06/02/2023
L'interview (extrait du livre "Là-bas, tout près")
- Rassurez-vous madame, loin de moi l’idée de revenir sur les événements tragiques d’hier. Vous avez dû être déjà questionnée sur ce qui s’est passé ici...
- Voilà quinze ans que je suis en retraite, seule. J’ai travaillé quarante ans dans la métallurgie, avant la fermeture de l’usine où j’avais pendant vingt ans pratiqué la soudure. Ma retraite est modeste, mais ajoutée à la demi-pension de mon mari, ça me suffit pour vivre. Roger m’a quittée il y a dix ans suite à une longue maladie. Je n’ai plus que mon fils et il est très occupé par ses activités, il voyage beaucoup. Pour moi ici, la vie est difficile. Si j’ouvre la fenêtre, c’est pour aérer l’appartement. Pas pour regarder. Car dehors, rien n’est beau à voir. Entre les détritus éparpillés qu’il faut ramasser chaque jour en compagnie d’autres locataires, des groupes discutent. Des jeunes. Pourtant on est mardi, il est 9 heures. De temps à autre, une voiture de police passe au ralenti, puis disparaît. Oui, hier deux bandes se sont affrontées. Des blessés, l’un d’eux dans le coma. Trafic en tous genres, drogue. Au pied de l’immeuble à côté, ils s’installent dans le hall, table et chaises, les clients arrivent, transactions. La pègre a pris possession des lieux.
- Avez-vous entendu le témoignage ce matin?
- A la télé?
- A sept heures, une dame a dit: “Si je parle on brûle ma voiture.”
- On se demande si la république existe encore. Sur place, les gens normaux se taisent, l’omerta est la règle. Le maire a parlé : « C’est un problème social… » On a droit au discours sur le chômage, le mal-être, la banlieue défavorisée, l’absence de police de proximité, la prévention, tout le monde est gentil, c’est la faute de la société… Bref, la France devrait s’accommoder du mélange entre les gens honnêtes et les délinquants. Il ne le dit pas comme ça, mais le résultat est que la ménagère qui rentre chez elle doit dire trois fois pardon, baisser les yeux et s’excuser d’exister.
- C’est difficile pour le maire de dire autre chose! Que peut-il faire si les gens ont peur de parler?
- Le problème, ce n’est pas le silence des habitants du quartier. C’est la loi du silence au niveau national. Les dégradations dans les transports, dans les services publics, les incivilités, l’absentéisme scolaire, le vol d’un portefeuille, le viol en réunion, l’agression d’un professeur... La société serait responsable de tous ces maux? Je ne peux plus entendre ce discours-là. Mais enfin, pourquoi chercher toujours hors de nous-mêmes l’origine et même la cause de tout ? Certes la société pourrait être plus juste, mais pour moi, la responsabilité est toujours individuelle. Il faut dire et répéter aux jeunes d’aujourd’hui qu’ils ont bien de la chance de vivre dans un monde où la société n’est responsable de rien, où notre destin pèse sur nos propres épaules. Car nous sommes libres. Libres de tout, de nos mouvements, de nos pensées, de faire du bien, de faire du mal, de risquer notre vie en allant chercher un enfant emporté par la crue, de piller la maison abandonnée d’une famille fuyant l’inondation. Comme nos parents étaient libres de résister, libres de dénoncer. Libres au point de respecter les idées et les croyances d’un autre, libres d’imposer notre propre vision du monde. Libres d’aimer, libres de haïr, libres de sauver, libres de tuer. C’est toute la difficulté de notre condition. Nous pouvons choisir, à tout moment, tout le temps, entre le bien et le mal. Une puissance démesurée, sans limite, effrayante, exaltante. C’est ce que j’aurais voulu transmettre à Maxime, notre fils. Il est dans la politique, à Paris. Il me dit que je vois tout en noir, que j’accorde trop d’importance à ce que je vois de ma fenêtre, que je devrais déménager, plus loin, dans un quartier plus calme, et que je verrais les choses autrement.
