04/04/2015
L'islam, un espoir pour l'humanité ?
L’islam peut-il permettre à l’humanité d’en finir avec l’individualisme et la concurrence sauvage liée à l’économie de marché ? C’est la question que posait –bien avant les porte-parole du multiculturalisme- Roger Garaudy (1). L'idée est simple: la société va mal parce que l'homme a perdu la foi, parce qu'en ne croyant plus en Dieu il ne croit plus en rien. Le lien avec le Ciel a été rompu, la religion a été renvoyée à ses autels, ceux qui président à la destinée du monde sont perdus, dés-orient-és.
Garaudy pense que le christianisme des débuts était porteur d’un immense espoir. L'était-il vraiment ? D’où vient alors la fin de l’espérance ?
Il faudrait la chercher dans le dualisme grec, cette séparation voulue par les philosophes entre le domaine de la foi et celui de la raison. Une fausse interprétation de la parole biblique selon laquelle il faut rendre à César ce qui lui appartient, à Dieu ce qui lui revient. Coupure entre le politique et le religieux. Garaudy a-t-il raison de dire qu’il n’y avait dans la parole de Jésus que la volonté de dénoncer les prétentions totalitaires de César ? Il reste que cette coupure, cette séparation des domaines terrestre et céleste est remarquable dans la philosophie d’un fondateur de la pensée occidentale, Aristote. L’allégorie platonicienne de la caverne soulignait la continuité du fil qui mène de l’ombre à la lumière, chemin difficile à suivre, démarche douloureuse qui ne mène nulle part ailleurs qu’à l’intérieur de soi (une quête peut-être inspirée de la pensée orientale). Pour Aristote la beauté du monde sensible dans lequel les hommes sont plongés leur donne la possibilité d'y discerner l'existence d'un ordre supérieur, intelligible. D’affirmer qu’il y a un « ailleurs », un autre monde, un au-delà. Qu'il y a une cause supérieure, une puissance créatrice, ordonnatrice. Mais qu’il y a ici-bas un monde et de quoi s’occuper. En laissant à César puis à Constantin plein pouvoir sur la vie politique et sociale, le dualisme « faisait de la foi une affaire privée, n’ayant plus prise sur l’organisation de la cité ». Devenue autonome, la politique portait « en soi ses propres fins, sans rapport avec l’homme ni avec le divin » (Garaudy).
Il faut être aveugle et imbibé de culture religieuse pour oublier que durant dix-huit siècles les royaumes occidentaux ont usé et abusé du droit divin, que durant dix-huit siècles les hommes, poètes, philosophes, mécréants, scientifiques, astronomes –sans oublier les femmes- durent vivre, penser et agir à l’heure religieuse, catholique en l’occurrence, un totalitarisme bien plus pervers qu’une dictature car les peuples maintenus dans l’ignorance participent eux-mêmes à leur propre servilité. Si les Lumières, les réformes et les révolutions ont ouvert une brèche dans la forteresse des dogmes et des croyances primitives, elles le firent contre le système religieux, et chaque fois qu’il fallut développer la pensée et le savoir, elles trouvèrent en face d’elles l’Eglise, les églises.
En faisant l’impasse sur la nuit qui s’abattit si longtemps sur les peuples, Roger Garaudy veut retrouver la pureté originelle qui fut celle des premiers chrétiens, la vraie foi. Pour lui, si le christianisme a encore une chance de sauver l’homme, « l’homme de nos sociétés occidentales…voué à la solitude, à l’isolement à l’égard des autres hommes…par l’écrasement des plus démunis, …par la convoitise…la publicité et le marketing… », cette chance il peut la trouver dans l’islam. L’islam qui, « en refusant les faux dualismes de la politique et de la foi…en liant indissolublement transcendance et communauté, peut nous aider à revivifier le christianisme lui-même et à surmonter la crise de désintégration du tissu social. »
Fichtre ! Moi qui croyais dans les années soixante qu’on allait en finir avec l’obscurantisme religieux, que l’imagination allait s’emparer du pouvoir, accompagnée de ses anges gardiens, la liberté de penser d’un côté et l’avenir de l’homme, poitrine nue de l’autre, me voilà aujourd’hui bien embarrassé ! Tout ça pour rien !? Nous avons cru en un monde inaccessible, nous avons cru en un monde, nous avons cru. Et c’était là l’erreur. Il ne faut pas croire. Un demi-siècle après avoir partagé avec des millions que les religions sont un opium pour les peuples, près de moi passent des femmes dont on ne voit que le bout du nez, des hommes qui n’ont plus d’humain que le système pileux, un philosophe qui me dit que l’avenir d’une religion qui a fait tant de mal si longtemps ici, qui a obligé tant d’hommes et de femmes et d’enfants à croire à des sornettes, tout cela pour préserver des privilèges de caste ou de classe, un philosophe qui émet l’hypothèse que le christianisme pourrait être sauvé par une idéologie qui nous ramène encore plus loin dans le passé et les ténèbres : l’islam !
