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16/12/2009

XVI- Silhouette massive, présence de poils...

 Jennifer a bien pris le temps de les observer. Question observation, je me fie à son regard de femme, infiniment plus aigu et pénétrant que le mien. Ils ont le feu, me dit-elle. Silhouette massive, présence de poils sur les parties du corps qui en sont dépourvues chez nous, si l'on excepte les cas de certains individus repérés naguère sur les plages des lacs de Thuringe... Neandertal ? Oui, surtout la silhouette massive, accentuée par des proportions qui auraient surpris et peut-être intéressé Bruegel, Bosch ou les renaissants italiens : la longueur du torse et la petitesse des membres inférieurs. Ce sont des êtres primitifs. Je me souviens cependant en avoir entendu rire, quand au pied de la navette, l'un d'entre eux avait posé mon casque sur le haut de son crâne. Ces gens savent rire. Mon épouse prétend que ce n'était pas le cas des néandertaliens. Ils ne savaient ni parler ni rire. Enfin, d'après ce qu'on en sait dans les laboratoires... jusqu'à ce qu'un jour on découvre sur un ossement un gène témoignant d'une aptitude au langage, et d'une possibilité pour le cerveau de commander nerfs et muscles faciaux ! Bon. Même s'ils ne s'expriment que par cris, au moins ils savent rire. Les humains pourraient en prendre de la graine, y a-t-il meilleur moyen de communication que le rire ? Pour notre part, il nous a manqué, si les hommes s'étaient moins pris au sérieux, il n'y aurait pas eu de guerres, les préjugés et les dogmes en auraient pris un sacré coup, les « Je sais tout » auraient disparu des ondes radios et de la surface de la Terre, planète que nous n'aurions peut-être pas déserté, car au premier Grand Chef qui aurait annoncé la construction d'une centrale nucléaire près d'une zone sismique, la foule pliée en deux aurait répondu par un grand éclat de rire.

 

 Depuis quelques jours, nous avons abandonné nos tentes, et commencé à édifier des cabanes que nous aménageons du mieux que nous pouvons, le bois ne manque pas alentour, ce qui fait défaut par contre, ce sont les outils. Nous avions pensé à tout au moment d'embarquer : vêtements, albums de famille, conserves, jouets pour les enfants, souvenirs en tous genres, jusqu'aux appareils de photographie (alimentés par des piles, vous devinez la suite...) et nous avons fait l'impasse sur le nécessaire. Il est vrai que sur notre bonne vieille Terre, en ce siècle où tout effort physique était devenu superflu, les machines faisant tout à notre place, qu'aurions-nous fait d'une cognée, d'une machette, d'une scie ou d'une pioche ? Le malheur a voulu que nous nous posions sur une planète couverte de forêts, et le mot est faible, je devrais dire futaies : les arbres d'espèces inconnues (à vérifier, je ne suis pas bûcheron) sont d'une taille appréciable, pour certains le diamètre du tronc dépasse les deux mètres. Il nous faut aller loin dans les bois pour couper des arbustes pouvant constituer l'ossature de nos masures, et des branchages pour le treillis des murs. Couper avec quoi ? Des haches semblables à celle que je garde dans ma poche, mais emmanchées, ligaturées. Là je dois m'arrêter quelques instants.

 

 Comment nous sommes-nous procuré ces haches ? J'y reviendrai plus tard. Promis. Car aujourd'hui, il s'est passé quelque chose, j'ai retrouvé un vieil ami.

 

 Les autres occupent le village, ils se sont appropriés les cases après en avoir chassé leurs occupants. Ils sont nombreux, plus forts et surtout sans scrupules. Un de nos voisins de Lao Tseu (Eisenach à l'origine), m'ayant reconnu de loin, fit quelques pas dans notre direction. Cet homme accort, à l'esprit ouvert, est un ancien camarade de classe de Jennifer. Très au fait en matière de bricolage, il nous avait rendu moult services pour aménager notre jardinet, monter des meubles en kit, et même construire un garage attenant à la maison. Il s'approcha et siffla d'admiration. Il était peut-être là depuis un long moment à nous regarder élaguer les branchages, entrelacer les rameaux, creuser les trous pour les poteaux, planter ceux-ci, tasser autour, les lier avec ceux qui supporteront les charpentes. Quand il vit que je l'avais reconnu, il fit quelques pas dans ma direction. Poignée de main, sourire, bonjour, nous étions l'un et l'autre tellement heureux de reconnaître un visage familier dans ce monde étranger enveloppé de mystère ! Il promena son regard alentour. Tous les membres de notre groupe, femmes, hommes, et même enfants s'affairaient autour des constructions. Tandis que deux hommes, les mains vides, s'enfonçaient dans la forêt, d'autres surgissaient, traînant derrière eux une montagne de fagots. Aussitôt, des gamins se précipitaient pour accomplir la tâche qui leur avait été assignée : trier les branches, séparer les plus souples des cassantes, les répartir en plusieurs tas en fonction des longueurs. Helmut, c'est ainsi qu'après plusieurs années de bons et loyaux services, je m'étais permis de le nommer, Helmut restait ébahi.

