26/07/2010
En remerciement à Katarina Mazetti
Une page m’a donné à réfléchir, elle est de Katarina Mazetti dans « Le mec de la tombe d’à côté », Gaïa édition 2009, collection Babel.
« Ensuite il y a eu une sale ambiance toute la soirée. On a commencé à se disputer pendant les informations. Elle, c’est une sorte de gauchiste. Si ce n’est pas la gauche caviar, c’est la gauche pâté végétal, et moi je défends les intérêts des entrepreneurs, parce que je me considère comme une petite entreprise (1). Elle a vite fait de me lancer sur des rails où je défends le gros capitalisme international, et comme elle s’y connaît beaucoup mieux que moi en argumentation, elle me fait dire des choses avec lesquelles je ne suis pas d’accord moi-même. Je prends la mouche et je ne m’arrête plus, ça sort en vrac, je défends le déboisement et je traîne dans la boue ces blancs-becs de biologistes de terrain, elle se lance dans une plaidoirie contre la destruction de l’environnement et l’épuisement des ressources naturelles et je l’accuse pratiquement de brûler les camions de Scan- les produits des éleveurs suédois. »
Je venais de lire « Qu’est-ce qu’une vie réussie ? » de Luc Ferry. A première vue, le lien entre les deux textes n’est pas facile à faire. Et pourtant si. En dix lignes, Katarina Mazetti pose clairement une question à laquelle personne à ma connaissance aujourd’hui ne sait répondre. Ce pauvre paysan qui se démène comme il peut pour faire perdurer son exploitation, ce travailleur donc, se fait donner des leçons de politique et de morale par une intellectuelle gauchiste et écologiste au discours aguerri. Ce n’est qu’un roman, mais c’est aussi un signe des temps. Il fut une époque où la gauche mettait la main à la pâte, quand elle représentait le monde du travail. Aujourd’hui, elle ne représente plus que des idées, et encore, je suis généreux.
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« …elle me fait dire des choses… avec lesquelles je ne suis pas d’accord moi-même. »
Voilà un homme qui n’a rien à voir avec le gros capitalisme international, pas plus qu’avec la destruction de l’environnement et l’épuisement des ressources naturelles, et qui dans le flot du discours, en vient à se faire l’avocat du diable! (2) Le pauvre aurait appris l’art de la rhétorique que ça n’aurait rien changé. La vérité est triste à dire, et personne aujourd’hui n’y peut rien : à ceux qui, la bouche en cœur, nous invitent à répéter les erreurs du vingtième siècle, nous n’avons rien d’autre à proposer qu’un aménagement de la pire société qui soit : celle du capitalisme sauvage. Face aux révolutionnaires désormais sans idéal depuis le désastre communiste, aux écologistes incapables de mettre en application à l’échelle d’un pays ou même d’une région ce qu’ils formulent, nous restons interdits, sans arguments, et même parfois il peut nous arriver d’avoir mauvaise conscience. Et les autres, en face, attaquent sur tous les fronts : chômage, salaires, famine dans le tiers-monde, guerres, illettrisme, drogue, prostitution, déchéance, tout est bon pour rendre le capitalisme responsable de tout. Ils ont raison. Partiellement (3). Autant que Jean-jacques Rousseau avait raison d’affirmer la bonté originelle de l’humanité. Si l’homme était si bon, comment a-t-il pu dire un jour : « Ceci est à moi ! » ?
Oui, il peut nous arriver d’avoir mauvaise conscience. Comment peut-on défendre une société qui exploite l’autre moitié du monde, et qui dans l’hémisphère où elle a fait son nid, jette à la rue des millions de familles de travailleurs, n’éduque plus ses enfants, ne propose à ses ressortissants qu’un avenir débordant d’émissions télévisées dégradantes, de jeux de guerre en vidéo, de comptes épargne ouverts à des jeunes qui savent à peine lire et écrire, d’images de stars vautrées sur des magazines qui montrent qu’on peut réussir sans effort et même souvent en profitant de la bêtise humaine, une société qui ne punit plus ses bandits, qui laisse la parole à ceux qui, accédant au pouvoir, cloueraient le bec à tout le monde, une société qui, le cœur sur la main, abrite sa misère derrière une multitude d’associations caritatives, ah la charité, ce bon vieux cache-sexe d’une bourgeoisie corrompue, oui comment peut-on défendre cette société sans se faire l’avocat du diable ?