- Vous n’envisagez pas de partir ?
- Partir ? Non. Ce serait fuir. L’idée est insupportable. Et puis, cet appartement, c’est trente ans de vie avec Roger, tout ce qui me reste de lui. Comme moi, il n’avait pas fait de longues études, mais à l’époque le certificat d’études vous donnait déjà un bagage pour la vie. Pas seulement en calcul et en orthographe. On nous aidait aussi à bien penser, à distinguer le mal du bien, à nous comporter correctement, à respecter les anciens, nos parents, nos maîtres et nos maîtresses. Pour ceux qui restent prisonniers de l’idée que les rails de la misère mènent nécessairement à la délinquance, il serait bon de méditer ce que l’instituteur nous disait à la petite école, qu’on pouvait être pauvre et digne, et que nous devions toujours répondre de nos actes.
- Comme beaucoup, vous pensez que c’était mieux avant?
- Oh que non! Vu ce que nos parents ont vécu, quand je dis “nos parents” je parle de ceux qui avaient un minimum de dignité. Il s’est passé des choses terribles, beaucoup plus que ce que nous vivons aujourd’hui. Mais il y avait quelque chose que nous n’avons plus maintenant: l’espoir. Je me rappelle maman qui m’emmenait au spectacle des Chœurs de l’armée rouge: ils chantaient “Un bouleau s’élève dans un champ”. Pour nous cet arbre était le symbole de quelque chose de nouveau, une grande chose en construction, qui allait tout changer…Comme c’était beau!
- Et votre père?
- Il m’apprenait les paroles de l’Internationale. Je ne savais pas ce que voulait dire “les damnés”. Il me disait que c’étaient les prolétaires, les gens qui gagnent leur pain en travaillant. Que le travail pouvait être la plus belle chose du monde. Non seulement parce qu’il rapportait les sous, mais parce qu’il était utile, les maçons construisaient des maisons, les paysans cultivaient et récoltaient, les infirmières soignaient, les ouvriers fabriquaient toutes les choses nécessaires à la vie quotidienne, et ainsi de suite. Mon père ne comprenait pas qu’on reste à ne rien faire. A l’époque tout le monde s’occupait. La paresse était l’exception. On la montrait du doigt. Le travail était une vertu, comme le courage et la volonté. A neuf heures du matin, il n’y avait plus personne dans les rues. Et ceux qui traînaient encore, on les suivait, l’œil mauvais, car l’humanité n’était pas pour autant meilleure qu’aujourd’hui.
- Ah!
- Pour ça non. Nous n’étions pas des anges. Et nous ne le serons jamais. Pour revenir à mon père, être oisif, c’était seulement bon pour le bourgeois. Ma maîtresse ne parlait pas des bourgeois, mais elle disait qu’il fallait s’appliquer à l’école pour faire quelque chose de sa vie plus tard, que c’était dur parfois de faire des efforts, mais qu’après on en serait récompensé. Pendant mon adolescence, et même avant, j’ai vécu dans l’idée que le travail était quelque chose de bien et que de toute façon il était inévitable. Quand un maître demandait une contribution avant d’organiser une visite dans un musée, jamais je ne levais la main pour dire que je ne participerais pas. Grâce au revenu du travail de mes parents, au cours de ma scolarité, j’ai participé à toutes les sorties dans les musées, les châteaux, ou au théâtre.
- Vous gardez un bon souvenir de l’école?
- Oui. Et je réussissais assez bien. Ces grands livres derrière la vitrine, ce sont mes prix, Quand je n’avais pas le prix d’honneur, c’était celui d’excellence. Mes parents étaient fiers de moi. J’aurais peut-être pu continuer…
- ...mais vous êtes allée en apprentissage…
- Finalement ça me plaisait bien, et puis il y avait la promesse d’une embauche, d’un salaire.