 

  • - Pourquoi vous donner tout ce mal?

 

Je ramassai un caillou et le jetai adroitement au pied d'un poteau que deux femmes étaient en train de sceller en damant autour avec leurs pieds. A nouveau il rompit le silence :

 

  • - Zhu, tu m'écoutes? Il reste des cases libres, largement assez pour vous tous. Pourquoi vous donner tout ce mal? Les zozos ne reviendront pas, ils ont la frousse.

 

  • - A cause de la fille assassinée?

 

Sa femme était sur le point de le rejoindre, avait-elle l'intention de me saluer, ou s'approchait-elle seulement par curiosité ? Le fait que notre groupe se soit mis à l'écart ne pouvait longtemps passer inaperçu. Le temps qu'Helmut se retourne, elle avait déjà fait volte-face, une fourrure lui couvrait le dos et les reins.

 

  • - Tu disais?

 

  • - Je demandais s'ils avaient peur de nous à cause de ce qui était arrivé à cette jeune fille.

 

  • - Zhu! Ce ne sont même pas des sauvages! Ils crient comme les animaux! Tu as vu comment ils vivent?

 

  • - Je ne sais pas comment ils vivent, mais ils dormaient dans des cases, avant notre arrivée. Et ils étaient tous vivants.

 

  • - Après ce qu'on a vécu nous autres, tu ne crois pas qu'on a droit à quelques écarts?

 

  • - Vous venez d'exproprier une centaine d'innocents, une jeune fille est assassinée, et tu parles d'écarts?

 

  • - Ecoute, mon vieux, pour la fille je ne sais pas. C'est malheureux. Les gars de chez nous ne sont pas tous des enfants de chœur. Pour le reste, qu'on dorme à l'abri avec nos femmes et nos enfants, qui nous le reprocherait? A nous? Après ce qu'on a vécu.. Nous aussi on a été délogés. Pire que ça, ce ne sont pas nos maisons qu'on a quittées. C'est une planète. La planète!

 

  • - Nous n'avons pas été chassés par des hommes.

 

Du chantier, un cri étouffé parvint à nos oreilles :

 

  • - Zhu!

 

Du fond de notre case en construction, Jennifer m'interpellait, probablement lassée par ce long conciliabule avec notre ancien voisin. Sans rien avoir entendu de la conversation, avec le flair que je lui connais, elle en savait autant que moi sur son contenu.

 

  • - J'interdis aux enfants de porter les poteaux, si tu peux venir m'aider!

 

Helmut connaissait ma femme depuis la petite école, ils avaient ri, pleuré, joué, s'étaient chamaillés comme frère et sœur pendant des années, ils avaient passé les vacances ensemble, mais aujourd'hui, sur Astrée, la journée était bien avancée, Proxima déclinait, rouge, sur l'horizon, l'air se rafraîchissait et Helmut, laissant retomber ses bras sur les cuisses, me dit bonsoir et s'en retourna vers les siens, dans le village déserté par ces gens que dorénavant je n'appellerai plus les sauvages.

 