Alors on se retranche derrière ce qu’on peut, perpétuellement sur la défensive : au moins nous sommes libres, nous vivons en démocratie, nous avons tous les cinq ans notre mot à dire, des syndicats aussi, des associations, une presse qui parfois divulgue des vérités, et nous usons à satiété de contre-exemples : regardez là-bas, ces peuples qui survivent sous la botte, ces enfants qui travaillent en usine, ces femmes maltraitées, ces journalistes emprisonnés, ces conflits meurtriers ! Contentons-nous de ce que nous avons ! Un discours peu convaincant, à force. A quel point on peut regretter ce début de siècle où des intellectuels honnêtes et bourrés d’enthousiasme appelaient à la transformation du monde, un temps bien révolu. Plus rien à proposer ! Sinon la défense des acquis, la sécurité sociale, l’existence du bureau de poste, de l’école ou de l’hôpital de proximité, le refus d’un plan social et des licenciements qui vont avec, l’augmentation de un pour cent du SMIC. On ne fait pas rêver avec ça, même s’il faut le dire et le clamer. C’est moins que le programme minimum des socialistes il y a cent ans !
Nous vivons aujourd’hui dans un monde que Luc ferry dit : sans transcendance. On pourrait dire : sans espérance. Dieu est mort, achevé par Marx et Nietzsche à la fin du XIX°siècle, après une longue maladie contractée au Siècle des Lumières. Dès lors, du Ciel, on ne peut plus rien attendre. Quand aux grandes théories globalisantes qui promettaient monts et merveilles, elles ont sombré corps et âme dans le pire des totalitarismes, et malgré quelques tentatives timides, ne promettent plus grand-chose. Les petits chanteurs à la croix de bois ne chantent plus, les chœurs de l’armée rouge se sont tus. (4) Il n’y a plus rien. Anne ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? Non, rien. Et ce ne sont pas quelques éoliennes, une voiture électrique, ni le tri sélectif des déchets qui pourront nous faire envisager l’avenir avec confiance. On peut craindre ce vide. Vertigineux. Un espace illimité qui pourrait à tout moment être comblé par le pire des bateleurs, un fou qui remettrait de l’ordre dans les rues et dans les esprits, un Envoyé d’un dieu détenteur de vérité, un Comandante, un Conducator, un Ayatollah (aux couleurs de la France…), un Guide.
Ou alors les choses vont rester ce qu’elles sont. Nous nous laisserons encore longtemps bercer de discours. Avec des pensées uniques plein la tête, des idées creuses mais veloutées, qui rassurent. Cette liberté que nous chérissons tant restera celle du choix entre chômage et loisirs. Ou les deux en même temps. Loisir au sens moderne, surtout pas la skholê des anciens qui comprenait l’idée d’étude, quand l’école chez nous devient un espace de jeux. La cabane est pauvre, mais au fond de la pièce des hommes ivres de bière s’agitent devant un écran plat. Un illettré bourré d’argent sale à qui tout sourit au volant d’une BMW. Un fils bac plus huit qui remue ciel et terre pour obtenir un CDD à 1700€ à sept cent kilomètres de sa famille. Oui, les choses peuvent rester ainsi. Les héros sont fatigués. Les justiciers d’antan ont laissé place à des syndicalistes bedonnants. Le curé a perdu ses ouailles, mais comme rien ne se perd, les légions de l’ordre moral cherchent d’autres bergers plus convaincants bien capables de nous inventer un moyen âge mondialisé. La mondialisation a commencé. Le moyen âge pointe son nez. Quel monde va-t-on laisser à nos enfants ? Ici même, au pays de Montesquieu, de l’esprit et des lois, au pays de la république, allons enfants, réveillons-nous !
