01/03/2013
Indignation
L’idée est simple, c’est pour cela qu’elle est belle. Les deux mots viennent du cœur, et même de plus bas, du ventre, ils expriment la colère, le ras-le-bol, la saturation, le dégoût. Ils sont un cri. Contre l’injustice. Sous toutes ses formes, la misère, le chômage, la violence, la guerre. Deux mots, scandés, hurlés, partout. D’une force terrible, qui expriment ce que des millions de gens ressentent, au plus profond d’eux-mêmes. Non, ce n’est plus possible, réveillez-vous, réagissez, résistez, du nerf que diable ! Non mais regardez-moi ces veules, jusqu’où jusqu’à quand accepteront-ils l’inacceptable, quand s’éveilleront-ils donc ?
INDIGNEZ-VOUS !
Une idée formidable, irréfléchie, sentie, ressentie. Et en plus facile à crier, en chœur dans toutes les langues. Mais si la révolte est une condition nécessaire au changement, nous souffrons aujourd’hui de ce qu’elle n’est pas suffisante. Croyez-vous que les travailleurs des aciéries ou de Continental ne sont pas indignés de se voir remerciés après des années de bons et loyaux services quand les actionnaires s’en mettent plein les poches ? Est-il besoin de leur indiquer un mot d’ordre, un slogan ? Ce qui manque aux hommes dans cette société, ce n’est ni l’esprit de révolte, ni le besoin de se faire entendre. Ce qui manque, ce sont des solutions. Personne ne les apporte. A quoi bon faire descendre des foules dans les rues si c’est seulement pour qu’elles s’indignent ?
On ne va pas reprocher à Stéphane Hessel de n’avoir pas fondé une doctrine politique. Nos parents ont suffisamment souffert des guerres et révolutions engendrées par les systèmes qui promettaient le bonheur aux hommes et n’ont apporté que la désolation. Les doctrines politiques on n’y croit plus et on a bien raison. Alors ?
Quand une usine ferme ici, c’est qu’à l’autre bout du monde, des enfants, des femmes et des hommes produisent des richesses dans des conditions proches de l’esclavage. Mais quand on prononce le mot, on pense à des gens qui, il y a très longtemps, étaient sans défense car dénués de tout, de la liberté mais aussi du savoir, de l’écriture, de la lecture. Les choses ont changé. Les états les plus arriérés dispensent, qu’ils le veuillent ou non, un minimum d’éducation. L’information circule, même quand internet est censuré. Avez-vous lu cet appel au secours caché dans un jouet par un ouvrier chinois ? Je n’ai pas entendu quelqu’un répondre à son appel. On continue d’acheter des jouets fabriqués à l’autre bout du monde. Nos dirigeants commercent avec la Chine et d’autres pays à la démocratie douteuse. Cela devrait nous indigner de voir nos hommes politiques fréquenter des exploiteurs du genre humain. Eux-mêmes ne devraient-ils pas s’indigner ? Rompre le silence ? Qui osera ? Quel républicain, quel démocrate courageux se lèvera à la tribune des nations unies pour condamner l’iniquité dans ces pays sans règles, sans loi sinon celle du plus fort ?
J’évoque nos dirigeants, il faudrait aussi mettre la gauche extrême face à ses responsabilités, elle dont la raison d’être historique est de combattre l’exploitation de l’homme par l’homme. Nos révolutionnaires s’honoreraient en désignant ces dictatures et régimes réactionnaires à la vindicte populaire internationale, du même coup ils se rendraient utiles à quelque chose.
Ici tout le monde s’indigne de voir une minorité de gens accaparer les richesses, actionnaires, chefs d’entreprises, artistes et footballeurs. On s’indigne Stéphane, on n’arrête pas de s’indigner. Faudra-t-il attendre d’autres messages d’ouvriers asiatiques pour mettre un terme à notre indignation et construire quelque chose ?
