volonté des peuples. Les allemands ne l'avaient pas voulu. Pas plus que les peuples tchèque, slovaque, hongrois, roumain et bulgare n'avaient désiré être coupés du monde par un rideau de fer. Ces horreurs on nous avait dit qu'elles n'en étaient pas. Il fallait croire que pour protéger une belle société en construction, une séparation d'avec le monde du passé était nécessaire. Le monde du passé, c'était lui l'horreur, il portait et porte d'ailleurs toujours un nom affreux: le monde capitaliste, lieu de toutes les inégalités, de l'injustice, du commerce et des bandits. Et quand là-bas des ouvriers, des paysans, des étudiants, des gens de tous les jours émettaient des doutes sur les bienfaits de la société en construction, le canon des chars les ramenaient à la raison (1). Pire, au-delà des morts et des déportations, on accusait ces pauvres gens d'être des espions, des agents du diable capitaliste. D'autres, plus jeunes ont tenté d'échapper à cet enfer. En sautant le mur au risque de leur vie. Le musée de Check point Charlie à Berlin montre à quel point l'homme est ingénieux quand il s'agit de retrouver la liberté dont il a été injustement privé. Le plus bel exemple: ces étudiants tchèques qui notaient jour après jour les heures de mise sous tension des cables électriques reliant leur pays à l'Autriche. Ils avaient construit un engin de type téléphérique qui, aux heures creuses minutieusement mémorisées, les fit passer à l'ouest. D'autres se dissimulaient sous les banquettes des voitures, il arrivait même que des policiers chargés de la surveillance du mur tentent de fuir.
Dans les années quatre-vingt, dans un camping tchèque, j'avais fait la rencontre d'un couple d'allemands de RDA. Le camp était divisé en zones strictement réservées aux différentes nationalités des pays de l'est. Chose tellement incroyable que je n'avais pas remarqué cette horreur avant que ces gens qui campaient tout près m'ouvrent les yeux. Ils étaient sympathiques, on passa la soirée autour d'une bouteille de schnaps. Ils me racontaient leur vie, et brûlaient d'impatience de savoir comment les choses se passaient à l'ouest. A la veille de la retraite, professeurs tous les deux d'éducation physique, ils dormaient sous une canadienne deux places, une Trabant soigneusement garée à côté. Pour rouler en Moskvitch ou en Lada, la liste d'attente était trop longue, et il fallait être membre du parti. Pareil pour le logement et aussi pour les sorties du territoire. Cet homme avait connu -comme beaucoup de ses compatriotes- les deux dictatures: fasciste et communiste. Sous Hitler, il fut mobilisé et subit à St Lo les bombardements des Alliés, ses quatre camarades de char furent tués, et lui-même rapatrié blessé avec la Wermacht en déroute. Rapatrié oui, malheureusement pour lui en Thuringe, à Erfurt en zone orientale conquise par l'Armée rouge. Il vécut un double drame: cinq ans de déportation en Sibérie, et à son retour au pays, l'impossibilité de revoir une partie de sa famille qui résidait à l'ouest à Hambourg. Ce sont des choses que des gens qui comme moi n'ont toujours connu que la liberté ne peuvent pas comprendre. Je peux l'écrire ici, je peux évoquer ces choses, mais c'est au-dessus de mes forces de comprendre.
Comment des personnes d'ici pouvaient-elles juger que le bilan de l'expérience communiste sur trois cent millions d'êtres humains était globalement positif ?
Comment pouvait-on faire croire aux ouvriers français que la condition ouvrière dans ces pays était merveilleuse ?
Comment le secrétaire d'un parti politique français pouvait-il -sans problème de conscience- passer ses vacances dans le pays du tyran Ceaucescu ?
Pourquoi des intellectuels comme Aragon ont-ils attendu les années quatre vingt pour commencer à émettre des doutes sur la légitimité du régime soviétique ?
Pourquoi tant de silence sur les déportations, les internements en hôpital psychiatrique, les procès politiques truqués, la censure, les persécutions des familles des dissidents ?