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(1) « Benny vit seul à la ferme familiale avec ses vingt-quatre vaches laitières, il s’en sort comme il peut, avec son bon sens paysan et une sacrée dose d’autodérision. »
(2) Faire dire à l’adversaire ce qu’il ne pense pas… une version « light » de méthodes que d’honnêtes gens ont subies dans des pays où l’on faisait avouer un crime à quiconque avait commis celui d’exercer sa liberté.
(3) J’y reviendrai ; on peut douter de la sincérité de ces esprits très critiques à l’égard de la société capitaliste occidentale… qui tiennent le même langage que ces totalitaires sans esprit qui tiennent sous leur joug les peuples d’Orient. On pourrait chercher longtemps les différences entre le discours d’Ahmedinejad et celui de l’extrême gauche sur des sujets comme le monde occidental, l’impérialisme, la situation déplorable de la femme dans la société capitaliste, l’existence de l’état d’Israël… La gauche extrême a encore quelque progrès à faire, on attend encore les premières candidates en niqab.
4) D’un claquement de doigt, le pape, le duce, le führer ou le petit père des peuples rassemblaient des millions de personnes dans les rues. Aujourd’hui, il faut une love parade pour en rassembler autant, quand les déclarations antisémites et les crimes du dictateur iranien n’indignent que quelques centaines de personnes au Trocadéro.
19:21 Publié dans Totalitarisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : gauche, extrême gauche, dogmatisme, démocratie occidentale
15/07/2010
"Je ne veux pas voir l'immensité de ton univers..."
Des ressortissants cubains libérés ont pu gagner l’Europe. Qu’avaient-ils fait ces gens pour être si longtemps privés de liberté ? J’ai beau lire les journaux, je n’y apprends rien. Peut-être ont-ils été emprisonnés parce que… ils existaient tout simplement. Cela s’est vu dans le passé. Toutes les catégories ethniques, sociales, politiques ont été touchées par ce phénomène au cours de l’histoire. Le pire a été atteint au XX°siècle où l’existence de millions de gens devint insupportable pour les grands régimes totalitaires. Dans un cas, les victimes furent les juifs et les tziganes. Dans l’autre, des paysans trop attachés à leur terre, des peuples sacrifiés et livrés à la famine, des nations entières déportées, des millions condamnés à survivre loin de chez eux, dans des contrées sauvages.
On dit que les dictatures ne souffrent pas d’opposition. Mais ce qui pour eux est insupportable, c’est la vie, la vie tout simplement. Ces régimes tirent sur tout ce qui bouge. La vie est un danger pour des états animés par un Guide un seul ou une Idée une seule. Pour les idéologues de ces systèmes, la réalité n’est pas celle qui est donnée de voir et de vivre, souvent dans les conditions les plus douloureuses, mais celle qui doit être. Les pires souffrances ne doivent-elles pas être acceptées si l’on veut le bonheur dans un Reich qui doit durer mille ans ? Si l’on a en vue, à la fin des fins, la construction d’un monde où chacun aura selon ses besoins ? Alors, pensez, les juifs, les gens du voyage, les syndicalistes, les démocrates, les philosophes et les poètes, tous ces empêcheurs d’imposer l’Idée, de mettre en place le Système, qui pourrait s’indigner de leur liquidation, sinon des ennemis du Peuple, des agents de l’Etranger ? Ces femmes et ces hommes de courage, le plus souvent dans l’impossibilité de faire connaître leur existence hors des frontières de l’état-prison, résistent tout seuls, meurent d’une balle dans la tête, croupissent dans des geôles dont la presse internationale nous dit peu de choses, car dans ces pays la presse internationale ne s’aventure pas hors des bâtiments officiels, et encore, quand elle réussit à passer la frontière. Il est significatif que sur la même île, les conditions de détention des prisonniers de Guantanamo ont fait le tour du monde sur tous les écrans, internet et les journaux, alors que, à quelques kilomètres de là peut-être, des opposants au régime castriste finissent leurs jours en prison sans que personne ou presque n’en soit informé. Il a fallu la chute de Sadam Hussein pour que l’on apprenne quel était le sort terrible réservé aux démocrates irakiens. Quand à la Corée du nord, tout semble aller pour le mieux, le communisme en construction réserve au monde de belles surprises dans un avenir proche.
