24/04/2023
La voie balte en danger
Suite au Pacte germano-soviétique :
du 17 juin 1940 au mois de juin 1941, la Lettonie fut occupée par les forces militaires soviétiques.
Suite à la rupture du Pacte :
de juillet 1941 à juillet 1944, la Lettonie fut occupée par les forces militaires de l’Allemagne nazie.
Suite à la victoire de l’URSS sur l’Allemagne nazie :
de juillet 1944 au 21 août 1991, la Lettonie subit sa troisième occupation, cette fois encore par les forces armées soviétiques.
(extrait du recueil de nouvelles "Là-bas, tout près", la scène se passe en 1989)
- Olga, raconte-nous! Tu devais nous parler de papa et de grand-père Nikolajs…
- Votre papa, vous savez où il est. Un de ces jours, quand nous aurons de meilleures nouvelles, nous lui rendrons visite tous les trois. On passera la journée à Riga, il y a des cinémas, des restaurants… Vous êtes grands maintenant, mais savez-vous, revenir sur le passé, c’est difficile, c’est triste.
Reinis:
- Au lycée on en parle!
- Votre grand-père... Il faut revenir sur ces terribles journées de 1941. Les derniers jours de l’occupation soviétique ont été très durs. Les 13 et 14 juin, plusieurs milliers de gens, dont 2400 enfants de moins de dix ans furent arrêtés sans aucun jugement. Certains furent surpris en pleine nuit, et durent faire leur baluchon en vitesse, rassemblant vêtements et un peu de nourriture. A la gare, femmes et enfants étaient séparés des hommes, puis entassés dans des wagons à bestiaux, destination inconnue. Dans l’un des convois de juin 41, il y avait votre grand-père Nikolajs.
- Qu’est-ce qu’il avait fait?
- Il était officier dans l’armée lettone avant l’arrivée de l’Armée rouge. Depuis le 10 juillet 40, l’armée passait progressivement sous le contrôle idéologique des soviétiques. Mais une certaine résistance patriotique se manifestait parmi les soldats. Le Corps dont faisait partie Nikolajs fut envoyé dans le nord, et ses officiers reçurent l’ordre de se rassembler pour un “entraînement spécial”. C’était un piège. Ils furent tous désarmés, arrêtés et déportés à Norilsk en URSS, au-delà du cercle polaire. Il ne revit jamais sa terre natale. Il ne connut pas son fils Jazeps né quelques mois après.
- Tante Olga, tu pleures?
- C’est à Riga, un triste jour, que mon Oswals a été arrêté. On était en 1968. Je l’ai attendu des jours et des jours. En vain. Un camarade du Mouvement est venu un peu après pour me dire qu’il avait été dénoncé et que la Milice suivait ses traces depuis longtemps. Ils ont attendu, et finalement ils ont arrêté tout le réseau. La Résistance en a pris un coup, pas seulement dans la capitale. On ne sait pas ce qu’ils sont devenus. Moi je le sais. Connaissant les méthodes de la Milice, je le sais. Mais d’autres patriotes ont repris le flambeau, et le Mouvement pour l’indépendance de la Lettonie a même pris de l’ampleur car la population supportait de plus en plus mal l’Occupation.
(…)
- A propos, pourquoi sommes-nous ici aujourd’hui, endimanchés, prêts à rejoindre tous ces gens dans la rue?
Reinis:
- Parce que nous sommes le 23 août 1989, c’est le cinquantième anniversaire du Pacte germano-soviétique.
- Oui, cinquante ans! Nous allons tous ensemble tourner une page, j’espère pour toujours. En avant!
Ils sortent tous les trois, Reinis et Aija retrouvent des camarades de classe, Olga des amies du quartier. Mais il faut se presser, le maire donne les consignes par haut-parleur:
- Mes chers amis, il me reste cinq minutes pour vous dire quelques mots. Tous, ici, aujourd’hui, vous auriez pu les dire. Il y a cinquante ans deux dictateurs fous ont signé un pacte contre nos parents, nos grands-parents, contre les millions d’habitants de la Lettonie, de la Lituanie, de l’Estonie. Mais en fait ce pacte était signé contre l’humanité entière, car la guerre qu’ils ont provoquée a été menée avec cruauté contre les peuples, contre des millions d’innocents. Aujourd’hui nous sommes deux millions de personnes, de tous âges qui allons, de Tallinn à Vilnius en passant par Riga et par notre village, qui allons en nous donnant la main, former une chaîne humaine. Contre toutes les dictatures, de droite comme de gauche, de l’est et de l’ouest, symbole de la paix, nous proposons au monde la Voie balte. Ne craignez rien. La milice anti-émeute n’interviendra pas, bien qu’elle respire encore, il ne lui reste que quelques jours à vivre. Soyons vigilants! Merci d’être là. Merci.