- Vous êtes restée fidèle à la tradition familiale, à la classe ouvrière…
- A l’époque, oui. Mais ici aujourd’hui, elle n’est plus ce qu’elle était.
- Elle existe encore?
- Elle est partie sous d’autres cieux, d’autres continents. Là où, comme aux siècles derniers en France, même les enfants travaillent dans des conditions très dures. L’ouvrier français sans emploi, la petite solidarité des associations peut lui venir en aide, il aura de quoi se nourrir, un toit ce n’est pas sûr, et ses enfants, l’avenir de ses enfants ? On tire un trait sur le savoir-faire, l’inventivité, la créativité, l’intelligence. Il faut être bien sot pour croire que l’ouvrier travaille avec ses mains. Si le travail n’était que manuel, les tâches les plus difficiles pourraient être l’œuvre de robots. Nous sommes tous des êtres pensants, sauf peut-être ici ou là quelques prétentieux des beaux quartiers à qui l’école n’a pas livré ce qui leur était dû.
- C’est vrai qu’il y a du chômage et de la misère, comme jamais peut-être. Mais aussi plus de solidarité. Le Secours populaire, les Restos du coeur...
- Oui, aujourd’hui, le maître mot est solidarité. A se demander pourquoi tant de malheureux à la rue font encore l’aumône. On distribue sans distinction à ceux qui se font connaître. Non seulement trouver du travail est un exploit, mais on encourage les gens à ne pas travailler. On cultive l’oisiveté. La liste des allocations versées aux inactifs est vertigineuse. Il faut vraiment être naïf… ou animé d’un courage héroïque pour travailler à deux heures de chez soi comme vigile, technicien de surface ou manutentionnaire en CDD pour un salaire de misère, quand le gros plouc d’à côté pose dix heures par jour ses cent kilos devant des jeux vidéo en attendant ses assedics, ses allocations familiales, quand ses enfants bénéficient gratuitement de la cantine scolaire et des vacances en colonie offertes par la municipalité. Nora, sa femme, quitte son domicile à sept heures du matin, prépare, habille les enfants, les mène à la crèche, court à la gare puis dans la cohue des transports, après une heure ou plus de suffocation, se rend sur son lieu de travail, un bureau dont elle fait briller les surfaces.
- Vous êtes en colère!
- Pas seulement contre ce pauvre individu. Mais parce que rien ne change. Ceux qui travaillent sont encore aujourd’hui la dernière roue du carrosse. Et les profiteurs ne sont pas seulement les capitalistes. Je la connais Nora, on échange dans l’escalier des coups d’oeil complices. Comment est-ce encore possible qu’une femme, jusqu’au cœur de son foyer soit à ce point exploitée?
(...)
09:54 Publié dans Colère | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : travail, travailleurs, chômage, assistance
12/01/2023
Vivre ensemble avec l’islamisme?
L'islamisme avance non pas grâce à la profondeur de sa pensée, mais grâce à l'idéologie du “multiculturalisme” développée par les gouvernements européens, dont celui de la France. S'il y a un combat à mener, c'est d'abord dans nos propres rangs. Je parle des "rangs" français!
L'islamisme est plus qu'une religion, c'est une idéologie totalitaire, une façon de penser, de prier et de vivre. Elle est incompatible avec l'universalisme des Lumières que nos penseurs (occidentaux) Spinoza, Kant, Montesquieu, Locke et Voltaire nous ont légués. Dire que la tradition islamique est à l'inverse de ces principes est une évidence. Mais on ne pourra pas s'en sortir en répétant des évidences. S'il y a plusieurs centaines de milliers de musulmans qui entrent en Europe chaque année, ce n'est pas la faute des musulmans. Qui a le pouvoir à Paris, Berlin ou Bruxelles ? Qui est responsable de l'avenir de nos démocraties, de nos enfants et... de nos femmes, de nos filles, de nos petites filles? Nos gouvernants certes, mais aussi ceux qui les élisent.