Dans ces pays donc, la réalité n’est pas celle qui est vécue au jour le jour, mais celle qui doit être. C’est une idée ancienne, selon laquelle nos sens nous trompent, la seule réalité vraie ne peut nous être donnée que par le travail de l’esprit, par l’intellect. L’idée selon laquelle l’homme vit dans le projet, oh combien cette idée peut faire de mal ! Car en scrutant l’horizon avec une longue vue, on risque de ne pas voir où nous marchons et, comme disait le philosophe, de tomber dans un trou. C’était très beau en 1961 d’entendre Youri Gagarine s’adresser au monde depuis son véhicule spatial, premier voyage de l’homme hors de l’atmosphère terrestre. Imaginez qu’au lieu de cela, les journaux du monde entier aient consacré leur une à décrire la condition de vie et de mort des milliers de déportés politiques en Sibérie ! Impensable, au sens strict du mot. L’avenir, c’était Gagarine, et pas seulement pour les journaux communistes. Pourtant en ces jours sombres, la réalité était plus que jamais à nos pieds, sur notre bonne vieille terre, et les dissidents soviétiques ont dû se sentir bien seuls.
J’évoquais ces cubains récemment libérés, sans oublier ceux qui sont encore emprisonnés. Qu’ont-ils fait, sinon ne pas avoir saisi la situation réelle de leur pays, celle d’un avenir en construction. Ils ont fondé leur jugement sur ce qu’ils voyaient, ce qu’ils entendaient, ce qu’ils ressentaient, ce qu’ils vivaient, sans replacer ces impressions dans la perspective globale de l’édification du communisme. Le monde apprendra un jour qu’ils étaient dans le vrai et que l’état qui les privait de liberté était entre les mains d’une clique qui s’était arrogée le droit de décréter ce qui était vrai et ce qui ne l’était pas.
Finalement, si parfois les sens nous trompent, l’esprit peut nous tromper aussi. Et les conséquences en sont incalculables. Je ne résiste pas à l’envie de faire partager ces quelques mots du bon vieux Lucrèce :
« …la plupart de telles erreurs sont imputables aux jugements de notre esprit, qui nous donne l’illusion de voir ce que nos sens n’ont pas vu. Rien n’est plus difficile en effet que de faire le départ entre la vérité des choses et les conjectures que l’esprit y ajoute de son propre fonds. » (1)
(1) De la nature, livre quatrième, dans lequel –chose étonnante- Titus Lucretius Carus né en 98 avant notre ère, avait prévu la chute du mur : « Enfin si dans une construction le plan fondamental est faux, si l’équerre trompe en s’écartant de la verticale, si le niveau a des malfaçons, il sera fatal que tout le bâtiment n’ait que vices : difforme, affaissé, penchant en avant ou en arrière, sans aplomb ni proportions, il menacera de tomber, et tombera en effet par parties ; or toute la faute sera aux premiers calculs. » (446-524) Garnier-Flammarion, ed.1964 pp.130-131
§
Laisse-moi ici, auprès des orphelins
Au traître, Fidel Castro.
…Je ne veux pas voir l’immensité
de ton univers : laisse-moi ici,
auprès des orphelins.
Pour continuer de vibrer parmi
ces quelques empans de pierres
et de mousse
je me contente de la lumière
qui habite mon cœur,
le soleil quotidien des naufragés
et la droite opportune.
A moins que tu n’aies
peut-être
mieux à offrir
dans ton monde
fait de foules écrasantes,
de chiffres,
de calculs
et du sourire polissé
qui affleure à tes lèvres ?