Le maire est applaudi. Une sirène retentit. Elle annonce l’heure convenue, le moment précis où trois peuples doivent se donner la main. Aija, Reinis et tante Olga se rangent dans la chaîne. La petite serre la main d’Inese sa copine de classe. Reinis aurait voulu se rapprocher d’Ilona, une camarade du lycée, mais la place est déjà prise. Sa tante le tient fermement par la main. A quoi pensent-ils? A qui? Olga ferme les yeux et se rappelle le beau visage d’Oswals, résistant du Front populaire de Lettonie, combattant courageux pour la liberté. Aija et Reinis, les larmes plein les yeux pensent à leur maman Gerda. Reinis a une pensée aussi pour le soldat Nikolajs, son grand-père.
§
15:20 Publié dans Totalitarisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pays baltes, lettonie, occupation soviétique
31/03/2023
Islam et extrême gauche
Les liens qui unissent la religion musulmane et l’extrême gauche peuvent étonner. Il n’est que de rappeler les revendications et les slogans des révolutionnaires de 68, les « ni dieu ni maître », le combat des femmes, la liberté sexuelle, la liberté tout court. Pour l’aile marxiste de l’extrême gauche, les choses devraient être encore plus claires, car pour le matérialisme historique, les religions sont l’arme des possédants, un moyen pour juguler les rébellions en consolant le peuple, en lui laissant espérer des jours meilleurs, plus tard dans un monde où les derniers seront les premiers. Pour le marxisme, aucune nuance possible, la religion est un opium pour les peuples, elle disparaîtra avec la disparition de l’exploitation, la fin de la lutte des classes.
Jusque là tout est clair. Mais cette belle thèse est confrontée à la dure réalité du combat révolutionnaire dans une société où les gens de tous les jours ont parfois autre chose à faire que de lire les textes fondateurs. Il arrive même que les révolutionnaires les plus convaincus ne les respectent pas ces textes. On sait ce qui est arrivé lorsque les adeptes de ces théories ont eu entre leurs mains la destinée de pays et de peuples : l’instauration de régimes totalitaires, l’abrogation de toutes les libertés, la poursuite des dissidents, des aveux extorqués, des internements en hôpitaux ou en prisons, des camps, des exécutions sans jugement, bref que des catastrophes.
Ce qui explique pourquoi les travailleurs réfléchissent à deux fois avant de s’engager avec ceux qui -à demi-mot certes- tentent de remettre au goût du jour ces théories dangereuses.
Il y a un autre facteur avec lequel les révolutionnaires doivent composer : la classe ouvrière n’est plus ce qu’elle était. D’une part qu’on le veuille ou non et c’est tant mieux, une grande partie de celle-ci s’est enrichie, embourgeoisée, maison, voiture, loisirs, vacances, assurance sociale. D’autre part les éléments les plus actifs de la classe ouvrière : les ouvriers d’usine sont de moins en moins nombreux et organisés. Des productions industrielles se sont déplacées sur d’autres continents, dans des pays qui exploitent à outrance des hommes des femmes et des enfants dans des conditions qui étaient les nôtres aux siècles passés. D’où –pour la France par exemple- des difficultés de recrutement pour les organisations syndicales et les partis dits ouvriers.
Ces considérations expliquent pourquoi les adeptes des théories de la révolution –au risque d’oublier leurs principes- cherchent de nouvelles voies, de nouveaux moyens d’exister à défaut de rencontrer un écho dans les milieux ouvriers traditionnels. Voici quelques lignes tirées d’une déclaration d’une fédération départementale de la Fédération nationale de la libre pensée, à propos des personnels des secteurs propreté, gardiennage, logistique, « personnels externalisés des anciennes grandes entreprises » :
« Ces personnels ont deux caractéristiques : très majoritairement ils sont sans qualification (premiers niveaux ouvriers) et sont à 75 % d’origine étrangère. Ainsi, la réaction, en faisant de ces catégories la cible d’attaques systématiques et de dénonciations répétées fait d’une pierre deux coups : elle aiguise par la stigmatisation de l’islam, les ferments du racisme, de l’opposition entre collègues de travail, de la division et elle confine les premières catégories ouvrières dans un isolement propice à la poursuite de la dégradation de leurs conditions d’existence. » (1)
Que la « réaction » soit citée, pour peu qu’on soit familiarisé avec le langage traditionnel communiste, rien de nouveau, il s’agit des forces politiques bourgeoises dont le rôle est de sauver le système capitaliste. Pour ce faire, elles appliquent la vieille technique qui consiste à diviser pour régner. Diviser la classe ouvrière, l’atomiser, opposer les ouvriers français aux ouvriers étrangers « …notamment en provenance des peuples et pays arabes… » (2) qui constituent 75% des personnes citées plus haut. Cette politique est rendue possible par la « stigmatisation de l’islam ».
