03/10/2016
D'où viens-tu ?
On ne voit plus les gens comme ils sont. On se demande d’où ils viennent. Je ne pense pas immédiatement à ceux qui viennent d’ailleurs. On ne s’est jamais autant plongé dans les recherches généalogiques. Jusque dans les classes où il est demandé aux élèves de dessiner leur arbre familial. Et chacun de plaider pour son pays, sa région, son village, son quartier. Le pompon revient aux Corses et aux Bretons et je mets des majuscules. Ces gens vivent dans un Eden inimitable. Si vous les avez un jour à votre table, ils vous rendront un grand service : ils vous montreront que vous ne savez rien, que vous n’avez rien à dire, mais si par malheur vous êtes du nord, ils vous rejetteront dans le gris et la froidure. Le pire des imbéciles s’il est breton ou corse de cœur et d’esprit aura, partout où il sera, le monopole de la parole. Et malheureusement pour vous, pas dans sa propre langue, mais en français.
Quel est l’intérêt de savoir d’où vient quelqu’un ? Il est plus simple d’aller voir sur place. Je ne connais pas la Corse, mais la Bretagne est une région de France magnifique où l’on rencontre des gens très bien, accueillants et qui ne vous bassinent pas avec leur océan, leur vent du large, leurs poissons, leurs druides, les algues thérapeutiques et l’histoire de la marine à voile. On est toujours assez grand pour se rendre compte par soi-même de ce qu’on voit, de ce qu’on entend et de ce qu’on mange.
Cet intérêt -nouveau par son ampleur- pour tout ce qui touche aux origines s’accompagne automatiquement d’un questionnement sur les traditions, les coutumes. Plus d’un goût prononcé d’ailleurs que d’un questionnement. Les traditions sont là pour être admirées, à l’occasion perpétuées, mais jamais questionnées. La coutume est hors de question. Attention danger. Car s’il est des traditions amusantes, il en est d’autres inquiétantes que les démocrates que nous sommes ne tiennent pas particulièrement à exhumer.
Hormis la Corse et la Bretagne, il y a une autre région qu’il faut prendre avec des pincettes. Elle ne vient pas du fond des âges, est encore en rodage mais prometteuse. Elle n’est ni au nord ni au sud, elle ceint les villes, elle a ses us et coutumes, ses règles, ses héros et ses dieux. Elle a une particularité dont ne dispose aucune autre région de France : on ne peut l’évoquer, la décrire, la penser qu’avec compassion. On la dit déshéritée, défavorisée, laissée sur le bord du chemin, oubliée de la république. De ses quartiers on dit qu’ils sont sensibles, un terme que la langue n’attribuait qu’à des êtres humains. Etes-vous de là ? On vous plaindra ou l’on vous condamnera. Sans se demander qui vous êtes.
Un retour dangereux à ces théories qui parlaient non des hommes, mais des masses. Dangereux car il arrive qu’un troupeau cherche son berger. Et le trouve. Cela s’est vu dans le passé. Les grandes théories politiques des siècles derniers n’ont pas franchi les limites de la sociologie. A la suite de Marx, elles se sont accordées pour dire que c’est l’être social qui détermine la conscience. Elles ont écarté toute idée de personne. Elles ont raisonné en termes de classe, de nation, quand ce n’est pas de race. On a vu vers quelles horreurs cette façon de ne pas penser l’homme a plongé l’humanité.
Attention alors à ne pas accorder une existence qu’elle n’a pas à la gent des quartiers ! Pas plus que la découverte de canaux sur la planète Mars n’indique la présence de martiens, l’alignement de barres d’immeubles ne nous permet d’induire une identité pour leurs habitants. Et comme les quartiers que nos politiques pensent déshérités n’ont pas le monopole de la misère et de la détresse, les paysans et les pêcheurs pauvres ne se ressemblent pas non plus. Nous sommes tous différents, et même si certains ici ou là sont confrontés aux mêmes problèmes, chacun est maître de son destin.
Ne commettons pas l’erreur de juger les gens en fonction de leur couleur de peau, de leur origine géographique ou ethnique, de leur milieu social, de leur lieu d’habitation, de leur philosophie ou de leur pensée politique. Car toutes ces choses n’atténuent en rien les circonstances d’une conduite. En les prenant en compte, on cultive l’irresponsabilité, c’en est fini du libre-arbitre qui était et est encore le propre de l’homme.
