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12/01/2012

Serions-nous tous pareils ?

 

 Madame Aubry tance ceux qui sont gênés par la présence de 35% de maghrébins. Ce mot ne me plait pas, et je crois qu’il peut ne pas plaire à des personnes originaires de pays différents, bien que situés sur une même zone géographique, que les Anciens nommaient l’Hespérie où le rusé Héraclès demanda au titan Atlas d’aller cueillir les pommes d’or, ce pays du soleil couchant, le Maghreb. Certains français n’aimeraient pas être pris pour des belges, des britanniques ou des suisses allemands qui pourtant vivent dans la même zone géographique. Je ferme la parenthèse, j’ai entendu autre chose. 

Madame Aubry a dit : 

« Je m’emmerde dans une ville où on est tous pareils. » 

 Qu’est-ce qu’elle en sait cette dame ? Elle ne me connaît pas ! Ce n’est pas très gentil pour nous. J’entends pour les êtres humains que nous sommes. Tous pareils ? Même si on mettait à part tous les gens qui dans notre pays sont d’origine étrangère, et qu’il ne reste que les français de souche –et encore, depuis combien de générations, serions-nous tous pareils ?

 C’est aussi absurde que de dire que la France est chrétienne, j’ai même entendu pire : catholique. Quel mépris pour les autres ! Pour ceux qui sont juifs, protestants, orthodoxes ou musulmans ! Mépris pour ceux qui sont sans religion !

 Non madame, nous ne sommes pas tous pareils. J’avais à peine douze ans quand au cours d’éducation religieuse, relevant dans la Bible ce terme de troupeau qualifiant les fidèles guidés par un berger le Seigneur, j’étais choqué. Interloqué aussi, car ces gens de foi nous remâchent que l’homme est par nature distinct de l’animal.

 Il n’est pas nécessaire d’avoir une couleur de peau plus claire ou plus foncée, de parler une autre langue, d’adorer un autre dieu, ou le même sous d’autres formes pour être différent. Un français de souche pourrait se sentir plus proche d’une personne venue d’ailleurs que de son voisin de palier. La couleur de peau n’a d’importance que pour les cons. Ce politicien qui affirmait qu’on avait naturellement plus d’affinité avec son frère qu’avec son cousin, plus avec son cousin qu’avec son voisin, plus avec son voisin qu’avec l’étranger résumait parfaitement cette idéologie primaire bien caractérisée par le terme de xénophobie. Les troupeaux ne se mélangent pas, ne broutent pas les mêmes herbes, et pas sur les mêmes terres. S’il en était ainsi des hommes, la vie serait bien triste, et qui sait ? Les progrès dans l’histoire de l’humanité ayant été souvent le produit de rencontres, nous en serions peut-être encore à l’âge de pierre. 

 Et c’est là toute la futilité de cette idée fumeuse de « diversité culturelle » chère à nos angelots pour lesquels tout ce qui vient d’ailleurs est producteur de richesse. On peut accepter et même favoriser la rencontre, l’échange, l’écoute, le dialogue, sans pour autant abdiquer. Retenir de l’autre ce qu’il a de meilleur, mais garder et même défendre ce qui a été gagné de notre propre côté. Et c’est bien vrai que la diversité est une belle chose. Quoi de plus beau en effet de voir, le même jour à la même heure, des hommes et des femmes de tous âges et de toutes origines se baigner dans la même piscine ?

 

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09/01/2012

Ces gens qui dérangent

 

 Avez-vous déjà fait du camping ? Peut-être pas l’hiver. Vivre sous la tente ou dans une caravane, une expérience que nous sommes des millions à avoir tentée. C’est bien agréable de vivre quelques semaines de printemps ou d’été en pleine nature. C’est encore possible aujourd’hui à condition de s’éloigner de certains lieux que le tourisme à tout prix, le commerce et les promoteurs ont défigurés. C’est encore possible pour ceux qui ont le choix, qui peuvent se retirer en Auvergne, dans les Alpes, ou dans le nord de la France. Oui, dans le nord. C’est très beau le nord, contrairement à la rumeur qui ne colporte que des présupposés complètement faux sur le temps gris, les terrils. Ces gens-là ne connaissent pas Arras, le musée des Beaux-arts et les vieux quartiers de Lille, les hortillonnages de la vallée de la Somme. Bref, choisir où planter sa tente, c’est encore possible quand il s’agit d’un simple problème de vacances. 