 A partir de ce jour, sans l'avoir décidé, les personnes de notre groupe prennent leurs distances avec ceux du « village ». Les quelques centaines de mètres qui nous séparent deviennent une marge infranchissable. Autant pour eux que pour nous. Même leurs enfants ne s'approchent pas. Quand aux indigènes, ils se sont réfugiés avec leurs familles dans les profondeurs de la forêt, nous savons qu'ils nous observent discrètement. Mieux que ça : il s'est passé quelque chose d'imprévisible. Au cours de leurs explorations et de leurs jeux, nos enfants ont rencontré les leurs. Après quelques moments d'expectative, ils se sont approchés. Ils ont vite fait connaissance. Ils ont l'air de bien s'entendre au point qu'on entend leurs rires résonner dans la futaie. Ils font des échanges. Leurs jouets disparaissent, on les voit revenir avec des lames et des haches en jade (c'est la pierre la plus répandue par ici). Ces outils à coup sûr leur ont été confiés par leurs parents qui ont deviné nos projets de construction. A ce propos, sans l'avoir voulu, nos cabanes ressemblent à leurs cases sauf l'absence de pisé, nous sommes semble-t-il en saison sèche (du moins je l'espère, je veux dire : j'espère qu'il y a des saisons, des pluies, du beau temps, de la neige...) et l'eau est rare. Nous colmaterons les murs quand le temps sera humide et quand la glaise nous collera aux pieds.

 

 Jennifer est perplexe. Les enfants, qui pour l'instant sont les seuls à approcher les Autres, nous informent sur leurs activités. Ils n'ont pas tenté à ce jour de reconstruire quelque chose qui ressemblerait à un village, ils vivent et dorment à la belle étoile. Ils chassent. Leurs armes sont rudimentaires : épieu, fronde, hache avec lesquelles ils tuent des lapins, des ovins sauvages et des chevreuils. Comment ces animaux sont-ils arrivés là ? Comment peut-il y avoir ailleurs que sur Terre des animaux terrestres ? Comment peut-il y avoir sur Terre des animaux semblables à ceux d'Astrée ? Jennifer me fait remarquer qu'on pourrait en dire autant des humains, ou de ce qui leur ressemble... Combien y avait-il de chances pour qu'existent à quatre années lumière de distance, des êtres vivants aussi ressemblants ? Une sur combien de milliards ?

 

§

 

10/12/2009

XV- Désemparé, au-dessus du corps ensanglanté d'une jeune fille

 

       

 Cher ami,

 

voici la suite du journal de Zhu, rédigé probablement quelques jours après son arrivée sur Astrée,

 

amicalement,

 

Tchang

 

 

  (...) Laissant leurs femmes et leurs enfants sur place au pied de la navette, quelques hommes coururent avec moi vers le village. Celui-ci était constitué de cahutes (de loin elles ressemblaient à des huttes faîtes en rondins et couvertes de branchages, mais c'étaient plutôt des cases semblables à celles de nos ancêtres, les ramures étaient liées par de l'argile). Les cris ne provenaient pas des nôtres, mais bien des indigènes. On les voyait, courant et gesticulant, sortir des habitations et tourner en rond sur la place, ils hurlaient et semblaient s'arracher les cheveux. Leur effroi était tel qu'ils ne nous virent pas arriver. Puis ils disparurent dans le bois tout proche. Nous n'entendîmes plus alors que des gémissements.

 

 Nous étions quatre. Nous étions convenus de rester groupés. A l'entrée de la case la plus proche, nous croisâmes un des nôtres qui en sortait, les bras chargés de victuailles et d'un sac qui devait peser son poids, à voir avec quelle difficulté il parvenait à maintenir l'ensemble contre son corps. Il ne leva pas les yeux sur nous et s'en fut vers un groupe d'individus qui lui faisaient de grands signes.

 

 L'intérieur de l'habitation était sens dessus dessous. Nous ne connaissions pas son état avant l'arrivée des « conquérants », mais on pouvait facilement deviner que ce désordre était l'œuvre de ces derniers. Que cherchaient-ils ? Evidemment des trésors, des richesses, peut-être de l'or ou des pierreries. Sur le sol étaient répandus des fruits, sortes de bananes mais plus grosses et moins longues que celles que nous connaissons, certaines écrabouillées sur des linges fripés entassés sur le sol, parmi des tessons de céramiques et de verreries. Cet énorme tas de linge nous intriguait. En le soulevant, une jambe apparut, un corps dénudé couvert de sang. Nous restâmes là, un long moment figés, terrifiés. De ma vie je n'avais vu un cadavre. Des horreurs, oui, comme gardien de prison, j'avais plusieurs fois dû intervenir pour prévenir ou empêcher un suicide ou un meurtre, cela faisait partie de mon travail, et puis quand on est dans l'action, peu de place est laissée à l'émotion. Mais ici, quelques heures, que dis-je quelques minutes après notre atterrissage sur Astrée, je me trouvais, désemparé, au-dessus du cadavre ensanglanté d'une jeune fille, ou plutôt, vu la petite taille du corps : d'une adolescente à qui j'aurais donné à peine douze ans.