Il écrivait cela en 1981. Aujourd’hui l’islam est devenu une affaire qui marche. Les catholiques qui, après avoir rongé leur frein dans les années soixante ont compris que l’avenir du culte n’était pas auprès du bénitier, mais à gauche, dans les associations charitables, chrétiens de gauche apôtres du « vivre ensemble » qui sont devenus à ce point des thuriféraires (de turifer: qui porte l'encens) de l’islam qu’ils ne sont plus à même de défendre leurs coreligionnaires empêchés de pratiquer leur culte, et persécutés en Orient. Il ne serait pas étonnant d'assister bientôt à des conversions. Je pense d'abord à ceux pour qui la propagation de l'islam s'explique par le développement du chômage et de la misère. Ils n'ont pas à tergiverser longtemps pour désigner un ennemi commun : le capitalisme sans foi ni loi. A quoi bon condamner les petits trafics quand plus haut on pioche des millions dans les caisses de l'état ? Inquiétant de voir des sentiments aussi humains que l'esprit de solidarité, de justice ou de charité trouver en une idéologie aussi impérialiste et dévastatrice que l'islam un allié de circonstance ! Des milliers de nos compatriotes qui par noblesse de cœur tentent de donner aux jeunes une raison d'espérer, parce que cette belle entreprise se heurte à une situation sociale irrémédiable, risquent de sombrer avec eux dans un islamisme tout politique, frère de ce que nous avons connu dans les années soixante sous le nom de théories de la libération. Ce qu'il y avait dans ces « théories » de volonté d'en finir avec la colonisation et l'exploitation du tiers monde hante les nouveaux libérateurs de nos quartiers : non seulement dans la haine de cette cible clairement identifiée, l'état d'Israël qui colonise à tout va, aussi parce que la situation des jeunes dans les quartiers est celle d'enfants d'enfants d'enfants de colonisés. L'islam qui est devenu dans nombre de pays du proche et du moyen orient l'étendard de la révolution pourrait en occident cimenter les exigences des enfants de l'immigration que la société n'a pas su accueillir, ou qui n'ont pas voulu s'y intégrer, mais aussi inspirer une certaine gauche un peu perdue depuis la disparition corps et âme de ses maîtres à penser et de leurs tristes expérimentations sur des millions d'êtres humains. Certains signes ne trompent pas, une candidate d'extrême gauche voilée, la participation de militants gauchistes à des manifestations islamistes aux slogans antisémites, à des colloques en présence de salafistes, le silence réservé aux attentats et l'insistance à en rendre coupables des gens qui n'ont rien à voir avec l'islam...
N'est-elle pas paradoxale cette fusion entre une partie du monde progressiste, intellectuels, militants de partis ou d'associations et l'idéologie totalitaire ? Elle ne devrait pas nous étonner. On a connu fusion semblable dans le passé quand on dénommait certaines parties du territoire les banlieues rouges. Elles étaient peuplées de familles ouvrières qui voyaient dans le communisme en construction à l'est une raison d'espérer. Etaient-ils blâmables ces militants qui restaient sourds aux appels pressants des « dissidents » qui alertaient l'occident sur les effets terribles de la dictature communiste ? Certainement pas. D'autres oui, beaucoup plus haut sur l'échelle militante, qui savaient.