 D’autres ne l’ont pas ce choix. Dans les campings, ils vivent. Eté comme hiver. Et encore pas tous. On leur demande parfois de quitter les lieux à l’arrivée des beaux jours. A une époque, pour mon travail, je campais pendant l’hiver. J’ai fréquenté les campings de Coutances, de St-lo, de Carentan, les seuls ouverts à l’année en Basse-Normandie. Campings municipaux. Je me souviens d’un jeune homme, on a fait connaissance au petit matin, au bloc sanitaire. Toilette à l’eau froide, ça réveille, surtout après une nuit passée dans la voiture. Lui, sous la tente. Il faisait autour de zéro. On échangea des sourires. A côté des lavabos, sur une planche il avait posé son bleuet, de l’eau chauffait dans une casserole. Je fis de même. Après une tasse de café, on se mit à parler. Il était travailleur saisonnier, je me demandais bien ce qu’il fabriquait dans l’agriculture l’hiver. Il bricolait dans les fermes sur les machines, dans l’entretien. Mais comme je ne pose jamais de questions, je n’en sus pas plus. Je crois qu’il avait fait deux trois connaissances dans le camp, peut-être aussi des saisonniers. Moi je ne restais qu’une nuit, le temps de faire des démarches pour vendre des photographies, et j’allais ailleurs. A St-Lô, les sanitaires étaient très propres, et les emplacements bien délimités, l’herbe bien verte, un camping très agréable et bien entretenu. Je me fis un copain de l’employé municipal qui veillait sur ce domaine. Le soir sur le siège avant, je lisais pour faire venir le sommeil. Pris par ma lecture, je sursautai quand on frappa à ma vitre. Excusez-moi monsieur, vous n’avez pas été ennuyé par le type là-bas dans la caravane ? Quand il a bu il est dangereux. Je lui répondis que non. Je n’avais même pas supposé qu’il y eût quelqu’un dans cette caravane. Il me conseilla de faire attention. Je revins plusieurs fois à St-Lô, de la caravane je ne vis jamais quelqu’un sortir. Cet épisode me revient maintenant, depuis que j’ai entendu cet interview du député. J’y reviendrai. Dans certains campings, il y avait encore à l’époque des gens du voyage. Le premier qui me demande, soupçonneux : « Mais de quoi vivent-ils ces gens-là ? », je lui demanderai de quoi vivent ceux qui campent dans des yachts de cinquante mètres à Monaco. Avec les gens du voyage, je n’ai jamais eu de problème sauf une fois une tentative de cambriolage à la maison. Des problèmes j’en ai eus avec des gens bien de chez nous, et qui ne campaient pas, eux. 

 Dernièrement, je l’ai déjà évoqué sur ce blog, nous avions échangé quelques mots avec un homme qui vivait seul dans un mobil home, près du bassin d’Arcachon. Un mobil home comme on en voit beaucoup avec des bacs à fleurs sur la petite terrasse. Des plastiques pendent qui protègent des intempéries. L’homme est sur le pas de sa porte. De petite taille, il s’appuie sur la rambarde, il m’interpelle.  

- Je ne vous vois pas mais je sais que vous êtes là. J’ai l’ouïe fine, je vous ai entendu passer.  

 Je lui dis bonjour, mais je ne sais pas quoi lui dire d’autre. Je n’ai pas envie de parler de la pluie et du beau temps. Il vient à mon secours.  

- C’est le retour du beau temps, les soirées deviennent agréables. Foutu hiver. Pas d’eau. 

- Ah ? 

- Les canalisations du camp ont gelé. Pas d’eau. Tout l’hiver. Ca ne fait rien.  

Il sourit dans sa barbe, et tape sur la rambarde.  

- Il y a pire, allez ! 

Moi je ne sais pas quoi dire. Parler des canalisations ? Du froid qui frappe les uns et pas les autres ? Je reste muet.  

- C’est le printemps, cette fois-ci pour de bon. Le problème, c’est les yeux. Parce que je ne suis pas tout seul. J’ai un compagnon. Je l’emmène partout avec moi. Il m’a pris les yeux. Le cancer, il est généralisé. Je vous regarde, mais je ne vous vois pas.  

 Il sourit dans sa barbe.  

- Lui, là-haut, il a oublié d’inventer la marche arrière. La marche arrière pour nous. Allez, c’était une belle journée. Passez une bonne soirée monsieur dame.  

 Un homme sur le pas de sa porte devant son mobil home a perdu la vue, il a passé l’hiver sans eau, pour tout compagnon il a le cancer. Il ne demande rien. A personne. Il salue l’arrivée du printemps. 

 Et ce député ? Content d’avoir obtenu l’unanimité à l’assemblée. Les élus du peuple ont donc décidé qu’il était dorénavant interdit de vivre dans les campings. Elus d’un peuple dont ils ne savent rien. On lui demande le pourquoi de cette nouvelle législation. Parce que, parce que… l’argument est tellement frappant que je ne m’en souviens plus. Un problème de budget il me semble.

  Ces personnes qui sont démunies, qui n’ont pas les moyens de s’abriter sous un toit en dur, qui sont exclues au point de ne pouvoir prétendre postuler un logement dans un HLM de banlieue, qui n’ont jamais brûlé la moindre voiture, qui ne font du mal à personne, qui luttent contre le froid, ces personnes sont mal-aimés car elles ont un tort. Elles ne cassent rien, elles ne parlent pas dans le poste, elles sont les oubliées des associations humanitaires. 