Je sais ce que vous pensez. Que c’est trop simple d’accuser des états qui n’ont pas encore franchi le cap de la démocratie ? Qu’il faut regarder ce qui ne va pas chez nous, admettre que nous avons notre part de responsabilité ? Je vois les gens au supermarché, combien d’entre eux (et je me compte avec eux) vont lire les indications portées sur les produits et acheter ceux qui sont d’origine et de fabrication française, quand le prix de ces choses varie du simple au double ou au triple ? C’est plus facile pour une famille aisée de privilégier qualité et provenance. Et le problème est rendu encore plus difficile par le flou qui entoure cette dernière. Acheter français ou/ produit en France ? Une Toyota peut être plus française qu’une Renault…
Dans ce pays il y a une somme d’intelligence et de savoir faire incommensurable. Les savants, les ingénieurs français ont été, et sont encore à l’origine d’innombrables inventions. Ce qui m’indigne, c’est qu’on est en train de tirer un trait sur cela. Des milliers d’ouvriers sont exclus de la production : désoeuvrés au sens premier du mot. Savoir faire perdu. Gâchis. Désespoir. No future. Des ingénieurs s’expatrient, et pas pour mettre l’argent au chaud ! Non, ce sont des jeunes, dont l’intelligence et l’inventivité serviront ailleurs. Et ceux qui sont prêts , avides de créer, de construire, mais à qui des bureaucrates à cheval sur les lois demandent le diplôme, comme la douane un laisser passer, ceux-là que des parents ont oubliés, que l’école a rejetés, ils sont là à flâner, incarnations de la désespérance.
Je n’ai pas de solution. Je ne propose rien. Mais je sais que les grands bouleversements n’ont servi à rien. Ils n’ont apporté que la violence et la haine. Je reste convaincu que l’humanité a des ressources formidables. Pas dans le sous-sol, mais en elle-même. Il y a moyen de s’en sortir. S’indigner est une étape. Brique par brique il faut construire quelque chose, c’est dommage qu’un homme de la carrure de Stéphane Hessel ne nous ait pas mis sur la voie. Que cela ne nous empêche pas de rendre hommage à celui qui ne s’est pas contenté de s’indigner, alors que des français collaboraient avec l’occupant nazi, à Londres puis en France il fut un grand résistant, arrêté par la Gestapo et déporté à Buchenwald. Un homme remarquable.
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19:01 Publié dans libre pensée | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : hessel, indigner, société, travail, chômage
20/01/2013
La foire à tout
Je me promène entre les stands. Quel vacarme, mon Dieu quel vacarme ! Chacun y va de ses réclames, ici c’est moins cher, vous en aurez deux pour un, profitez de mes promotions, c’est le dernier jour, tout doit disparaître. Ils vous promettent tout et son contraire. Avec ça, vous serez comblés. Heureux, c’est à voir, mais comblés de dettes et d’embêtements, c’est sûr. Bien sûr ils ne vous le disent pas. Quand c’est sur l’étalage, c’est tout beau, que du bonheur. Pour des légumes, passe encore. Mais des lave-linge, des ordinateurs, des ipades, là faîtes gaffe. Comparez les prix, regardez ailleurs. Quand c’est pour des motos ou des automobiles, faîtes encore plus attention. Quelle garantie ? La durée ? Pièces et main d’œuvre ?
Ceux qui crient le plus fort sont les messagers des dieux: les inspirés. Ils ont rencontré la divinité et savent de quoi l’avenir sera fait. Ils connaissent le jour et l’heure de la fin du monde. Comme nous, ils ont survécu à la dernière, qu’ils annonçaient l’année passée. Ils sont dangereux car ils s’adressent à des personnes désorientées, fragilisées, à des adolescents en crise. Ils profitent de l’inépuisable crédulité humaine.