La trajectoire de Garaudy est intéressante car elle montre comment on peut passer d'une idée à une autre. D'un totalitarisme qui a fait son temps à un autre, "prometteur". Elle montre aussi que le capitalisme sauvage mondialisé peut fabriquer des monstres. Combien nos sociétés derrière une façade aux couleurs de la modernité n'ont pas progressé dans le domaine de l'esprit. Combien il est difficile d'être un simple militant de la liberté, sans se référer à un système ni à un livre aussi sacré soit-il. C'est pourtant ce qu'il faut être.
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(1) Garaudy, Promesses de l’islam, éditions du Seuil, 1981, p.57 ;
10:38 Publié dans Totalitarisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : garaudy, islam, christianisme, communisme
21/12/2014
Comment pourrait-on oublier?
Oublier un demi siècle de persécutions, d'emprisonnements, de procès truqués ?
Oublier la paupérisation d'un peuple et l'enrichissement honteux des séides d'un régime qui promettait la justice sociale ?
Oublier les mensonges, la désinformation, les vérités imposées ?
Oublier les discours d'idéologues qui prétendaient établir l'économie socialiste et qui ont fait de la misère une institution et de la débrouille une manière de survivre ?
Non, Cuba n'est pas seulement l'île des fusées de Khrouchtchev, de l'industrie sucrière, des gros cigares, de la rumba et des voyages à thème pour touristes communistes qui ont perdu l'URSS, c'est aussi un pays où le bonheur a été rangé dans un tiroir sous des tonnes de paperasses, un pays où personne n'a rien à faire ici.
Si l'Amérique redonne à ces gens de l'espoir, tant mieux. Mais il faudra qu'un jour les dictateurs soient renvoyés à leurs dossiers, si possible devant un tribunal. Il y en a un à La Haye, apparemment efficace.
Heberto Padilla remporta le prix de poésie Julian del Casal qui lui valu ainsi qu’à son épouse la poétesse Belkis Cuza Malé d’être emprisonné. A l’issue d’un procès de type stalinien, quelques intellectuels français cessèrent de soutenir Fidel Castro.
Le poète, renvoyez-le !
Il n’a rien à faire ici.
Il n’entre pas dans le jeu.
Il ne s’enthousiasme pas.
Il ne met pas au clair son message.
Il ne remarque même pas les miracles.
Il passe toute la sainte journée à se creuser la tête.
Il trouve toujours quelque chose à objecter.
Ce type-là renvoyez-le !
Mettez de côté ce trouble-fête,
ce rabat-joie
de l’été,
aux lunettes noires
sous le soleil qui naît…
§
Recueil de textes de poètes interdit à Cuba intitulé « Anthologie de la poésie cubaine censurée » publié par Reporters sans frontières et les éditions Gallimard, 2002.
10:17 Publié dans Totalitarisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cuba, communisme, heberto padilla
09/11/2014
Il y a 25 ans...
...le mur de la honte est tombé. Il avait été édifié contre la volonté des peuples. Les allemands ne l'avaient pas voulu. Pas plus que les peuples tchèque, slovaque, hongrois, roumain et bulgare n'avaient désiré être coupés du monde par un rideau de fer. Ces horreurs on nous avait dit qu'elles n'en étaient pas. Il fallait croire que pour protéger une belle société en construction, une séparation d'avec le monde du passé était nécessaire. Le monde du passé, c'était lui l'horreur, il portait et porte d'ailleurs toujours un nom affreux: le monde capitaliste, lieu de toutes les inégalités, de l'injustice, du commerce et des bandits. Et quand là-bas des ouvriers, des paysans, des étudiants, des gens de tous les jours émettaient des doutes sur les bienfaits de la société en construction, le canon des chars les ramenaient à la raison (1). Pire, au-delà des morts et des déportations, on accusait ces pauvres gens d'être des espions, des agents du diable capitaliste. D'autres, plus jeunes ont tenté d'échapper à cet enfer. En sautant le mur au risque de leur vie. Le musée de Check point Charlie à Berlin montre à quel point l'homme est ingénieux quand il s'agit de retrouver la liberté dont il a été injustement privé. Le plus bel exemple: ces étudiants tchèques qui notaient jour après jour les heures de mise sous tension des cables électriques reliant leur pays à l'Autriche. Ils avaient construit un engin de type téléphérique qui, aux heures creuses minutieusement mémorisées, les fit passer à l'ouest. D'autres se dissimulaient sous les banquettes des voitures, il arrivait même que des policiers chargés de la surveillance du mur tentent de fuir.
