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14/07/2022

Paroles

 

 

La vie, si elle n’est pas toujours drôle, est heureusement parsemée d’une multitude de petits plaisirs. Il y a les chocolats de Noël retrouvés en rangeant les placards, les anciennes photographies redécouvertes dans les boîtes à chaussures, la perspective de vacances prochaines, les fou rires en repassant une cassette d’Alex Métayer, apprendre que les enfants malgré le monde sur les routes, sont arrivés à bon port, la venue du printemps avec les jours qui s’allongent, le vent qui se calme après la tempête, bref même si parfois les mauvaises nouvelles nous découragent, c’est bien rare qu’il n’y ait pas un lendemain qui chante.

 Là où on prend le plus grand plaisir, c’est en compagnie des autres. Réunions entre amis, voisins, famille, enfants. Pas de grands discours, seulement de petites choses. Le son des glaçons tombés dans les verres, les yeux qui brillent, les voix qui s’élèvent, les éclats de rire, les points de vue qui s’accordent, les avis qui divergent, les opinions de plus en plus tranchées après le deuxième, parfois le troisième verre. Et puis ce plaisir ultime, celui qui sort de votre bouche, de dire simplement, comme conclusion définitive, bien que vous n’en pensiez peut-être pas un mot, mais parce que ça fait du bien, et surtout parce que –tel un pacte de non-agression- cela met tout le monde d’accord, vous dîtes : Ils sont tous pourris !

Non mais vous imaginez, au milieu d’un groupe, un gugusse qui oserait…

« On a quand même de la chance d’avoir un bon président, un gouvernement responsable, une France qui va mieux, des femmes et des hommes politiques au-dessus de tout soupçon ! »

…pouvez-vous imaginer cela ? Bien sûr que non. Plus il y a de monde, plus il faut élever la voix, et lancer les phrases qui tuent. Et c’est là que je voulais en venir. Quel plaisir cela peut être de dire en posant son verre bruyamment sur la table : Ils sont tous pourris ! A moins d’être au milieu d’une assemblée de Témoins de Jéhovah, d’un groupe de paroles engagé dans la lutte anti-alcoolique ou en plein Conseil des ministres, personne ne vous contredira.

 La dernière fois que j’ai entendu cette boutade, un accord total s’est fait autour de la table. Ah pour ça oui, ils sont bien tous pourris. En réalité, personne ne partageait vraiment l’avant dernier mot. Pourris d’accord, mais pas tous. Dans l’esprit de beaucoup, le pourrissement se développe seulement en haut, dans la sphère des gens qui sont susceptibles d’exercer le pouvoir, ou qui l’exercent réellement. Le président, les ministres, les préfets, les patrons, les dirigeants des partis et des syndicats, tous sont pourris. Le pourrissement n’englobe pas ceux qui défoncent le portail d’un ministère à l’aide d’un engin de chantier, ceux qui profanent les monuments commémoratifs et les édifices religieux, ceux qui piétinent en chantant l’effigie d’un président, ou qui défilent derrière la tête en carton d’un président brandie au bout d’une pique, qui mettent le feu à un établissement supposé fréquenté par les riches, ceux qui ont la haine parce qu’ils ont subi un échec aux élections, bref, le pourrissement est sélectif. Et quand un ingénu répond à mi-voix qu’il n’aimerait pas être à la place du président, le ton baisse d’un bémol. Mais il y a toujours quelqu’un pour dire que le haut personnage de l’état en est arrivé là pour s’en mettre plein les poches. Ce qu’il feint d’ignorer, c’est que le président, s’il avait voulu s’attirer les faveurs de Fortune, aurait été plus convaincant en exerçant avec talent son métier, plutôt qu’en s’engageant en politique.

 

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29/05/2022

Antifas

 

 

On critique beaucoup l’extrême droite. Ce qu’on oublie de dire, c’est qu’elle accorde à peu de frais une bonne conscience à nombre de ses détracteurs. A peu de frais, car il suffit d’apparaître quelques minutes sur les pavés de Paris, d’élever la voix autour d’une table ou de cliquer au bas d’une pétition pour se donner des airs de combattant anti-fasciste.