 

 Un crime avait été commis. Par l'un des nôtres. L'homme que nous avions croisé avait disparu, on l'avait seulement vu se fondre dans le groupe de Terriens qui occupait le centre de la place. D'ailleurs là-bas, tout ne semblait pas aller pour le mieux. L'écho de discussions assez vives parvenait jusqu'à nous, nous observions cela de loin depuis l'entrée de la hutte. Je ne saurais dire pourquoi nous restions plantés là. Emotion, stupeur, nous ne savions quoi dire, d'ailleurs aucun d'entre nous n'avait prononcé le moindre mot depuis notre triste découverte. Mais l'indignation ne devait pas tarder à prendre le dessus. Nos regards se croisèrent. L'un de nous retourna près du corps pour s'assurer du décès, ce que nous avions déjà fait plusieurs fois. Il revint sans rien dire, faisant un signe négatif de la tête.

 

 Pourquoi restions-nous plantés là ? Parce que nous étions impuissants. Disons-le sans détour : par lâcheté. Parce que nous avions peur des « nôtres ». Je ne sais pourquoi je continue à les appeler ainsi... Ils se disputaient . Allez savoir, peut-être simplement à cause d'un désaccord concernant le partage du butin ? Et nous serions arrivés, en justiciers, la gueule enfarinée, pour leur asséner une leçon de morale, pour leur tenir un discours philosophique sur la fraternité humaine, l'inviolabilité des droits humains, pourquoi pas sur le bon sauvage ? En insistant sur la chute de l'homme, survenue ce jour à chasser de nos mémoires où un premier dit : « Ceci est à moi ! ». Non. Je n'ai jamais autant maudit les philosophes qu'aujourd'hui. Et au cours de ma vie, face aux difficultés, quand sang froid et réflexion étaient nécessaires, les philosophes ne furent d'aucun secours, je les trouvai même encombrants.

 

 Peut-être me trompai-je sur la moralité de ces hommes, ces disputes auraient pu être le signe d'un désaccord sur leur manière d'agir, certains se montrant plus humains que les autres ? L'expression de haine que nous lisions sur les visages de ces individus attroupés et débattant bruyamment sur cette place nous dissuada d'intervenir. Pour le moment. Car le groupe se dispersa à nouveau, et comme quelques-uns retournaient vers la navette, nous les interpellâmes. 

 

  • - Nous avons découvert le corps sans vie d'une jeune fille dans cette hutte.

 

Ils nous dévisagèrent, j'en reconnus certains. Il faut rappeler que les passagers de cette navette était tous du secteur « Thüringerwald » dans l'arche Sesostris. D'origine asiatique ou germanique, nous vivions en bonne entente dans la même région, entre Weimar et Erfurt, et nous parlons la même langue. Surpris, ils nous suivirent. La vue du cadavre les laissa aussi muets que nous. L'idée nous vint d'aller chercher de l'eau afin de nettoyer les souillures et le sang sur le visage et le corps, avant de recouvrir celui-ci. Mais l'eau ? L'idée nous vint: y avait-il de l'eau chez ces gens-là ? On ne peut pas vivre sans eau. Nulle part. Les Gens du Voyage nous auraient-ils secourus pour ensuite nous condamner à  mourir de déshydratation à quatre années-lumière de chez nous ?

 

 Nous parlementions à l'intérieur de la hutte, quand j'entendis cet appel de Jennifer : « Zhu ! » venant du dehors. A contre-jour se dessinait la silhouette d'un taureau debout, les cornes dressées. A ses côtés se tenait, immobile et soutenue par deux jeunes hommes la femme âgée de tout à l'heure. Ils étaient entourés ou plutôt suivis d'un groupe d'hommes, de femmes et d'enfants, ceux qui étaient restés près de nous au pied de la navette. Le chaman fit quelques pas en arrière, comme pour nous laisser le passage. Nous sortîmes. Il s'écarta à son tour. Escortée des deux hommes, la « souveraine » entra (Zhu s'autorise cette qualification, ce que nous observâmes de ce peuple par la suite lui donna raison. Tchang). Le chaman baissa la tête, les cornes frôlèrent le linteau de l'ouverture. Un long silence s'ensuivit. Nous ne pouvions rien voir, nous étions en pleine lumière et l'intérieur de l'habitation était trop sombre. Jennifer se colla contre moi, me dit que les enfants étaient en sécurité près des tentes qui avaient été déchargées avec le reste du matériel et des bagages, puis montées en cercle autour d'un feu. La navette était repartie vers Sesostris pour débarquer d'autres migrants.