Il s’agit ici d’une déclaration de la « Libre pensée », mais cette analyse est partagée par les autres courants de l’extrême gauche, en particulier la « France insoumise ». Elle consiste à nier les offensives anti-laïques de l’islam, et à justifier ce silence en laissant croire que les dénonciateurs de ces offensives sont en réalité les alliés du système bourgeois en place. On trouvera aussi toutes les justifications possibles aux atteintes quotidiennes à la laïcité dont sont coupables les islamistes. Si un chauffeur de bus refuse de s’asseoir sur un siège précédemment occupé par une femme, on dira que c’est du machisme, que la religion n’est pas en cause. Si un patron exige –conformément au règlement de l’entreprise- qu’une certaine tenue vestimentaire soit respectée, on invoquera une atteinte à la liberté individuelle. Qu’une accompagnatrice scolaire soit voilée, on le justifiera par le fait qu’elle ne l’est pas dans la cour de l’école, mais dans l’espace public où c’est autorisé. On mesure en même temps l’habileté des islamistes qui ont l’art de transgresser les lois de la république, aidés en cela par l’extrême gauche qui leur pardonne tout.
Si la philosophie des révolutionnaires n’a rien de commun avec la religion quelle qu’elle soit, pour une extrême gauche en errance, faute d’avoir un idéal crédible et mobilisateur à proposer, l’occident capitaliste est la cause de tous les maux. Les islamistes proclament la même chose. Lisez leurs communiqués. Terroristes certes, mais fins diplomates dans leurs discours, ils ne cessent de faire des appels du pied à la gauche et à l’extrême gauche occidentales : leurs ennemis sont ceux de nos gauchistes et altermondialistes : le grand Satan américain, l’impérialisme, le capitalisme, le libéralisme, mais surtout, mais ils ne le disent pas, c’est leur objectif premier : la démocratie sous toutes ses formes, droits de l’homme, toutes les libertés, statut de la femme, éducation…
De cette association d’idées, de cette communion de pensée pourrait venir le salut des partis dits révolutionnaires. Un pacte entre l’islam politique et le marxisme, voilà un fait qui aurait fait bondir les lecteurs assidus des œuvres de Marx et d’Engels -sauf peut-être un Garaudy, ancien membre du Parti communiste français :
« Il est temps de prendre conscience que ce mode de croissance de l’Occident, qui nous conduit à des vies sans but et à la mort, tente de se justifier par un modèle de culture et d’idéologie qui porte en lui ces germes de mort (…) :
-
une conception impitoyable des rapports humains, fondée sur un individualisme sans frein, et qui n’engendre que des sociétés de concurrence de marchés, d’affrontements, de violence, où quelques unités économiques ou politiques, aveugles et toutes puissantes, asservissent ou dévorent les plus faibles ;
-
une conception désespérante de l’avenir, …sans rien qui transcende cet horizon pour donner un sens à nos vies et nous détourner des chemins de la mort. »
Pour Roger Garaudy, la solution est dans l’Islam, qui
« n’est plus « l’Infidèle » du temps des croisades ou le terroriste de la guerre de libération de l’Algérie (…) »
mais plutôt
« cette vision de Dieu, du monde et de l’homme qui assigne aux sciences et aux arts, à chaque homme et à chaque société, le projet de construire un monde indivisiblement divin et humain comportant les deux dimensions majeures de la transcendance et de la communauté. »
« L’islam est INDIVISIBLEMENT une religion et une communauté. Une foi et un CODE DE VIE. » (3)
S’il reste encore en extrême gauche quelques militants sincères et soucieux de préserver laïcité, république et démocratie ici et de soutenir la lutte des populations sous tutelle religieuse là-bas, ils pourraient méditer ces propos d’un ancien maître à penser communiste pour qui toutes les religions sont un opium pour le peuple, sauf l’islam.
Alors, un pacte entre islamistes et marxistes ? Dans la mesure où il proposerait un avenir aux courants révolutionnaires, ce pacte n’est pas du tout impossible (4). Et la bienveillance affichée des prétendus libres penseurs et des marxistes vis-à-vis de la religion « des pauvres » pourrait permettre de nouveaux recrutements, dans les banlieues par exemple, qui retrouveraient leur rougeur d’antan. Ce qui est compatible avec la condamnation du christianisme, religion « des riches », « occidentale », « missionnaire » qui, elle, reste un opium pour les peuples (5). Voir le battage que ces gens font autour des crèches de Noël, quand à l’hôtel de ville d’une capitale on fête la fin du ramadan, ou qu’on feint de ne pas voir les rues envahies par une foule en prière.