Ernesto Dias Rodriguez,
poète interdit, condamné à 40 ans de prison, comme opposant à la dictature. Il est torturé, mais ne cesse de protester, à demi nu, refusant de porter la tenue de prisonnier. Libéré et expatrié de Cuba en 1991 grâce à une vigoureuse campagne menée par le parti communiste français… non, je plaisante !!! Libéré et expatrié de Cuba en 1991 grâce à une vigoureuse campagne en faveur de sa liberté menée par les Pen Clubs de France et des Etats-Unis.
[Avec mes remerciements aux éditions Gallimard, à Reporters sans frontières, à la FNAC, pour ces extraits de l’Anthologie de la poésie cubaine censurée, proposée par José Valdès, éd. Gallimard, 2002.]
§
19:43 Publié dans Totalitarisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : totalitarisme, communisme, nazisme, cuba, castro
17/04/2010
Pourquoi taire les crimes du communisme (suite)
Dans un article précédent nous en étions arrivé à 1922, fin de la période léninienne (Lénine est mort en 1924). Atteintes à la démocratie, à toutes les formes de liberté, dictature d'un parti sur un peuple, déportations et crimes : non seulement la mort de Lénine ne mit pas un terme à tous ces maux, mais depuis l'arrivée de Staline au pouvoir, entouré de ronds-de-cuir (1) à sa botte, les peuples qui composaient l'Union soviétique subirent pendant plus de soixante ans (les successeurs de Staline continuant son « œuvre ») un régime despotique (2). Dans le cas de la Russie soviétique, le despote ne fut pas un individu, mais plutôt une personne « morale » : le parti ; là réside l'aspect totalitaire du régime en même temps que sa force. Le parti agissant pour le bien de tous, chacun participe, brique scellée dans l'édifice de la dictature, jusqu'au dissident qui, convaincu de la nécessité et de l'inéluctabilité du but final, se résigne à considérer ceux qui le persécutent, non comme des gardiens du dogme, mais comme des révisionnistes, au pire des falsificateurs de la doctrine.
Ce qui nous intéresse ici, ce n'est pas d'attirer l'attention sur une dictature qui par sa durée est loin d'être un cas unique dans l'histoire, car des dictatures et des tyrannies, au fil des siècles, les hommes en ont vu d'autres, mais plutôt de relever un fait étrange : il n'est pas interdit (il est même conseillé) dans notre société de clouer au pilori (3) toutes les formes de dictature à condition de ne pas toucher au communisme ! Je crois m'être expliqué là-dessus dans ce même article (4). J'ajouterais, mais ce n'est pas le sujet ici, qu'il faut s'interdire aujourd'hui de mettre en cause l'islamisme : on accepte bien des choses quand elles viennent du tiers-monde. Argument de l'extrême gauche : les régimes dictatoriaux des pays du tiers-monde seraient des produits de l'impérialisme occidental. Allons camarades, depuis des millénaires, en matière de dictature et d'injustice, les peuples de là-bas ont disposé du nécessaire sur place. A commencer par l'esclavage qui n'a pas été initié par la colonisation. Les autochtones avaient depuis longtemps fait preuve de leur savoir-faire en la matière. Mais revenons à nos moutons.
La liste des agressions, pillages, entorses au droit international, crimes cités ci-dessous est dressée dans « Le livre noir du communisme » un ouvrage tant décrié, pour des raisons bien compréhensibles. On reproche à Stéphane Courtois « d'enlever son caractère historique au phénomène.» Ce qui revient à justifier la violence : face au monde impérialiste, les bolcheviks y auraient été contraints... A la boutade « on ne fait pas d'omelette sans casser des œufs », Vladimir Boukovski répliquait qu'il avait vu les œufs cassés, mais n'avait jamais goûté l'omelette. (cité par Courtois)
D'autres reprochent aux auteurs de ne pas faire la différence entre la théorie communiste et son application détournée en Russie, en Chine, au Cambodge... On pourrait leur rétorquer que des millions de Soviétiques, de Chinois, de Cambodgiens sont morts avant d'avoir eu le loisir de lire les textes fondateurs. Ils n'en ont connu que les implications.