Combien de français manifestent ces jours-ci pour soutenir le combat courageux des femmes iraniennes? Combien de français sont allés manifester pour que l'assassin de Sarah Halimi comparaisse ? Combien de journalistes, de politiciens ont été outrés par cette justification du meurtre par "une bouffée délirante"? Faut-il parler de la couardise de tous ceux, ici en France qui se taisent, quand aux femmes afghanes tout est interdit, à commencer par l'instruction? Et ces réseaux sociaux qui arboraient hier sur le dos d'un jeune homme cet hommage à Mohammed Merah, tueur de militaires français et d'enfants juifs, sont-ils tenus exclusivement par l'ennemi islamiste?
L'islam est une idée, non une pensée. Elle pourrait être facilement condamnée si les professeurs, les parents, bref les citoyens ayant une responsabilité osaient dire ce qu'ils pensent et faire ce qu'ils disent. Mais l'idéologie de gauche balaie chaque jour un peu plus ce qui nous reste des Lumières. Quand cesserez-vous, gens de la gauche, de cataloguer “d’extrême droite” et d’accuser de racisme les personnes qui font encore confiance à la Raison, qui croient encore aux valeurs universelles de démocratie, de liberté , de laïcité?
Sous la feuille de vigne du "Vivre ensemble" les gens qui dirigent la France (et l'Europe) ont depuis longtemps baissé la garde, accompagnés par une majorité silencieuse. Voilà les responsables.
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18:50 Publié dans Totalitarisme | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : islamisme, multiculturalisme
30/12/2022
Homo connectus
C’est Argus, il a des yeux partout, tous ses circuits sont toujours en alerte, et opérationnels. Vous n’avez pas dit un mot, il sait qui vous êtes, votre âge, celui d’avant l’invention des puces. Il parle doucement, prend un air désolé, avec une pincée de condescendance. L’usure du temps. Votre appareil en est victime, et encore vous avez eu bien de la chance pendant ces trois longs mois. Bien d’autres rendent l’âme dans leur première enfance. Il vous montre celui-ci, il vous montre celui-là qui ne valent pas un pet de lapin, Homo Connectus a du vocabulaire, des clients lui apprennent les finesses de la langue. Résultat, vous devrez à nouveau dépenser une fortune dans une télé, un ordinateur, un appareil numérique pour les photos, un i-quelque chose, fortune qui fera le bonheur de notre homme, et qui explique le côté caverne d’Ali Baba de son espace vital.
Déploiement incroyable de richesses sur les murs. Montagne de technologie provenant des recherches menées dans les laboratoires les plus performants du monde. Produits de la recherche spatiale, de la nanotechnologie, de la physique nucléaire. Si un extra-terrestre entrait dans la boutique, il aurait sous les yeux ce que l’homme, au bout d’un cycle de dix millions d’années, au prix de mille efforts, de travail, d’espionnage aussi et de guerres, il aurait sous les yeux ce que l’homme a su réaliser pour tenter d’établir les communications, et pour devenir esclave de ses propres inventions. Je me dis que tous ces instruments, s’ils rendent parfois la vie plus facile et amusante, ne changent rien à la mentalité de ceux qui les manipulent.
J’entends des mots. C’est à l’accueil du magasin. Connectus converse avec son employée, désignant du menton deux personnes qui viennent d’entrer.
Homme du vingt et unième siècle, champion de la modernité, dépositaire d’un savoir sans limite dans tous les domaines de la communication, par fil, sans fil ou par satellite, notre homme toise en ricanant deux hommes qui flânent dans le magasin. Ils se tiennent par la main.
à lire dans “Là-bas, tout près” recueil de nouvelles publié aux éditions Vérone.
09:57 Publié dans Autour d'un mot | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : informatique, modernité, humanité