Dépités qu’ils sont encore par la chute du communisme à l’est, on peut comprendre les révolutionnaires voyant dans l’ouvrier musulman accusateur de l’Occident un frère d’armes dans la lutte pour le monde futur.
(1) (2) d’après une Fédération départementale de la libre pensée.
(3) Roger Garaudy, Promesses de l’islam, Seuil, 1981.
Les mots ou expressions en majuscules, en caractère gras et soulignés le sont par moi.
(4) Ce ne sera pas la première fois que les communistes mettront entre parenthèses la théorie de la lutte des classes. L’alliance des marxistes avec des forces non prolétariennes ou même bourgeoises et nationalistes avec comme seule condition qu’elles s’affirment anti-impérialistes a marqué les heures de gloire du tiers-mondisme en Afrique et en Amérique latine notamment, alliance qui conduisit à d’étranges situations comme en Egypte où les communistes locaux étaient emprisonnés quand Moscou pactisait avec le régime.
(5) voir le traitement que les islamistes infligent aux chrétiens en Orient comparé à la situation des musulmans dans les pays occidentaux où la démocratie impose la liberté des cultes, même là où le christianisme est majoritaire.
§
18:46 Publié dans Totalitarisme | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : islam, islamisme, extrême-gauche
12/03/2023
Sommes-nous responsables ?
Je crois bon de revenir sur une idée développée par le personnage de Viviane dans mon recueil de nouvelles « Là-bas, tout près ». Voilà ce qu’elle dit :
(…) Les dégradations dans les transports, dans les services publics, les incivilités, l’absentéisme scolaire, le vol d’un portefeuille, le viol en réunion, l’agression d’un professeur... La société serait responsable de tous ces maux? Je ne peux plus entendre ce discours-là. Mais enfin, pourquoi chercher toujours hors de nous-mêmes l’origine et même la cause de tout ? Certes la société pourrait être plus juste, mais pour moi, la responsabilité est toujours individuelle. Il faut dire et répéter aux jeunes d’aujourd’hui qu’ils ont bien de la chance de vivre dans un monde où la société n’est responsable de rien, où notre destin pèse sur nos propres épaules. Car nous sommes libres.(...)
Je peux comprendre à quel point ces paroles sont difficiles à lire, à entendre. Que chacun d’entre nous porte la responsabilité des ses actes est une idée qui va totalement à l’encontre de l’opinion couramment admise selon laquelle nous sommes des êtres sociaux, dépendant les uns des autres, ayant reçu une éducation particulière, nés dans un certain milieu obéissant à certaines règles, certains usages… D’un criminel on dira que dès l’enfance personne ne l’a aidé à suivre le bon chemin, du voleur, qu’il n’avait pas de quoi subsister, du raciste, qu’il n’a jamais connu que des êtres de sa propre couleur de peau, de l’enfant en échec scolaire, qu’il n’a personne pour l’aider dans ses leçons et ses devoirs. On pourrait allonger la liste des raisons pour lesquelles nous ne sommes responsables de rien, ou si peu. Si nous tuons, nous volons, nous haïssons, nous échouons, nous n’y sommes pour rien. Il faut dire aussi que celle ou celui qui agit bien, qui aime et respecte ses contemporains, qui réussit sa vie n’y est pour rien non plus. Peut-être est-il né dans un quartier agréable, d’une mère et d’un père de bon conseil, dans une maison qui déborde de livres et d’instruments de musique ? Non, vraiment, avancer que dans l’existence de chacun, la société n’est responsable de rien, que toute la responsabilité repose sur nos propres épaules, est une idée apparemment indéfendable.
Deux célèbres déclarations de guerre ont été faites à l’idée de responsabilité dans la conduite humaine. La première on la trouve dans le Nouveau Testament, dans ces propos attribués par Luc à Jésus sur la croix (Luc 23, 34):
“Père, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu’ils font.”
La deuxième, dans cette pensée de K.Marx selon laquelle les hommes font leur propre histoire, mais dans des conditions non déterminées par eux. Une pensée précisée ainsi: ce n’est pas la conscience qui détermine notre être, mais l’être social qui détermine la conscience. (K.Marx, L’idéologie allemande).