Mais attention : après avoir lu et relu les critiques, parfois très vives, adressées aux auteurs de ce livre, si les contradicteurs remettent en cause des chiffres, jamais, je dis bien jamais ils ne mettent en cause les faits rapportés :
- - Assassinat de dizaines de milliers de personnes dans les camps de concentration entre 1918 et 1930;
- - Déportation de deux millions de koulaks en 1930-32;
- - La grande famine ukrainienne de 1932-33 liée à la résistance des populations rurales à la collectivisation forcée, provoqua la mort de 6 millions de personnes;
- - Liquidation de près de 690.000 personnes lors de la Grande Purge de 1937-38;
- - Négociations secrètes de Staline avec Hitler aboutissant à deux traités du 23 août et du 28 septembre 1939, partage de la Pologne, annexion à l'URSS des états baltes, de la Bucovine du nord et de la Bessarabie;
- - Agression de la Finlande le 30 novembre 1939;
- - Exécution de 4500 officiers polonais à Katyn en 1939; un massacre qui, pour Vidal-Naquet aurait pu entrer dans le cadre du procès de Nuremberg(5);
- - Plusieurs centaines de milliers de militaires allemands sont morts après avoir été déportés au goulag entre 1943 et 1945;
- Le mutisme imposé par le parti concernant les exactions commises par les soldats de l'armée rouge, en particulier les viols de femmes allemandes dans l'Allemagne occupée. Voir à ce sujet le reportage « Les Russes à Berlin » Scherz Verlag München-Bern-Wien, 1965 Robert Laffont, 1967 dans lequel Erich Kuby, citant Horst Schützler relève :
« Le spectacle de milliers de kilomètres de sol national dévasté, de villes et villages rasés, de potences et fosses communes où avaient fini tant de citoyens soviétiques allumait, dans le cœur des soldats russes, une haine démesurée contre les agresseurs allemands et effaçait parfois la distinction établie par leurs chefs militaires et politiques entre les fascistes hitlériens et les populations allemandes égarées, et leur inspirait des sentiments de vengeance (souligné par moi) (...) Tous les citoyens soviétiques n'avaient pas encore assimilé l'idéologie socialiste au point d'être préparés à cette terrible épreuve ! »
Certes. Mais les massacres commis par les SS en Union Soviétique justifient-ils les exactions commises par les soldats soviétiques sur des femmes allemandes ? Non. Pas plus que les massacres de civils français par la Gestapo et l'armée d'occupation ne justifiaient le mot d'ordre de résistants, probablement de la dernière heure : « A chacun son boche ! »
- Pillage systématique de tout l'appareil industriel des pays occupés par l'Armée rouge. Plus que l'appareil industriel, des produits finis (en Allemagne avant-guerre) furent revendus sous un autre nom (russe) après avoir subi quelques menues modifications. C'est le cas en photographie et en optique, la plupart des usines de fabrication étaient en Allemagne orientale (Iéna, Dresde...). Je possède un appareil 6x9 pliant à soufflet de marque Mockba qui est la copie exacte du Zeiss Ikon Ikonta 6x9 d'avant-guerre. Pire qu'une contrefaçon : un livre de référence (6) indique qu'il est possible que certains composants de cet appareil aient été fabriqués en Allemagne avant la guerre ! (voir aussi la copie soviétique du Leica page suivante)
- - Déportation de centaines de milliers de Polonais, d'Ukrainiens, de Baltes, de Moldaves et de Bessarabiens (7) en 1939-41, puis en 1944-45;
- - Déportation des Allemands de la Volga en 1940-41;
- - Déportation-abandon des Tatars (8) de Crimée en 1943;
- - Déportation-abandon des Tchétchènes (9) en 1944;
- - Déportation-abandon des Ingouches (10) en 1944;
- - En 1943-44 Staline a fait retirer du front des milliers de wagons et des centaines de milliers d'hommes des troupes spéciales du NKVD pour assurer dans le délai très bref de quelques jours la déportation des peuples du Caucase.