Regarder l’individu en se demandant d’où il vient, c’est un peu ce que ferait le policier s’il prenait exclusivement en compte le casier judiciaire d’un suspect. N’enfermons personne dans la geôle de ses origines, ne collons à personne un casier généalogique. Bien sûr il y a des circonstances, des causes, des non-dits, mais à la fin des fins il y a toujours quelqu’un. Sinon, c’en est fini de la justice, et bien pire.
Comme c’est ridicule de coller l’étiquette « juif » à un israélien, ça l’est aussi de penser le français « chrétien » ou l’arabe « musulman ». Nous sommes ainsi faits que même après des siècles d’histoire, il reste au plus profond de nous un carré irréductible de liberté, qui nous rend insensible à l’air du temps, à ce qui se dit, à l’idée dominante, à l’opinion.
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11:02 Publié dans Totalitarisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : origine, généalogie, sociologisme
28/06/2016
Trois mots
En flânant dans la rue il vous arrive certainement de vous arrêter devant un kiosque et de jeter un œil sur la une des quotidiens. Ce fut mon cas la semaine dernière, il faut dire que l’actualité, sociale en particulier, incite chacun d’entre nous à s’informer. Si on ajoute au climat social délétère le danger terroriste, chacun s’enquiert heure par heure de ce qui se passe dans le pays. Je tombai donc sur ce titre en grands caractères :
LIBERTE, EGALITE, MANIFESTEZ !
Plus qu’un titre, plus qu’un scoop, c’était une injonction. J’oserai même, vu l’état d’urgence dans lequel les fous de l’islam ont plongé le pays : un appel au meurtre. Les policiers déjà mobilisés chacun sait pourquoi, et fatigués, avaient bien besoin d’être appelés à protéger vitrines, magasins, bâtiments publics et hôpitaux contre des cagoulés qui profitent du conflit social pour faire connaître au peuple leur programme : tout casser, à commencer par la police. On peut regretter que des syndicalistes, des journalistes, des gens de tous les jours aient déjà oublié ce qu’ils doivent à nos policiers sans la vigilance desquels les libertés de circuler, de dire, de publier et de blasphémer seraient réduites à néant.
Mais il y a autre chose. De qui est venue l’idée d’un titre aussi provocateur ? Ce journaliste doit pourtant savoir que du temps où ses maîtres à penser régnaient sur la moitié de l’Europe, il n’était pas question de manifester, impensable de revendiquer, dangereux d’exprimer une opinion autre que celle du secrétaire général, quand à l’égalité, elle était le fait de ceux qui n’étaient pas membre du parti, qui devaient se contenter du minimum en attendant des jours meilleurs, après l’édification définitive du bonheur sur la terre. On me dira, les communistes ont changé, ce ne sont plus les mêmes aujourd’hui, regardez en Italie, le mot lui-même n’est plus revendiqué. J’écoutais leur secrétaire général l’autre jour, il me faisait presque de la peine, pas de grande envolée, encore moins de colère, un ton monocorde, quand à l’humour vous aurez plus de chance d’en trouver chez les militaires. Aucune référence au passé, le Goulag, les procès de Moscou, les internements en hôpitaux psychiatriques, l’écrasement des révoltes ouvrières dans les pays de l’est, tout est passé sous silence, tout est oublié. C’est dangereux l’oubli, ça peut coûter cher. J’y pensais il y a quelques mois en apprenant que sur la place de la République où manifestait l’extrême gauche, un philosophe avait été interdit.
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19:39 Publié dans Totalitarisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : liberté, communisme
04/04/2015
L'islam, un espoir pour l'humanité ?
L’islam peut-il permettre à l’humanité d’en finir avec l’individualisme et la concurrence sauvage liée à l’économie de marché ? C’est la question que posait –bien avant les porte-parole du multiculturalisme- Roger Garaudy (1). L'idée est simple: la société va mal parce que l'homme a perdu la foi, parce qu'en ne croyant plus en Dieu il ne croit plus en rien. Le lien avec le Ciel a été rompu, la religion a été renvoyée à ses autels, ceux qui président à la destinée du monde sont perdus, dés-orient-és.