 

 Pour nous, il n'était plus question d'aller chercher de l'eau, ni même de nous approcher du corps. Nous nous sentions coupables. Les indigènes du groupe à l'extérieur ne levaient pas la tête sur nous, mais sous leurs arcades proéminentes qui abritaient des yeux qu'on avait déjà remarqué petits et perçants, nous devinions le regard accusateur. D'ailleurs ils marmonnaient, de leur groupe nous parvenaient des sons bizarres, qu'on ne pouvait comparer à aucune des langues connues de nous. De ces gens on ne peut dire qu'ils parlent, mais plutôt qu'ils émettent des grognements qu'ils accompagnent de gestes, de mimiques, si bien que pour se comprendre, ils sont dans l'obligation de se regarder. Voir, tendre l'oreille, geindre et gesticuler tour à tour, voilà quels sont leurs moyens de communication.

 

 Un grognement nous parvint de l'intérieur de la case. Aussitôt quelques indigènes y entrèrent. Ils en ressortirent quelques instants après, portant le corps de la défunte emmailloté dans des linges, suivis de la reine et de ses guides. Celle-ci regardait droit devant elle, nous formions sans le vouloir une haie d'honneur. Dans ma poche, mes doigts caressaient la surface de la hache en jade.

 

 J'aurais voulu revenir quelques heures en arrière, débarquer à nouveau sur cette planète, courir vers ces gens, leur parler.

 

 

                                                                §

 

23/09/2009

Pour mémoire: les années 1940-41

 

 

 Les causes en sont diverses (nous nous efforçons sur ce blog de les déterminer) mais toute personne de bonne foi et qui ne se contente pas de s’informer aux journaux de 20 heures observe depuis quelques années une progression de l’antisémitisme, phénomène qui n’est pas –loin de là-  limité à la France. Mais nous sommes en France.

 Feuilletant un manuel d’histoire destiné aux élèves de troisième des collèges, je constate que deux pages sont consacrées à la vie des Français sous l’occupation, au régime de Vichy, aux mesures prises contre les juifs sur le sol français, à la spoliation de leurs biens, à leur déportation. Certes, nous faisons confiance aux professeurs, nous savons qu’ils n’hésitent pas à rétablir l’équilibre et à informer notre jeunesse sur l’idéologie, les hommes politiques, les acteurs, les tortionnaires sans lesquels la France n’aurait pu apporter sa contribution à la « solution finale » voulue par les nazis.

 Plus qu’aux analyses, aux longues explications, il est utile de s’en remettre aux textes, lois, décrets, ordonnances promulguées par les responsables de l’Etat français entre 1940 et 1944. C’est tout l’objectif de ce dossier limité pour l’instant aux années 40 et 41.

 

Sources :

 

-  Journaux officiels,

- La persécution des Juifs en France et dans les autres pays de l’ouest présentée par la France à Nuremberg, recueil de documents publié sous la direction de Henri Monneray, substitut au Tribunal militaire international, Paris, 1947,

- Marrus et Paxton.- Vichy et les juifs, Calmann-Lévy 1981,

- Philippe Ganier Raymond.- Une certaine France, l’antisémitisme 40-44.

 

 

Le 3 octobre 1940

 

Nous, Maréchal de France,  chef de l’Etat français,

Le conseil des ministres entendu,

 

Décrétons :

 

Article 1°. Est regardé comme juif, pour l’application de la présente loi, toute personne issue de trois grands-parents de race juive ou de deux grands-parents de la même race, si son conjoint lui-même est juif.

 

Article 2. L’accès et l’exercice des fonctions publiques et mandats énumérés ci-après sont interdits aux juifs :

 

  1. Chef de l’Etat, membre du Gouvernement, Conseil d’Etat, conseil de l’ordre national de la Légion d’honneur, cour de cassation, cour des comptes, corps des mines, corps des ponts et chaussées, inspection générale des finances, cours d’appel, tribunaux de première instance, justices de paix, toutes juridictions d’ordre professionnel et toutes assemblées issues de l’élection.
  2. Agents relevant du département des affaires étrangères, secrétaires généraux des départements ministériels, directeurs généraux, directeurs des administrations centrales des ministères, préfets, sous-préfets, secrétaires généraux des préfectures, inspecteurs généraux des services administratifs, au ministère de l’intérieur, fonctionnaires de tous grades attachés à tous services de police.
  3. Résidents généraux, gouverneurs généraux, gouverneurs et secrétaires généraux des colonies, inspecteurs des colonies.
  4. Membres des corps enseignants.
  5. Officiers des armées de terre, de mer et de l’air.
  6. Administrateurs, directeurs, secrétaires généraux dans les entreprises bénéficiaires de concessions ou de subventions accordées par une collectivité publique, postes à la nomination du gouvernement dans les entreprises d’intérêt général.

