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09/08/2025

D'où viens-tu ?



 On ne voit plus les gens comme ils sont. On se demande d’où ils viennent. Je ne pense pas immédiatement à ceux qui viennent d’ailleurs. On ne s’est jamais autant plongé dans les recherches généalogiques. Jusque dans les classes où il est demandé aux élèves de dessiner leur arbre familial. Et chacun de plaider pour son pays, sa région, son village, son quartier. Le pompon revient aux Corses et aux Bretons et je mets des majuscules. Ces gens vivent dans un Eden inimitable. Si vous les avez un jour à votre table, ils vous rendront un grand service : ils vous montreront que vous ne savez rien, que vous n’avez rien à dire, mais si par malheur vous êtes du nord, ils vous rejetteront dans le gris et la froidure. Le pire des imbéciles s’il est breton ou corse de cœur et d’esprit aura, partout où il sera, le monopole de la parole. Et malheureusement pour vous, pas dans sa propre langue, mais en français.


 Quel est l’intérêt de savoir d’où vient quelqu’un ? Il est plus simple d’aller voir sur place. Je ne connais pas la Corse, mais la Bretagne est une région de France magnifique où l’on rencontre des gens très bien, accueillants et qui ne vous bassinent pas avec leur océan, leur vent du large, leurs poissons, leurs druides, les algues thérapeutiques et l’histoire de la marine à voile. On est toujours assez grand pour se rendre compte par soi-même de ce qu’on voit, de ce qu’on entend et de ce qu’on mange.


 Cet intérêt -nouveau par son ampleur- pour tout ce qui touche aux origines s’accompagne automatiquement d’un questionnement sur les traditions, les coutumes. Plus d’un goût prononcé d’ailleurs que d’un questionnement. Les traditions sont là pour être admirées, à l’occasion perpétuées, mais jamais questionnées. La coutume est hors de question. Attention danger. Car s’il est des traditions amusantes, il en est d’autres inquiétantes que les démocrates que nous sommes ne tiennent pas particulièrement à exhumer.


 Hormis la Corse et la Bretagne, il y a une autre région qu’il faut prendre avec des pincettes. Elle ne vient pas du fond des âges, est encore en rodage mais prometteuse. Elle n’est ni au nord ni au sud, elle ceint les villes, elle a ses us et coutumes, ses règles, ses héros et ses dieux. Elle a une particularité dont ne dispose aucune autre région de France : on ne peut l’évoquer, la décrire, la penser qu’avec compassion. On la dit déshéritée, défavorisée, laissée sur le bord du chemin, oubliée de la république. De ses quartiers on dit qu’ils sont sensibles, un terme que la langue n’attribuait qu’à des êtres humains. Etes-vous de là ? On vous plaindra ou l’on vous condamnera. Sans se demander qui vous êtes.


 Un retour dangereux à ces théories qui parlaient non des hommes, mais des masses. Dangereux car il arrive qu’un troupeau cherche son berger. Et le trouve. Cela s’est vu dans le passé. Les grandes théories politiques des siècles derniers n’ont pas franchi les limites de la sociologie. A la suite de Marx, elles se sont accordées pour dire que c’est l’être social qui détermine la conscience. Elles ont écarté toute idée de personne. Elles ont raisonné en termes de classe, de nation, quand ce n’est pas de race. On a vu vers quelles horreurs cette façon de ne pas penser l’homme a plongé l’humanité.


 Attention alors à ne pas accorder une existence qu’elle n’a pas à la gent des quartiers ! Pas plus que la découverte de canaux sur la planète Mars n’indique la présence de martiens, l’alignement de barres d’immeubles ne nous permet d’induire une identité pour leurs habitants. Et comme les quartiers que nos politiques pensent déshérités n’ont pas le monopole de la misère et de la détresse, les paysans et les pêcheurs pauvres ne se ressemblent pas non plus. Nous sommes tous différents, et même si certains ici ou là sont confrontés aux mêmes problèmes, chacun est maître de son destin.


 Ne commettons pas l’erreur de juger les gens en fonction de leur couleur de peau, de leur origine géographique ou ethnique, de leur milieu social, de leur lieu d’habitation, de leur philosophie ou de leur pensée politique. Car toutes ces choses n’atténuent en rien les circonstances d’une conduite. En les prenant en compte, on cultive l’irresponsabilité, c’en est fini du libre-arbitre qui était et est encore le propre de l’homme.


 Regarder l’individu en se demandant d’où il vient, c’est un peu ce que ferait le policier s’il prenait exclusivement en compte le casier judiciaire d’un suspect. N’enfermons personne dans la geôle de ses origines, ne collons à personne un casier généalogique. Bien sûr il y a des circonstances, des causes, des non-dits, mais à la fin des fins il y a toujours quelqu’un. Sinon, c’en est fini de la justice, et bien pire.


 Comme c’est ridicule de coller l’étiquette « juif » à un israélien, ça l’est aussi de penser le français « chrétien » ou l’arabe « musulman ». Nous sommes ainsi faits que même après des siècles d’histoire, il reste au plus profond de nous un carré irréductible de liberté, qui nous rend insensible à l’air du temps, à ce qui se dit, à l’idée dominante, à l’opinion.

 

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01/07/2025

Le trotskisme n'est plus ce qu'il était. Une petite flamme qui s'éteint.