Garaudy pense que le christianisme des débuts était porteur d’un immense espoir. L'était-il vraiment ? D’où vient alors la fin de l’espérance ?
Il faudrait la chercher dans le dualisme grec, cette séparation voulue par les philosophes entre le domaine de la foi et celui de la raison. Une fausse interprétation de la parole biblique selon laquelle il faut rendre à César ce qui lui appartient, à Dieu ce qui lui revient. Coupure entre le politique et le religieux. Garaudy a-t-il raison de dire qu’il n’y avait dans la parole de Jésus que la volonté de dénoncer les prétentions totalitaires de César ? Il reste que cette coupure, cette séparation des domaines terrestre et céleste est remarquable dans la philosophie d’un fondateur de la pensée occidentale, Aristote. L’allégorie platonicienne de la caverne soulignait la continuité du fil qui mène de l’ombre à la lumière, chemin difficile à suivre, démarche douloureuse qui ne mène nulle part ailleurs qu’à l’intérieur de soi (une quête peut-être inspirée de la pensée orientale). Pour Aristote la beauté du monde sensible dans lequel les hommes sont plongés leur donne la possibilité d'y discerner l'existence d'un ordre supérieur, intelligible. D’affirmer qu’il y a un « ailleurs », un autre monde, un au-delà. Qu'il y a une cause supérieure, une puissance créatrice, ordonnatrice. Mais qu’il y a ici-bas un monde et de quoi s’occuper. En laissant à César puis à Constantin plein pouvoir sur la vie politique et sociale, le dualisme « faisait de la foi une affaire privée, n’ayant plus prise sur l’organisation de la cité ». Devenue autonome, la politique portait « en soi ses propres fins, sans rapport avec l’homme ni avec le divin » (Garaudy).
Il faut être aveugle et imbibé de culture religieuse pour oublier que durant dix-huit siècles les royaumes occidentaux ont usé et abusé du droit divin, que durant dix-huit siècles les hommes, poètes, philosophes, mécréants, scientifiques, astronomes –sans oublier les femmes- durent vivre, penser et agir à l’heure religieuse, catholique en l’occurrence, un totalitarisme bien plus pervers qu’une dictature car les peuples maintenus dans l’ignorance participent eux-mêmes à leur propre servilité. Si les Lumières, les réformes et les révolutions ont ouvert une brèche dans la forteresse des dogmes et des croyances primitives, elles le firent contre le système religieux, et chaque fois qu’il fallut développer la pensée et le savoir, elles trouvèrent en face d’elles l’Eglise, les églises.
En faisant l’impasse sur la nuit qui s’abattit si longtemps sur les peuples, Roger Garaudy veut retrouver la pureté originelle qui fut celle des premiers chrétiens, la vraie foi. Pour lui, si le christianisme a encore une chance de sauver l’homme, « l’homme de nos sociétés occidentales…voué à la solitude, à l’isolement à l’égard des autres hommes…par l’écrasement des plus démunis, …par la convoitise…la publicité et le marketing… », cette chance il peut la trouver dans l’islam. L’islam qui, « en refusant les faux dualismes de la politique et de la foi…en liant indissolublement transcendance et communauté, peut nous aider à revivifier le christianisme lui-même et à surmonter la crise de désintégration du tissu social. »
Fichtre ! Moi qui croyais dans les années soixante qu’on allait en finir avec l’obscurantisme religieux, que l’imagination allait s’emparer du pouvoir, accompagnée de ses anges gardiens, la liberté de penser d’un côté et l’avenir de l’homme, poitrine nue de l’autre, me voilà aujourd’hui bien embarrassé ! Tout ça pour rien !? Nous avons cru en un monde inaccessible, nous avons cru en un monde, nous avons cru. Et c’était là l’erreur. Il ne faut pas croire. Un demi-siècle après avoir partagé avec des millions que les religions sont un opium pour les peuples, près de moi passent des femmes dont on ne voit que le bout du nez, des hommes qui n’ont plus d’humain que le système pileux, un philosophe qui me dit que l’avenir d’une religion qui a fait tant de mal si longtemps ici, qui a obligé tant d’hommes et de femmes et d’enfants à croire à des sornettes, tout cela pour préserver des privilèges de caste ou de classe, un philosophe qui émet l’hypothèse que le christianisme pourrait être sauvé par une idéologie qui nous ramène encore plus loin dans le passé et les ténèbres : l’islam !