Dans les années quatre-vingt, dans un camping tchèque, j'avais fait la rencontre d'un couple d'allemands de RDA. Le camp était divisé en zones strictement réservées aux différentes nationalités des pays de l'est. Chose tellement incroyable que je n'avais pas remarqué cette horreur avant que ces gens qui campaient tout près m'ouvrent les yeux. Ils étaient sympathiques, on passa la soirée autour d'une bouteille de schnaps. Ils me racontaient leur vie, et brûlaient d'impatience de savoir comment les choses se passaient à l'ouest. A la veille de la retraite, professeurs tous les deux d'éducation physique, ils dormaient sous une canadienne deux places, une Trabant soigneusement garée à côté. Pour rouler en Moskvitch ou en Lada, la liste d'attente était trop longue, et il fallait être membre du parti. Pareil pour le logement et aussi pour les sorties du territoire. Cet homme avait connu -comme beaucoup de ses compatriotes- les deux dictatures: fasciste et communiste. Sous Hitler, il fut mobilisé et subit à St Lo les bombardements des Alliés, ses quatre camarades de char furent tués, et lui-même rapatrié blessé avec la Wermacht en déroute. Rapatrié oui, malheureusement pour lui en Thuringe, à Erfurt en zone orientale conquise par l'Armée rouge. Il vécut un double drame: cinq ans de déportation en Sibérie, et à son retour au pays, l'impossibilité de revoir une partie de sa famille qui résidait à l'ouest à Hambourg. Ce sont des choses que des gens qui comme moi n'ont toujours connu que la liberté ne peuvent pas comprendre. Je peux l'écrire ici, je peux évoquer ces choses, mais c'est au-dessus de mes forces de comprendre.
Comment des personnes d'ici pouvaient-elles juger que le bilan de l'expérience communiste sur trois cent millions d'êtres humains était globalement positif ?
Comment pouvait-on faire croire aux ouvriers français que la condition ouvrière dans ces pays était merveilleuse ?
Comment le secrétaire d'un parti politique français pouvait-il -sans problème de conscience- passer ses vacances dans le pays du tyran Ceaucescu ?
Pourquoi des intellectuels comme Aragon ont-ils attendu les années quatre vingt pour commencer à émettre des doutes sur la légitimité du régime soviétique ?
Pourquoi tant de silence sur les déportations, les internements en hôpital psychiatrique, les procès politiques truqués, la censure, les persécutions des familles des dissidents ?
Pourquoi tant de silence sur la corruption d'un système qui apportait tant de richesses et d'avantages à des castes (2) prétendant faire le bonheur de peuples qui étaient dépouvus de tout ?
Pourquoi moi-même alors trotskiste ai-je pu jusqu'aux années quatre vingt considérer l'URSS comme un état ouvrier mais dégénéré, un état que je croyais être une immense conquête de la classe ouvrière ?
Le bourrage de crâne n'est pas une explication. Cela vaut pour le fascisme et les dictatures en général, régimes fondés sur la violence, dirigés par des individus assoifés de pouvoir rêvant de dominer le monde. Partout où des hommes ont tenté de l'instaurer, le communisme a été le système totalitaire le plus efficace et le plus durable. Des millions de travailleurs de par le monde ont cru et espéré la victoire d'une expérience qui pour la première fois dans l'histoire -après celle malheureuse de la Commune de Paris- allait démontrer la capacité des classes populaires à prendre en charge la destinée humaine. Combien a-t-il fallu de morts, de déportations, de persécutions, de procès truqués et de trahisons pour que des femmes et des hommes, militants qui avaient cru au matin, se rendent à la raison et, voyant cette foule avide de liberté traverser le mur dans la joie, se dise enfin selon le mot du poète, mourir pour des idées, oui mais lesquelles... En tout cas, pas celles qui pendant soixante douze ans ont enfermé des millions d'humains dans une immense prison.
cliché M.Pourny, Berlin novembre 1989
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Allemagne de l'est 1953, Hongrie et Pologne 1956, Tchécoslovaquie 1968;
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Il serait intéressant aujourd'hui de se pencher sur les conditions d'existence d'une certain Fidel Castro.
10:09 Publié dans Totalitarisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : berlin, mur de la honte, rda, communisme