 

 

« …dirigeants impérialistes, Netanyahou, mais aussi les soi-disant experts et « journalistes » affirment que l’Iran possède ou posséderait une bombe nucléaire pour détruire Israël. Les rapports de l’Agence internationale atomique (AIEA) démontrent le contraire. Mais peu importe pour les va-t-en-guerre. (…) Plusieurs d’entre eux (experts et « journalistes ») expliquent d’ailleurs que 80% de la population iranienne est contre les ayatollahs. Ce chiffre est évidemment une pure invention. »

 Les phrases que vous venez de lire n’ont pas été prononcées par le Guide suprême de la République islamique d’Iran. Elles proviennent du journal « Informations ouvrières » du 27 juin 2025.

 D’abord il y a des erreurs. Les « experts et journalistes » n’ont jamais dit que l’Iran « possède ou posséderait » une bombe nucléaire. Ils évoquaient des travaux très avancés. Ajoutant à ce constat la volonté affirmée depuis toujours par les ayatollahs de détruire l’état d’Israël, l’intervention militaire programmée sur les sites nucléaires iraniens était inévitable.

 On remarquera que les tirs de missiles sur la population israélienne (donc sur des juifs, des arabes, des chrétiens et des incroyants) ne sont pas le fait de « va-t-en-guerre ». Des quartiers d’habitation, des immeubles bombardés par les drones et les missiles iraniens, « Informations ouvrières » n’en dit pas un mot.

 Et puis, il y a cette envolée finale…  « que 80% de la population iranienne est (serait) contre les ayatollahs. Ce chiffre est évidemment une pure invention. » Il faudrait rappeler au « militant » qui a écrit ces lignes que les urnes n’existent pas en république islamique. Ou alors, il faudrait trouver pour ces choses un autre nom. Faute d’urnes, pour savoir ce que pense le peuple iranien, on doit se contenter d’évaluations. Le chiffre de 80% me parait raisonnable. Comment des gens aussi éclairés que les iraniens pourraient rester aveuglés par un régime qui livre le pays à des bandes fanatisées et armées, qui imposent par la violence leurs croyances, leur vision du monde jusqu’à la façon de penser, de vivre et de se vêtir à tout un peuple ?

 Malgré tout, je souhaite une chose au journal « Informations ouvrières » : qu’un jour il puisse être imprimé et diffusé sur les marchés en Iran, aussi librement qu’aujourd’hui il l’est en France.

 

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17/05/2025

La société idéale

 

 

 Il y a une chose qui réunit tous ceux qui critiquent les sociétés occidentales : jamais ils ne nous dressent un portrait, ni même un aperçu de la société qu’ils proposent. C’est dommage, car les humains que nous sommes vivent dans le projet. Il nous est difficile de croire en quelque chose si nous n’en avons aucune idée.

 C’est la raison pour laquelle les premiers socialistes, au XIX° siècle, avaient conçu leur programme en deux parties: un minimum et un maximum. Le premier était celui qu’on aurait pu qualifier de catalogue des revendications ouvrières de base, salaire, conditions de travail, libertés d’association, de réunion, droit de grève. Le deuxième, celui auquel devait aboutir la lutte finale: la société libérée, où chacun devait recevoir selon ses besoins: le communisme. Les fondateurs du marxisme insistèrent sur la liaison entre les deux: il était difficile pour la classe ouvrière de mener son combat quotidien contre l’injustice si elle n’avait pas conscience que cette dernière était par essence capitaliste. De la critique du capitalisme, la conscience de classe amenait nécessairement les travailleurs à poser comme but suprême de leur combat l’édification d’une société sans capital, sans classes, et finalement sans état, puisque sans opposition ni violence… ni frontières puisque les prolétaires de tous les pays avaient les mêmes intérêts et devaient donc nécessairement s’unir.

 Ces fondateurs du socialisme avaient beaucoup de mérite (et d’imagination) lorsqu’ils dressaient aux travailleurs un portrait -disons: une esquisse- de la société future. La révolution de 1917 allait-elle mettre fin à cette incertitude, allait-elle montrer au monde la beauté de ce nouveau monde, récompense ultime, objectif de tous les combats ouvriers? Un peu, pendant quelques années. Ensuite seulement pour les aveugles et ceux qui ne voulaient rien entendre. La révélation des déportations, des famines, et de l’univers concentrationnaire sibérien montrèrent aux travailleurs du monde que, quelle que soit leur classe, leur parti, leurs idées, les hommes restaient les hommes, avec leur appétit du pouvoir, leur égoïsme et même leur violence.

 Or on entend aujourd’hui à nouveau cette petite musique: le capitalisme est responsable de tout. C’est vrai qu’il est à l’origine de beaucoup de choses, et pas toujours réjouissantes. Ceci dit, on est en droit de se demander s’il y a une alternative. On regarde tout autour, et nulle part nous n’avons un modèle d’une société libre et démocratique non capitaliste. Comme si la liberté de chacun était indissociable de la liberté d’entreprendre.

 Ne fermons cependant aucune porte. Peut-être y a-t-il dans l’esprit des plus ingénus de nos contemporains une idée, un schéma du système social idéal, société juste, sans profit, sans inégalités et sans violence ?

 

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