 

Article 3. L’accès et l’exercice de toutes les fonctions publiques autres que celles énumérées à l’article 2 ne sont ouverts aux juifs que s’ils peuvent exciper de l’une des conditions suivantes :

a/ être titulaire de la carte de combattant 1914-1918 ou avoir été cité au cours de la campagne 1914-1918 ;

b/ avoir été cité à l’ordre du jour au cours de la campagne 1939-1940 ;

c/ être décoré de la Légion d’honneur à titre militaire ou de la médaille militaire;

 

Article 4. L’accès et l’exercice des professions libérales, des professions libres, des fonctions dévolues aux officiers ministériels et à tous auxiliaires de la justice sont permis aux juifs, à moins que des règlements d’administration publique n’aient fixé pour eux une proportion déterminée ? Dans ce cas, les mêmes règlements détermineront les conditions dans lesquelles aura lieu l’élimination des juifs en surnombre.

 

Article 5. Les juifs ne pourront, sans condition ni réserve, exercer l’une quelconque des professions suivantes :

Directeurs, gérants, rédacteurs de journaux, revues agences ou périodiques, à l’exception de publications de caractère strictement scientifique.

Directeurs, administrateurs, gérants d’entreprises ayant pour objet la fabrication, l’impression, la distribution, la présentation de films cinématographiques ; metteurs en scène et directeurs de prises de vues, compositeurs de scénarios, directeurs, administrateurs, gérants de salles de théâtres ou de cinématographie, entrepreneurs de spectacles, directeurs, administrateurs, gérants de toutes entreprises se rapportant à la radiodiffusion.

 Des règlements d’administration publique fixeront, pour chaque catégorie, les conditions dans lesquelles les autorités publiques pourront s’assurer du respect, par les intéressés des interdictions prononcées au présent article, ainsi que les sanctions attachées à ces interdictions.

 

Article 6. En aucun cas les juifs ne peuvent faire partie des organismes chargés de représenter les progressions visées aux articles 4 et 5 de la présente loi ou d’en assurer la discipline.

 

Article 7. Les fonctionnaires juifs visés aux articles 2 et 3 cesseront d’exercer leurs fonctions dans les deux mois qui suivront la promulgation de la présente loi. Ils seront admis à faire valoir leurs droits à la retraite s’ils remplissent les conditions de durée de service ; à une retraite proportionnelle s’ils ont au moins quinze ans de service ; ceux ne pouvant exciper d’aucune de ces conditions recevront leur traitement pendant une durée qui sera fixée, pour chaque catégorie, par un règlement d’administration publique.

 

Article 8. Par décret individuel pris en conseil d’Etat et dûment motivé, les juifs qui, dans les domaines littéraire, scientifique, artistique, ont rendu des services exceptionnels à l’Etat français, pourront être relevés des interdictions prévues par la présente loi.

 Ces décrets et les motifs qui les justifient seront publiés au Journal officiel.

 

Article 9. La présente loi est applicable à l’Algérie, aux colonies, pays de protectorat et territoires sous mandat.

 

Article 10. Le présent acte sera publié au Journal officiel et exécuté comme loi de l’Etat.

 

Fait à Vichy, le 3 octobre 1940

 

Ph. Pétain

 

Par le Maréchal de France, chef de l’Etat français :

 

Le vice-président du conseil,

Pierre Laval.

 

Le garde des sceaux, ministre secrétaire d’Etat à la justice,

Le ministre secrétaire d’Etat à l’intérieur,

Le ministre secrétaire d’Etat aux affaires étrangères,

Le ministre secrétaire d’Etat à la guerre,

Le ministre secrétaire d’Etat aux finances,

Le ministre secrétaire d’Etat à la marine,

Le ministre secrétaire d’Etat à la production industrielle et au travail,

Le ministre secrétaire d’Etat à l’agriculture…

§

 

 Le 4 octobre 1940

 

Nous, Maréchal de France,  chef de l’Etat français,

Le conseil des ministres entendu,

 

Décrétons :

 

Article 1°. Les ressortissants étrangers de race juive pourront, à dater de la promulgation de la présente loi, être internés dans des camps spéciaux par décision du préfet du département de leur résidence.