§
Dans un troisième temps, on procédera à un double examen :
1/ les crimes de l'après-guerre avant et après la mort de Staline en URSS et dans les pays occupés dénommés « démocraties populaires » ;
2/ pourquoi les intellectuels et les dirigeants politiques occidentaux ont respecté la loi du silence sur ces crimes. Pourquoi les dirigeants staliniens et leurs complices n'ont-ils pas été jugés devant un Tribunal international ?
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(1) rond-de-cuir n. m. Fam., péjor. Employé de bureau. (Par allus. au coussin de cuir qui garnissait les sièges de bureau.) Des ronds-de-cuir. © Hachette Multimédia / Hachette Livre, 2001 ;
(2) despote n. et adj. 1. n. m. Souverain qui exerce un pouvoir arbitraire et absolu.
© Hachette Multimédia / Hachette Livre, 2001 ;
(3) Clouer qqn au pilori, le désigner à l'indignation publique. © Hachette Multimédia / Hachette Livre, 2001 ;
(4) Pourquoi taire les crimes du communisme ?
(5) Katyn, village de Russie, à l'O. de Smolensk. Dans la forêt de Katyn les Allemands découvrirent en avril 1943 les cadavres de quelque 4500 officiers polonais et attribuèrent ce massacre à l'Union soviétique, laquelle se défendit en accusant l'Allemagne. Les enquêtes menées après la guerre établirent la responsabilité de la police politique soviétique (reconnue par l'U.R.S.S. en 1990).
© Hachette Multimédia / Hachette Livre, 2001 ;
(6) Princelle Jean Loup.- The authentic guide to Russian and Soviet cameras, deuxième édition, Août 2004 ;
(7) Bessarabie, rég. de Moldavie et d'Ukraine, au N.-O. de la mer Noire, entre le Prout et le Dniestr. Russe en 1878, roumaine de 1920 à 1940 et de 1941 à 1944, la Bessarabie a été reconnue partie intégrante de l'U.R.S.S. au traité de Paris de 1947. Ce traité a été dénoncé par la Roumanie en 1991.
© Hachette Multimédia / Hachette Livre, 2001 ;
(8) Tatars, peuple de nomades turco-mongols dont la présence est attestée au VIIIe s. dans l'O. de l'actuelle Mongolie. Ils furent écrasés par Gengis khan en 1202, mais les Européens nommèrent longtemps «Tartares» tous les envahisseurs mongols, puis diverses populations turques de Russie. De nos jours, les Tatars, musulmans, sont évalués à env. 7 millions de personnes; on distingue essentiellement les Tatars de la Volga et les Tatars de Crimée. Ces derniers, déportés par Staline à la fin de la Seconde Guerre mondiale, ne furent réhabilités qu'en 1987 et luttent toujours pour regagner leur territoire national.
© Hachette Multimédia / Hachette Livre, 2001 ;
(9) Tchétchènes, peuple caucasien islamisé, les Tchétchènes (environ 650000 personnes en 1995) ont valeureusement résisté à l'expansionnisme russe des XVIIIe et XIXe siècles, jusqu'à la chute de leur chef Chamil (1859): Grozny («la Terrible» en russe) devint alors ville de garnison russe. Après la prise de pouvoir bolchevique, leur territoire est successivement partie de la «République autonome des montagnes», «Région autonome», puis portion de la Fédération de Russie, à nouveau «République autonome» mais en association avec les Ingouches (1936). En 1944, Tchétchènes et Ingouches sont déclarés «peuples punis» et déportés en Sibérie. Leur république disparaît et est colonisée par des Russes et des Géorgiens jusqu'en 1957, date à laquelle la déportation est suspendue et la république recréée. Ce long passé d'adversités est évidemment une source de ressentiments très vifs des populations locales envers les Russes, et il n'est pas surprenant que cette hostilité se soit transformée en conflit ouvert après la chute du système soviétique (1991).
© Hachette Multimédia / Hachette Livre, 2001 ;
(10) Ingouches, peuple musulman du Nord du Caucase. Déportés massivement en 1943-1944 par Staline, ils purent s'établir dans la République de Tchetchénie-Ingouchie en 1957.
© Hachette Multimédia / Hachette Livre, 2001 ;
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