Les religieux aussi crient très fort, d’ailleurs ils font peur. Quand j’étais petit, et qu’on lisait l’Exode, l’engloutissement des Egyptiens dans la mer, les exploits de Josué, les atrocités pour la conquête de territoires, je me demandais comment un dieu si bon pouvait ordonner tant de massacres. Les Evangiles aussi m’empêchaient de dormir, la tête de Jean-Baptiste sur un plateau, la couronne d’épines, le chemin de croix, les clous. C’est dans la bible que pour la première fois j’ai rencontré la violence. Et l’imposture de Jacob reste gravée dans ma mémoire. Impunie et récompensée. Car l’important est de croire. Attention, si vous ne croyez pas… Soyez injuste, mentez, trompez, tuez, la foi vous sauvera. C’est l’exemple que les religieux donnent eux-mêmes depuis que Dieu existe. A se demander s’il vaudrait mieux qu’il n’existât pas.
Un peu plus loin sont les bavards. Les politiques sont les rois du commerce. En période de crise, ils vendent du social et pour pas cher, à ce qu’ils disent. En bout de gondole, bien en vue, les promotions. Aux sans emploi les petits boulots, très peu payés mais qui font survivre. Ils rendent service au pays, ils font baisser les chiffres du chômage. Les associations foisonnent, elles se mettent en quatre pour venir au secours des malheureux, et pas seulement les jours de marché. Leur porte est toujours ouverte. Elles existent depuis que les pauvres sont pauvres et que les riches distribuent ce dont ils n’ont pas besoin. Les politiques ! Quelle bande de bateleurs ! Le seul domaine où ils n’ont rien à dire, c’est le temps présent. Aujourd’hui ne les inspire pas. Ils sont les hommes et les femmes de demain. C’est pourquoi on se prend parfois à les aimer. On préfère entendre que tout va bien se passer plutôt que de savoir que dans un mois ce sera la fin du monde. Nous sommes de grands enfants, voilà l’origine de leur succès. On sait qu’ils nous racontent des bobards, mais c’est plus fort que nous, on fait tout ce qu’il faut pour qu’ils vendent leur camelote. Il faut dire qu’on est un peu las. On sait trop de choses, une surtout que rien ne changera quoi qu’on fasse. Les travailleurs de l’aciérie vont être à la rue, mais on a fait pour le mieux. Qu’est-ce qui aurait été pire ? Qu’on les fusille ?
Je jette un œil à la fenêtre. Le vent s’est calmé. Ce matin je n’ai pas vu l’écureuil. Seulement ses traces dans la neige. Je sais que ce sont les siennes, deux petites empreintes tous les mètres. Le chat marche, l’écureuil avance en sautant. Il est mignon avec son petit ventre blanc. Mouais…quand il ne va pas dénicher les œufs des tourterelles dans le sapin là-haut.
Je voudrais dire des choses agréables, je n’y arrive pas. Il y a des jours comme ça. Merci d’avoir lu ces lignes. 2012 est passé, en tables bien garnies, les jouets au pied des sapins.
Des cinglés veulent légaliser le crime au nord de l’Afrique. Des travailleurs pris en otage ont été massacrés. Ceux des aciéries en France, on n’en parle déjà plus. Les grecs mais pas tous ont le droit de manger des produits alimentaires périmés. C’est trop injuste. Rien ne change.
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10:26 Publié dans libre pensée | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : bateleurs, foire, marchands, fraudeurs, écureuil, travailleurs, otages, massacres
06/12/2012
Transformer le monde
Transformer le monde ? Boudieu de boudieu comme dirait Chris… Bon. On s’y met ? Oui mais c’est lourd. C’est du lourd.
Les grands penseurs ont procédé par étapes. Tenter l’installation d’une société idéale à Genève. Associer le capital et le travail dans une même entreprise. J’admire l’œuvre de Jean-Baptiste André Godin et son familistère : plus d’un siècle d’existence, des ouvriers et ouvrières heureux. Un véritable palais social. Avec la contrainte toutefois de vivre entre quatre murs, coupés du monde extérieur. Allez-y quand même, c’est à découvrir à Guise. Un détail à méditer : Godin vivait dans son familistère dans les mêmes conditions que ses ouvriers.