 

Article 2. Il est constitué auprès du ministre secrétaire d’Etat à l’intérieur une commission chargée de l’organisation et de l’administration de ces camps.

 Cette commission comprend :

 Un inspecteur général des services administratifs ;

 Le directeur de la police du territoire et des étrangers ou son représentant ;

 Un représentant du ministère des finances.

 

Article 3. Les ressortissants étrangers de race juive pourront en tout temps se voir assigner une résidence forcée par le préfet du département de leur résidence.

 

Article 4. Le présent décret sera piblié au Journal officiel pour être observé comme loi de l’Etat.

 

Fait à Vichy, le 4 octobre 1940.

 

Ph. Pétain.

 

Par le Maréchal de France, chef de l’Etat français :

Le ministre secrétaire d’Etat à l’intérieur,

Le ministre secrétaire d’Etat aux finances,

Le garde des sceaux, ministre secrétaire d’Etat à la justice…

 

§

 

Loi du 07 octobre 1940 :

 

(…)

2. Les droits politiques des Juifs indigènes d’Algérie sont réglés par les textes qui fixent les droits des musulmans algériens.

 

3. Les droits civils réels et personnels des Juifs indigènes restent réglés par la loi française.

 

4. Les Juifs indigènes d’Algérie ayant obtenu le Légion d’honneur à titre militaire, la Crois de guerre ou la Médaille militaire conservent le statut politique français.

 

 

Loi du 29 mars 1941 :

 

Il est créé pour l’ensemble du Territoire national un Commissariat général aux Questions juives :

 

Celui-ci :

1. Prépare et propose au Chef de l’Etat toutes mesures législatives relatives à l’état des Juifs.

2. Fixe la date de la liquidation des biens juifs.

3. Désigne les Administrateurs-sequestres.

4. Le Commissaire général est désigné par le ministre d’Etat chargé de la vice-présidence du Conseil.

 

Loi du 19 mai 1941 :

 

Le Commissariat général aux Questions juives peut provoquer à l’égard des Juifs toutes mesures de police commandées par l’intérêt national.

 

Loi du 02 juin 1941 prescrivant le recensement des Juifs:

 

Nous, Maréchal de France,  chef de l’Etat français,

Le conseil des ministres entendu,

 

Décrétons :

 

Article 1°.  Toutes personnes qui sont juives au regard de la loi du 2 juin 1941 portant statut des Juifs doivent, dans le délai d’un mois à compter de la publication de la présente loi, remettre au préfet du département ou au sous-préfet de l’arrondissement dans lequel elles ont leur domicile ou leur résidence, une déclaration écrite indiquant qu’elles sont juives au regard de la loi, et mentionnant leur état civil, leur situation de famille, leur profession et l’état de leurs biens.

 La déclaration est faite par le mari pour la femme, et par le représentant légal pour le mineur ou l’interdit.

 

Article 2. Toute infraction aux dispositions de l’article premier est punie d’un emprisonnement de un mois à un an et d’une amende de 100 à 10000F, ou de l’une de ces deux peines seulement, sans préjudice du droit pour le préfet de prononcer l’internement dans un camp spécial, même si l’intéressé est Français.

 

Article 3.  Des dispositions particulières fixeront les conditions dans lesquelles la présente loi sera appliquée en Algérie, dans les colonies, dans les pays de protectorat, en Syrie et au Liban.

 

Article 4.  Le présent décret sera publié au Journal officiel et exécuté comme loi de l’Etat.

 

Fait à Vichy le 2 juin 1941.

 

Ph. Pétain.

 

Par le Maréchal de France, chef de l’Etat français :

 

L’amiral de la flotte,

vice-président du conseil,

ministre secrétaire d’Etat à l’intérieur,

Amiral Darlan.

 

(Journal officiel, 14 juin 1941, p.2476)

 

 

Loi du 23 juin 1941

 

Le nombre des étudiants juifs admis à s’inscrire dans les établissements d’enseignement supérieur ne peut excéder 3% des étudiants non Juifs.

