21/12/2011
Hommage à Vaclav Havel
Une coïncidence troublante. Le lendemain du décès d’un homme admirable, combattant inlassable pour la liberté et la démocratie, voilà qu’un tyran de la pire espèce vient à mourir. Il paraît qu’un peuple le pleure. Comédie. Propagande. Pauvres gens privés de tout, des libertés bien sûr, mais d’un bien être minimum, qui se cachent pour savoir, et qui savent surtout, car l’état totalitaire les y oblige : faire semblant.
Les tchèques eux ne font pas semblant. Ils pleurent la disparition d’un homme courageux qui a osé, dans les pires conditions, mettre en cause l’ordre imposé. Un combat qu’il n’a cessé de perdre, car en ces temps les résistants étaient bien seuls. D’ailleurs en France aussi, ceux qui ne cachaient pas leur joie de voir le peuple tchèque connaître enfin le printemps étaient regardés avec méfiance. Mais pourquoi donc ? Parce que c’était s'accorder le droit de regard sur le système communiste, mettre en doute les vérités assénées tous les matins à la une de l’Humanité, mettre en cause la sainte union de la gauche. Les religieux ont un mot pour désigner cet écart, outrage au dogme : blasphème.
Ce combat pour la démocratie Vaclav Havel n’a cessé de le perdre, jusqu’au jour où les initiateurs de la Charte 77 – un manifeste pour le respect des droits de l’homme - trouvèrent un écho suffisant dans le pays pour provoquer l’implosion du système, un système qui ne s’appuyait sur rien d’autre que le mensonge, la violence, et la menace des chars soviétiques.
Nous étions à Prague quand le misérable Husak envoyé de Moscou faisait régner l’ordre. Il nous fut impossible de rester même un court instant au centre de la place Jan Hus (1), à l’endroit mémorable où Jan Palach s’était immolé le 16 janvier 1969. Sacrifice symbolique d’un jeune homme ivre de liberté quand toutes les questions, les demandes de réforme restent sans réponse. Des policiers en civil étaient partout, mais vite identifiables car les gens ordinaires eux ne flânaient pas, ils allaient à leurs occupations.
La démocratie, les Tchèques et les Slovaques la doivent à eux-mêmes, certes, et aussi à Vaclav Havel et à ces intellectuels, ces artistes, ces travailleurs qui affrontèrent la force aveugle du grand frère soviétique en août 1968, la démocratie ils la doivent aussi à Alexandre Dubcek ce diplomate courageux qui tenta l’impossible pour faire fléchir les gardiens du régime.
Avec la mort de cet homme une page se tourne. Le printemps de Prague restera dans les mémoires, ce fut un rayon de soleil qui éclaira un court instant le monde. Un rayon de soleil aussi dans ma vie. J’ai cru qu’on allait en finir avec le mensonge, qu’une société enfin humaine allait voir le jour.
Combien d’années a-t-il fallu, combien de victimes, de désespoir et de souffrance pour qu’enfin la bête immonde rende l’âme ! Combien de mensonges a-t-il fallu supporter, mais surtout le silence, ce silence coupable qu’on vous intimait de respecter en vous laissant croire que le communisme était une chance pour le monde du travail, que bon gré mal gré, au-delà des procès truqués, des aveux extorqués, des camps et des hôpitaux psychiatriques, quelque chose de nouveau s’édifiait, qu’il fallait laisser le temps au temps. Ces gens-là sont muets aujourd’hui, ou ils ont perdu la mémoire, ou ils ont d’autres chats à fouetter, ou d’autres ambitions. Ce sont des petits, des tout petits. Je les méprise.
Hus, Palach, Havel. Des hommes. Des grands hommes. De ceux qui font l’histoire.
§
(1) Jan Hus, recteur de l’université de Prague était un théologien réformateur, qui n’hésita pas à critiquer le dogme catholique. Il fut excommunié, condamné pour hérésie, brûlé vif en 1415. Pour le peuple tchèque, il est un symbole, celui de la résistance à l’oppression.
11:21 Publié dans portraits | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : vaclav havel, tchéquie, tchékoslovaquie, communisme, charte 77
18/12/2011
Au village sans prétention...