On a instauré la démocratie il y a deux mille cinq cent ans à l’échelle d’une cité : Athènes. Mais seuls les citoyens jouissaient de l’égalité et de la liberté. Ces avantages leur étaient accordés grâce à l’exploitation de milliers de métèques et d’esclaves qui produisaient les richesses dans des conditions inhumaines. La démocratie pour quelques uns n’est pas la démocratie. Mais l’idée était là. Elle pouvait suivre son bonhomme de chemin. Sans s’affoler, c’est le moins qu’on puisse dire.
1789 ans après, plus 400 ans (la démocratie athénienne n’ayant vécu que quelques années), à l’extrême bout de l’Europe, au bord de l’océan, un pays connu pour le jugement éclairé de ses philosophes tenta de franchir le pas : en finir avec les privilèges accordés à une minorité d’individus au détriment d’un peuple plongé dans la misère. La colère refoulée au cours des siècles des siècles déferla sur le pavé. Et la joie, le délire. Et la terreur. Bon, on n’a rien sans rien, et la terreur il ne faut pas en parler, c’est blasphémer. La RRRRRévolution FFFFFrançaise, c’est du sacré. D’ailleurs mises à part l’Amérique, la Russie, la Chine, et d’autres encore mais insignifiantes, la Révolution est avant tout principalement d’abord française.
Ailleurs ils ont tenté le coup. Sans succès. En Amérique, l’inégalité sociale est un fléau national. En Russie, les barbelés rouillent dans l’archipel sibérien mais les policiers des soviets sont encore au sommet de l’état. En Chine, on déporte des millions de paysans pour le bien de tous, à la stalinienne.
Chez nous les nuits sont calmes. On fait un gros dodo. Les capitalistes ont gardé le pouvoir. Mais ce sont les gentils, de gauche. Les masses populaires des villes et des campagnes, on ne les prend plus à rebrousse-poil. On les caresse doucement, on les endort. Le chômage est égal à lui-même, il a même augmenté depuis que les méchants ont abandonné les affaires. Tout va mal, mais c’est pour la bonne cause : transformer le monde. Ici aussi on procède par étapes. D’abord, le redressement productif du pays. Pour cela, on licencie encore un peu, mais pas violemment comme dans l’ancien régime. On agrémente les plans sociaux de discours empreints de compassion et on réunit des commissions d’experts qui savent eux de quoi ils parlent, ils sont payés pour plaindre les familles privées de ressources. Bref la gauche au pouvoir, c’est le chômage plus les enluminures. On a encore une armée, mais c’est pour envoyer aux quatre coins du monde des messages de paix. D’ailleurs on retire nos soldats des pays en guerre. Entre nos murs, on accepte toute la misère du monde sauf celle venue d’ailleurs : on expulse les gens du voyage dont le mode de vie est incompatible avec l’idée de redressement productif.
Oui, il faudra nous y faire, le socialisme est en marche. Je souhaite toutefois qu’il n’avance pas trop vite. Engager la France sur la voie de la justice sociale, c’est bien, mais allons-y mollo. On a vu des cas où les masses populaires des villes et des campagnes, incultes et dépourvues du sens de la mesure, trop longtemps privées de tout et de pain, s’en prirent violemment aux biens et aux personnes.
Allez à Guise, c’est dans l’Aisne (02) au nord-est de St-Quentin, visitez le familistère de Godin. Je sais que ça ne va pas plaire aux révolutionnaires professionnels de passage, qui vont hurler à l’utopie. On leur répondra que la société future qu’ils nous proposent depuis un siècle et demi à grands renforts de dictatures, de polices politiques et de camps de rééducation, n’est malheureusement pas une utopie.
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09:10 Publié dans libre pensée | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : révolution, démocratie, égalité, godin, familistère, guise