Pourquoi tant de silence sur la corruption d'un système qui apportait tant de richesses et d'avantages à des castes (2) prétendant faire le bonheur de peuples qui étaient dépouvus de tout ?
Pourquoi moi-même alors trotskiste ai-je pu jusqu'aux années quatre vingt considérer l'URSS comme un état ouvrier mais dégénéré, un état que je croyais être une immense conquête de la classe ouvrière ?
Le bourrage de crâne n'est pas une explication. Cela vaut pour le fascisme et les dictatures en général, régimes fondés sur la violence, dirigés par des individus assoifés de pouvoir rêvant de dominer le monde. Partout où des hommes ont tenté de l'instaurer, le communisme a été le système totalitaire le plus efficace et le plus durable. Des millions de travailleurs de par le monde ont cru et espéré la victoire d'une expérience qui pour la première fois dans l'histoire -après celle malheureuse de la Commune de Paris- allait démontrer la capacité des classes populaires à prendre en charge la destinée humaine. Combien a-t-il fallu de morts, de déportations, de persécutions, de procès truqués et de trahisons pour que des femmes et des hommes, militants qui avaient cru au matin, se rendent à la raison et, voyant cette foule avide de liberté traverser le mur dans la joie, se dise enfin selon le mot du poète, mourir pour des idées, oui mais lesquelles... En tout cas, pas celles qui pendant soixante douze ans ont enfermé des millions d'humains dans une immense prison.
cliché M.Pourny, Berlin novembre 1989
-
Allemagne de l'est 1953, Hongrie et Pologne 1956, Tchécoslovaquie 1968;
-
Il serait intéressant aujourd'hui de se pencher sur les conditions d'existence d'une certain Fidel Castro.
10:09 Publié dans Totalitarisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : berlin, mur de la honte, rda, communisme
04/06/2014
25 et 70 ans, tristes anniversaires
Tristes, car ils commémorent la disparition de soldats, des jeunes pour la plupart, tombés sur les plages de Normandie le 6 juin 1944. Tristes car le 4 juin 1989 des centaines de jeunes gens courageux ont défié la dictature en Chine et sont morts pour cela sur la place Tiananmen de Pékin. Il faut rappeler ces événements car les pauvres humains que nous sommes ont tendance à oublier, avec les conséquences que cet oubli pourrait avoir pour la liberté et même la vie de nos enfants.
Les soldats qui reposent dans les cimetières de Normandie ne sont pas les victimes de la "guerre" comme je l'entends ici ou là. Ils sont les victimes du nazisme, un régime totalitaire fondé sur la haine, l'antisémitisme et le meurtre. La liberté et la démocratie dont nous jouissons ici en France et en Europe, ce sont ces combattants qui nous les ont rendues.
Les chinois ne devraient pas être seuls à commémorer la journée du 4 juin 1989, car ceux qui ont osé manifester ce jour-là contre un régime fondé sur le mensonge et la violence ont montré qu'il y avait en l'homme même au plus noir de la nuit des ressources dont les plus terribles des dictatures ne peuvent venir à bout.
Si ces commémorations servent à quelque chose, si elles sont suivies dans les écoles et les familles, et s'il est trop difficile ou laborieux ou ringard de revenir encore et toujours comme des vieux qui ressassent le passé, que nos enfants retiennent au moins ces trois mots, et qu'on leur dise d'où ils viennent:
Plus jamais ça !
Ceux qui l'ont dit, c'est un serment qu'ils ont fait, entre eux et au monde. C'étaient les déportés de Buchenwald, ils s'étaient libérés eux-mêmes et rassemblés sur la place d'appel. C'était en 1945. Ne l'oublions jamais, et le meilleur hommage qu'on peut rendre à ces femmes et à ces hommes, c'est de goûter le plaisir de vivre aujourd'hui dans une démocratie qui a tous les défauts, mais qui nous laisse circuler, parler et penser librement.
§
16:33 Publié dans Totalitarisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : débarquement, nazisme, communisme, liberté, courage