 

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03/01/2012

Un téléphone, avec un homme au bout

 

Qu’il voyage dans le train ou dans son automobile, il est l’homme du vingt et unième siècle. Il est perpétuellement connecté, relié au monde par un minuscule émetteur-récepteur collé à l’oreille. C’est une sorte de téléphone qui, comme son nom l’indique, relie l’opérateur au monde lointain. Cet appareil a pour effet de couper toute relation avec le monde qui l’entoure. Ce qui peut présenter des avantages quand l’environnement est bruyant ou déplaisant. Des inconvénients aussi, pour les passagers du train, car l’homme peut venir à parler, et parfois très fort de choses qui n’intéressent personne dans le compartiment, peut-être même pas son interlocuteur. Au volant, son attention n’est pas totalement concentrée sur les problèmes de la circulation, il manque de prudence et tente des dépassements audacieux tout en demandant à untel ou une telle des nouvelles et autres choses d’importance qui provoquent chez lui des réactions imprévisibles, imprévisibles surtout pour les autres usagers de la route. Toutefois il ne craint pas les contraventions. Grâce à des dispositifs sophistiqués, il a ce qu’il faut dans la voiture pour éviter les flashes des radars. La vitesse de sa béhème plonge à l’approche des appareils qui lui font une guerre sans merci, guerre dont il sort toujours vainqueur, car sa technologie à lui a des années d’avance sur celle de l’état. 

 Chez lui il n’y a pas de livres. Où trouverait-il le temps d’apprendre des choses qui n’ont plus cours aujourd’hui, ne sont d’aucune utilité ?  Au lieu des livres, sur les murs il y a des écrans. Des images défilent, fugitives. Elles sont accompagnées de sons qui font penser à de la  musique, surtout par le rythme, une sorte de boléro de Ravel interminable, mais joué sans instrument si ce n’est le tambour. Des voix humaines parviennent tant bien que mal à se faire entendre entre les coups, elles déclament plus qu’elles ne chantent des mots qu’on ne comprend pas. On m’a dit, je dis bien on m’a dit, que c’est très bien ainsi, car tout n’est pas bon à entendre. Une chose est certaine, il n’est jamais question d’amour. Le sujet est un peu dépassé aujourd’hui, on s’intéresse à la vie sous tous ses aspects, la culture de la rue, l’identité, le vivre ensemble, l’apport inespéré que constitue pour la république les mœurs et les coutumes venus du fond des âges, qui ont l’avantage de remettre bien des choses à leur vraie place. 

 Il n’est pas resté longtemps sur les bancs de l’école. D’autres l’ont fait avant lui, à qui cela n’a rien apporté. Il l’a bien et vite compris. L’école c’est trop long pour un champion qui fait rapidement le tour des questions et surfe sur tout ce qui bouge. Deux trois copains par-ci, deux trois copains par-là, rien de plus facile que de monter une start-up import-export dans le domaine informatique. C’est tout l’avantage de la chose, le client ne sait pas ce qu’il achète, car en informatique, on ne voit rien, on ne comprend rien, on ne répare rien. Tout est dans des circuits qui ne sont pas visibles à l’œil nu. En cas de panne, on se déplace. Il débranche ses antennes et vous écoute. Pas longtemps. Vous aviez posé un pied dans la boutique, qu’il avait fait le tour du problème. C’est Argus, il a des yeux partout, tous ses circuits sont toujours en alerte, et opérationnels. Vous n’avez pas dit un mot, il sait qui vous êtes, votre âge, celui d’avant l’invention des puces. Il parle doucement, prend un air désolé, avec une pincée de condescendance. L’usure du temps. Votre appareil en est victime, et encore vous avez eu bien de la chance pendant ces trois longs mois. Bien d’autres rendent l’âme dans leur première enfance. Il vous montre celui-ci, il vous montre celui-là qui ne valent pas un pet de lapin, Homo Connexus a du vocabulaire, des clients lui apprennent les finesses de la langue. Résultat, vous devrez à nouveau dépenser une fortune dans une télé, un ordinateur, un appareil numérique pour les photos, un i-quelque chose, fortune qui fera le bonheur de notre homme, et qui explique le côté caverne d’Ali Baba de son espace vital. 

 Déploiement incroyable de richesses sur les murs. Montagne de technologie provenant des recherches menées dans les laboratoires les plus performants du monde. Produits de la recherche spatiale, de la nanotechnologie, de la physique nucléaire. Si un extra-terrestre entrait dans la boutique, il aurait sous les yeux ce que l’homme, au bout d’un cycle de dix millions d’années, au prix de mille efforts, de travail, d’espionnage aussi et de guerres, il aurait sous les yeux ce que l’homme a su réaliser pour tenter d’établir les communications, et pour devenir esclave de ses propres inventions. Je me dis que tous ces instruments, s’ils rendent parfois la vie plus facile et amusante, ne changent rien à la mentalité de ceux qui les manipulent. J’entends des mots. C’est à l’accueil du magasin. Connexus converse avec son employée, désignant du menton deux personnes qui viennent d’entrer.  

 Homme du vingt et unième siècle, champion de la modernité, dépositaire d’un savoir sans limite dans tous les domaines de la communication, par fil, sans fil ou par satellite, notre homme toise en ricanant deux personnes qui flânent dans le magasin. Elles se tiennent par la main. Il est homophobe.

 

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