Dans le premier cas, l’être humain agit à l’aveugle (“Ils ont des yeux et ne voient pas” parole attribuée à David, puis à Jésus), car sa pensée, sa liberté, son action sont dépendantes de sa foi, de sa confiance en la volonté divine. Dans le deuxième cas, son existence dépend exclusivement des conditions extérieures. Dans la perspective chrétienne, pour “voir” il faut avoir la foi, pour “être” il faut croire. Dans le système marxiste, toute liberté individuelle est exclue, car l’être humain est déterminé, “agi” par des conditions qui lui sont imposées.
Ce qui est remarquable, c’est que les deux perspectives ne ferment pas la porte à un avenir radieux. L’une dit: “Croyez et vous serez sauvé” et promet ce qu’il y a de mieux, l’accès au Royaume de Dieu. L’autre prend le prolétaire par la main, et lui promet, à l’issue d’un combat contre ses conditions matérielles d’existence, de devenir ce qu’il n’a jamais été: l’homme total, conscient de lui-même, retrouvé.
Leur point d’accord se résume ainsi: L’être, l’individu n’existe qu’en temps qu’il est membre d’un ensemble (“brebis dans un troupeau” et si on lit la Bible, ceci n’a rien de péjoratif) ou d’une classe sociale en une époque déterminée (Marx). S’il y a de la liberté quelque part, elle n’est pas propre à l’individu, mais viendra à la fin des fins, au bout d’un cycle où, ayant respecté la volonté de la divinité ou certaines lois de l’histoire, il prendra possession de lui-même dans un monde idéal (céleste ou terrestre). En prenant le côté négatif de la chose, et pour évoquer le monde réel, celui d’aujourd’hui, la liberté n’existe pas. Non pas cette liberté d’aller et venir, liberté de penser, de réunion, d’association, non. Ces libertés-là elles sont largement accordées dans les sociétés démocratiques. Mais la liberté intérieure, ce libre-arbitre, qui nous dit “tu dois, tu ne dois pas”, elle est niée par les deux systèmes. En réalité, c’est l’idée de la personne humaine qui est mise de côté, ignorée.
Plusieurs individus agressent un homme handicapé, le jettent à terre, le blessent à coups de pied, le laissent pour mort et s’enfuient mais sont rattrapés. Face à ce crime, journaux, médias et population sont outrés. La condamnation de ces actes est unanime. Les jours passent. On s’interroge. Les avis sont plus modérés. On se dit que peut-être les juges tiendront compte de circonstances atténuantes. D’où viennent ces individus ? Qui sont-ils ? D’abord ils sont jeunes. Dans l’article de certains journalistes on voit même apparaître le terme « gamins ». Ensuite, ils viennent de banlieue, de quartiers défavorisés. L’agression d’un homme sans défense est bientôt classée dans la rubrique des faits divers. On ne le dit pas, mais on pense très fort que les auteurs du crime, en guise d’éducation n’avaient connu que les coups. Cerise sur le gâteau, on apprend que la victime est sortie du coma. Alors la messe est dite. Foutue société qui ne donne pas sa chance à chacun, et de l’handicapé on ne parlera plus. Ce refus de la responsabilité nous rappelle ces paroles inouïes d’anciens capos des camps de la mort : « Je n’ai fait qu’obéir aux ordres ! » Ici c’est la société elle-même qui mène au crime, chacun peut nier sa propre existence dans la formule « Ce n’est pas moi, c’est l’autre. » L’être humain serait un jouet entre les mains d’un père, d’un maître, d’un militaire, d’une nation, d’un dictateur, un jouet manipulé par une société injuste qui ne donne pas sa chance à tout le monde.
Si l’être humain est réductible à un jouet, ballotté par les dieux, la société ou que sais-je encore, si ses actes sont explicables par des causes religieuses, sociales, économiques ou politiques, je voudrais qu’on m’explique, comment un homme assez haut placé sur l’échelle sociale, bon père de famille, aimant sa femme et ses enfants, cultivant son jardin et choyant ses animaux domestiques avec soin lors des jours de congé, comment cet homme respectable et qui a des projets plein la tête, qu’on m’explique comment cet individu peut consacrer ses jours de travail à vérifier, avec la plus grande minutie, la bonne application de la solution finale dans les camps d’extermination.
Les idées qui prétendent tout expliquer ne peuvent aller au plus profond de l’âme humaine. Celle-ci est trop complexe, son entrée leur est interdite. C’est pourquoi il faut s’en tenir, raisonnablement, à ce que le maître disait à son élève Viviane, qu’on pouvait être pauvre et digne, et que nous devions toujours répondre de nos actes.
§
11:33 Publié dans Autour d'un mot | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : liberté, responsabilité, marx et la bible