On réside à vingt lieues des zones de non droit, mais on clame autour du barbecue que tout le monde est très gentil, ou presque. Les femmes et les honnêtes gens se verraient interdire l’accès dans les commerces, les cafés et les quartiers qu’on les tiendrait pour menteurs ou identitaires.

Bon, critiquer l’extrême droite est bon pour le moral du bourgeois tranquille dans son jardin. Il ne croit que ce qu’il voit, et comme il est loin de tout, à cent lieues du chômage, de la misère, de la détresse et de l’injustice, il est un révolté contenu, un insurgé rentré. S’il lui arrive d’être extrême, c’est dans la modération. Ses virulences sont rares mais démonstratives. Au-delà des idées, des convictions, plus forte que toutes les indignations, la bonne conscience écrase tout sur son passage à commencer par la conscience.

Le fachophobe d’aujourd’hui est à l’anti-fasciste réel ce que le héros de Cervantès est au combattant anti-franquiste de 1936.

 

 

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30/04/2022

La société idéale

 

 Il y a une chose qui réunit tous ceux qui critiquent les sociétés occidentales : jamais ils ne nous dressent un portrait, ni même un aperçu de la société qu’ils proposent. C’est dommage, car les humains que nous sommes vivent dans le projet. Il nous est difficile de croire en quelque chose si nous n’en avons aucune idée.

 C’est la raison pour laquelle les premiers socialistes, au XIX° siècle, avaient conçu leur programme en deux parties: un minimum et un maximum. Le premier était celui qu’on aurait pu qualifier de catalogue des revendications ouvrières de base, salaire, conditions de travail, libertés d’association, de réunion, droit de grève. Le deuxième, celui auquel devait aboutir la lutte finale: la société libérée, où chacun devait recevoir selon ses besoins: le communisme. Les fondateurs du marxisme insistèrent sur la liaison entre les deux: il était difficile pour la classe ouvrière de mener son combat quotidien contre l’injustice si elle n’avait pas conscience que cette dernière était par essence capitaliste. De la critique du capitalisme, la conscience de classe amenait nécessairement les travailleurs à poser comme but suprême de leur combat l’édification d’une société sans capital, sans classes, et finalement sans état, puisque sans opposition ni violence… ni frontières puisque les prolétaires de tous les pays avaient les mêmes intérêts et devaient donc nécessairement s’unir.

 Ces fondateurs du socialisme avaient beaucoup de mérite (et d’imagination) lorsqu’ils dressaient aux travailleurs un portrait -disons: une esquisse- de la société future. La révolution de 1917 allait-elle mettre fin à cette incertitude, allait-elle montrer au monde la beauté de ce nouveau monde, récompense ultime, objectif de tous les combats ouvriers? Un peu, pendant quelques années. Ensuite seulement pour les aveugles et ceux qui ne voulaient rien entendre. La révélation des déportations, des famines, et de l’univers concentrationnaire sibérien montrèrent aux travailleurs du monde que, quelle que soit leur classe, leur parti, leurs idées, les hommes restaient les hommes, avec leur appétit du pouvoir, leur égoïsme et même leur violence.

 Or on entend aujourd’hui à nouveau cette petite musique: le capitalisme est responsable de tout. C’est vrai qu’il est à l’origine de beaucoup de choses, et pas toujours réjouissantes. Ceci dit, on est en droit de se demander s’il y a une alternative. On regarde tout autour, et nulle part nous n’avons un modèle d’une société libre et démocratique non capitaliste. Comme si la liberté de chacun était indissociable de la liberté d’entreprendre.

 Ne fermons cependant aucune porte. Peut-être y a-t-il dans l’esprit des plus ingénus de nos contemporains une idée, un schéma du système social idéal, société juste, sans profit, sans inégalités et sans violence ?

 

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