 Sont inscrits en priorité :

-         les orphelins des militaires morts pour la France

-         les décorés

-         les titulaires de la carte de combattant

-         les fils ou filles de décorés

-         les postulants issus de familles nombreuses et particulièrement méritants.

 

Décret du 16 juillet 1941

 

 Réglementation en ce qui concerne les Juifs de la profession d’avocat.

 Les avocats ne peuvent dépasser 2% de l’effectif total des avocats non Juifs inscrits.

 

§

 

 

Loi du 22 juillet 1941

relative aux entreprises, biens et valeurs appartenant aux Juifs :

 

Nous, Maréchal de France,  chef de l’Etat français,

Le conseil des ministres entendu,

 

Décrétons :

 

Article 1°. En vue d’éliminer toute influence juive dans l’économie nationale, le commissaire général aux questions juives peut nommer un administrateur provisoire à :

 

1/  Toute entreprise industrielle, commerciale, immobilière ou artisanale ;

 

2/  Tout immeuble, droit immobilier ou droit au bail quelconque ;

 

3/ Tout bien meuble, valeur mobilière ou droit mobilier quelconque, lorsque ceux à qui ils appartiennent, ou qui les dirigent, ou certains d’entre eux sont Juifs.

 

 Toutefois ces dispositions ne s’appliquent pas aux valeurs émises par l’Etat français et aux obligations émises par les sociétés ou collectivités publiques françaises,

 Et, sauf exception motivée,

 Aux immeubles ou locaux servant à l’habitation personnelle des intéressés, de leurs ascendants ou descendants, ni aux meubles meublants qui garnissent lesdits immeubles ou locaux.

 

[Suivent les dispositions concernant les rôles et pouvoirs des administrateurs provisoires, publiées au Journal officiel du 26 août 1941, p.3594]

 

 

Décret du 11 août 1941

 

 Réglementation en ce qui concerne les Juifs de la profession de médecin.

 

 Les médecins ne peuvent dépasser 2% de l’effectif total des médecins inscrits.

 

Loi du 1° septembre 1941

 

Portant modification de la loi du 29 mars 1941

Créant un Commissariat général aux Questions juives.

(Journal officiel du 2 septembre 1941)

 

Article 1°. Les articles 1 et 3 de la loi du 29 mars 1941 créant un Commissariat général aux Questions juives sont abrogés et remplacés par les dispositions suivantes :

 

 « Art. 1°. Il est créé pour l’ensemble du territoire national un Commissariat général aux Questions juives, rattaché au secrétariat d’Etat à l’intérieur. »

« Art. 3. Le commissaire général est nommé par arrêté du vice-président du Conseil et du secrétaire d’Etat à l’intérieur. »

 

Article 2. Le présent décret sera publié au Journal officiel et exécuté comme loi de l’Etat.

 

 

Loi du 29 novembre 1941

 

Instituant une Union Générale des Israélites de France.

 

  1. Il est institué auprès du Commissaire général aux Questions juives une Union Générale des Israélites de France.

Cette Union a pour objet d’assurer la représentation des Juifs auprès des pouvoirs publics.

 

  1. Tous les Juifs sont obligatoirement affiliés à l’U.G.I.F.

Toutes les associations juives existantes sont dissoutes à l’exception des associations culturelles.

 

  1. Les ressources de l’U.G.I.F.

a)      les sommes récupérées par le Commissariat aux Questions juives

b)      les biens des associations juives dissoutes

c)      les cotisations versées par les Juifs selon leur fortune.

 

  1. l’U.G.I.F est administrée par 18 Juifs de nationalité française et désignées par le Commissariat général aux Questions juives.

 

  1. Les délibérations du conseil peuvent être annulées par arrêté du Commissaire général aux Questions juives.

 

Le présent décret est exécuté comme moi de l’Etat.

 

 

Ordonnance du 17 décembre 1941

 

Concernant une amende imposée aux Juifs.

 

L’amende d’1 milliard de francs imposée aux Juifs de zone occupée par avis du « Militarbefehlshaber in Frankreich » du 14 décembre 1941, doit être répartie sur les biens juifs par l’intermédiaire de l’Union Générale des Israélites de France.

 

 

Loi du 19 décembre 1941

 

Conditions d’admission des étudiants juifs dans les établissements d’enseignement supérieur.

 

 Par dérogation, le postulant est admis à s’inscrire ou à suivre les cours si sa famille est établie en France depuis au moins 5 générations et a rendu à l’Etat français des services exceptionnels.

 

 

§

 

 

 

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