A la sortie de l’école, tous les jours il était là. Il n’avait pas l’air normal. Il était louche, a dit une mère de famille.
L’autre fois, appuyé contre un poteau, il mangeait un yaourt avec une cuillère. Il avait une attitude suspecte. Il n’était pas net. On n’avait pas confiance. Il regardait les enfants. Moi je cachais ma fille derrière moi. J’avais peur pour mes enfants. On avait appelé la police. Elle n’est jamais venue. Le directeur est sorti une fois ou deux pour lui parler, lui demander de s’en aller. Toujours il revenait, a dit une autre, mais personne ne s’en approchait.
Une fois, il a été vu tenant par la main une fillette qui avait dû s’égarer. Il l’a ramenée à l’école, et l’a rendue à un membre du personnel. Les parents de la fillette ont porté plainte au commissariat.
Cela ne pouvait plus durer. Il en va des enfants. On n’en pouvait plus d’avoir peur. L’homme a été poursuivi par des passants et rattrapé à l’entrée de son immeuble. Après, la police est arrivée. Ils l’ont menotté, ils l’ont embarqué, et dans la voiture il a fait un malaise.
Une mère de famille a dit : Il est mort, je n’ai pas de réaction. Je pense que c’est un mal pour un bien. Maintenant je suis tranquille.
La voisine de l’homme dans la petite tour grise de six étages a dit qu’il n’était pas méchant du tout, qu’il était différent, que les gens étaient durs avec lui parce qu’ils avaient peur. Il ne savait pas se défendre. Il parlait mal, on ne comprenait pas ce qu’il disait. Les gens l’agressaient dans la rue, surtout les jeunes. Ils l’insultaient. Il ne méritait pas ça. Il a été effrayé par la police.
Il y a des milliers d’hommes qui meurent chaque jour. Et pour nombre d’entre eux sans que cela soit mérité. Je pense aux personnes qui n’ont pas de logis, qui passent l’hiver dans la rue. Certains ne voient pas le printemps, ils ne résistent pas au froid. Mais l’image de cet homme-là, dont on ne sait rien, même pas le nom, l’image de cet homme restera gravée dans ma mémoire. C’est l’Injustice. Il faudrait un Le Nain pour la peindre, un Victor Hugo pour l’écrire, un Vittorio De Sica pour la présenter au public, à cette femme qui n’a pas de réaction, qui pense que la mort d’un innocent est un mal pour un bien, et qui maintenant dort sur ses deux oreilles.
La voisine dans la petite tour grise a dit des choses bien. Le genre humain existe encore.
§
11:12 Publié dans Colère | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : rumeur, cabale, innocence, injustice
07/12/2011
Horreur! C'est bien le peuple qui a voté.
Nos gouvernants se félicitent de la transparence du scrutin en Egypte qui a vu 65 pour cent des votants accorder leur voix aux islamistes. Certes, les observateurs sur place n’ont apparemment relevé aucune irrégularité. Mais je crois qu’on a raté ici en France une occasion de se taire. Car justement, le plus inquiétant est que ces élections se sont déroulées dans le respect des règles. Ah ! Comme j’aurais souhaité qu’il y eût tricherie, bourrages d’urnes, décompte frauduleux des voix, pressions diverses exercées aux abords des bureaux de vote. Mais non, rien de tout cela. C’est bien le peuple qui s’est exprimé. Tout s’est passé dans le calme. Nous avons donc bien lu bien entendu : islamistes modérés (un mot à prendre avec précaution quand il s’agit de l’islam) et salafistes représentent en Egypte 65% du corps électoral.
Ces gens-là sont très forts, c’est bien avant qu’ils trichent. La consultation électorale est le fruit d’un long travail au sein du peuple. Il n’y a pas pour eux de base besogne. Ils sont partout où l’aide et le secours sont nécessaires. A une condition : maintenir constant le degré zéro de l’éducation. Ce sont les rois du contrôle continu de l’ignorance. Ils savent comme personne exploiter l’illettrisme, mais aussi la misère, le désespoir des populations. Même si Allah existait, il n’aurait rien à voir avec tout cela. Car on n’est plus dans le domaine religieux, mais dans celui de la politique de bas étage, du populisme, du fascisme. Et pour des millions de pauvres gens, les sourates qui ne sont que des formules inventées par des illuminés, sont marmonnées parce que c’est l’usage et pour avoir la paix.