Il écrivait cela en 1981. Aujourd’hui l’islam est devenu une affaire qui marche. Les catholiques qui, après avoir rongé leur frein dans les années soixante ont compris que l’avenir du culte n’était pas auprès du bénitier, mais à gauche, dans les associations charitables, chrétiens de gauche apôtres du « vivre ensemble » qui sont devenus à ce point des thuriféraires (de turifer: qui porte l'encens) de l’islam qu’ils ne sont plus à même de défendre leurs coreligionnaires empêchés de pratiquer leur culte, et persécutés en Orient. Il ne serait pas étonnant d'assister bientôt à des conversions. Je pense d'abord à ceux pour qui la propagation de l'islam s'explique par le développement du chômage et de la misère. Ils n'ont pas à tergiverser longtemps pour désigner un ennemi commun : le capitalisme sans foi ni loi. A quoi bon condamner les petits trafics quand plus haut on pioche des millions dans les caisses de l'état ? Inquiétant de voir des sentiments aussi humains que l'esprit de solidarité, de justice ou de charité trouver en une idéologie aussi impérialiste et dévastatrice que l'islam un allié de circonstance ! Des milliers de nos compatriotes qui par noblesse de cœur tentent de donner aux jeunes une raison d'espérer, parce que cette belle entreprise se heurte à une situation sociale irrémédiable, risquent de sombrer avec eux dans un islamisme tout politique, frère de ce que nous avons connu dans les années soixante sous le nom de théories de la libération. Ce qu'il y avait dans ces « théories » de volonté d'en finir avec la colonisation et l'exploitation du tiers monde hante les nouveaux libérateurs de nos quartiers : non seulement dans la haine de cette cible clairement identifiée, l'état d'Israël qui colonise à tout va, aussi parce que la situation des jeunes dans les quartiers est celle d'enfants d'enfants d'enfants de colonisés. L'islam qui est devenu dans nombre de pays du proche et du moyen orient l'étendard de la révolution pourrait en occident cimenter les exigences des enfants de l'immigration que la société n'a pas su accueillir, ou qui n'ont pas voulu s'y intégrer, mais aussi inspirer une certaine gauche un peu perdue depuis la disparition corps et âme de ses maîtres à penser et de leurs tristes expérimentations sur des millions d'êtres humains. Certains signes ne trompent pas, une candidate d'extrême gauche voilée, la participation de militants gauchistes à des manifestations islamistes aux slogans antisémites, à des colloques en présence de salafistes, le silence réservé aux attentats et l'insistance à en rendre coupables des gens qui n'ont rien à voir avec l'islam...
N'est-elle pas paradoxale cette fusion entre une partie du monde progressiste, intellectuels, militants de partis ou d'associations et l'idéologie totalitaire ? Elle ne devrait pas nous étonner. On a connu fusion semblable dans le passé quand on dénommait certaines parties du territoire les banlieues rouges. Elles étaient peuplées de familles ouvrières qui voyaient dans le communisme en construction à l'est une raison d'espérer. Etaient-ils blâmables ces militants qui restaient sourds aux appels pressants des « dissidents » qui alertaient l'occident sur les effets terribles de la dictature communiste ? Certainement pas. D'autres oui, beaucoup plus haut sur l'échelle militante, qui savaient.
La trajectoire de Garaudy est intéressante car elle montre comment on peut passer d'une idée à une autre. D'un totalitarisme qui a fait son temps à un autre, "prometteur". Elle montre aussi que le capitalisme sauvage mondialisé peut fabriquer des monstres. Combien nos sociétés derrière une façade aux couleurs de la modernité n'ont pas progressé dans le domaine de l'esprit. Combien il est difficile d'être un simple militant de la liberté, sans se référer à un système ni à un livre aussi sacré soit-il. C'est pourtant ce qu'il faut être.
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(1) Garaudy, Promesses de l’islam, éditions du Seuil, 1981, p.57 ;
10:38 Publié dans Totalitarisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : garaudy, islam, christianisme, communisme