La transparence des élections égyptiennes est de mauvais augure. Non seulement parce que les islamistes ont les mains libres. Mais aussi parce qu’un peuple s’est laissé prendre dans les mailles du filet obscurantiste. Ce qui nous donne une idée du travail encore à accomplir pour que le genre humain émerge, s’arrache de la mer de la Stupidité, une idée aussi des progrès encore à faire ici en France pour garder le silence quand on n’a rien à dire, et s’occuper de problèmes pour la solution desquels on a été élu.
Qu’en sera-t-il de la situation des femmes, des filles, des écoles, de l’économie, du tourisme, des lieux historiques, du patrimoine mondial ? Qu’en sera-t-il de la paix au Proche-Orient ?
J’écrivais il y a peu qu’on pouvait avoir le vertige, par le vide laissé après la chute des dictateurs. J’ajoutais : regardez l’Iran, ils ont chassé le shah pour s’infliger le régime islamique. Et puis, les élections ne sont pas la promesse d’un retour à la démocratie, Hitler a bien été élu ! A l’époque, qu’on ait loué dans les salons parisiens la transparence des élections allemandes ne serait pas étonnant.
Mais quand donc nos politiciens vont-ils ouvrir les yeux ? Partout le fascisme islamiste étend ses tentacules. Même en Tunisie. Ben Ali chassé ? La belle affaire ! Barbus et femmes en niqab sont dans la rue et manifestent en faveur d’une société bien plus arriérée que celle contemporaine du dictateur déchu.
De voir comment nos politiques feignent d’ignorer les progrès de l’islamisation dans notre propre pays, il serait vain d’espérer qu’ils viennent en aide aux peuples menacés par le fascisme vert. Il nous faudra compter sur la clairvoyance et le courage de gens d’exception, de ces femmes et de ces hommes qui dans les pires conditions écrivent, filment, témoignent, osent dire les choses telles qu’elles sont. Comme Benazir Bhutto:
« Les femmes étaient tenues à part à tous les niveaux de la société. Dans certaines réceptions officielles on commença à séparer par sexe les invités, les personnalités féminines les plus importantes étant elles-mêmes isolées de leurs collègues masculins. A la télévision, les présentatrices furent priées de couvrir leur tête de dupattas, et celles qui refusèrent furent congédiées. Les athlètes des excellentes équipes de hockey féminines pakistanaises durent se couvrir les jambes sur le terrain, ce qui les empêcha du même coup de participer aux compétitions internationales. Le zèle islamique du régime allait parfois jusqu’à l’absurde. « Cette photographie montre une femme jambes nues » reprochait un censeur du régime au rédacteur en chef d’un journal, désignant l’illustration d’un article sur la coupe du monde de tennis. « Ce n’est pas une femme, répliqua le journaliste, c’est Björn Borg ». » (1)
Je me rappelle l’enthousiasme qui était le nôtre quand, en avril 1968, le peuple tchèque, tranquillement dans la rue suggéra qu’il pouvait lui-même décider de son avenir. C’est bien humain, nous criâmes victoire trop tôt. Les chars russes mirent fin à nos espoirs quatre mois plus tard. Nous tirons rarement les leçons du passé. Une hirondelle ne fait pas le printemps. Trois, quatre, mille hirondelles non plus quand il s’agit de l’histoire des hommes. Les révolutions sont sujettes au détournement, à l’usurpation. Elles ont pratiquement toutes connu leur Thermidor.
Mais l’histoire ne se répète pas nécessairement. C’est une lame de fond qui secoue le monde arabe. Des millions de femmes et d’hommes font trembler les édifices. Ce ne sera pas facile de les mettre en prison.
§
(1) Benazir Bhutto, une autobiographie, p317, Stock 1989 pour la traduction française ;
11:25 Publié dans Totalitarisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : egypte, élections, islamistes, proche orient