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12/04/2011

Un spectre hante le monde: le peuple

 

 

 Hier, nos penseurs planifiaient l’avenir, les philosophes édifiaient des systèmes, les prolétaires briseraient leurs chaînes. Du passé, l’Internationale faisait table rase, mes parents qui travaillaient tous les deux emménageaient dans un pavillon tout neuf de quatre pièces avec sous-sol et des hommes plantaient le leur, étoilé, sur la lune. De grands poètes nous accompagnaient à la guitare, ils chantaient l’amour, la liberté, nous nous moquions des religions et de la morale bourgeoise.  

 Hier, nous avancions en chantant sur les sentiers battus, débroussaillés par des idoles. Oui, nous croyions aux idoles mais il ne fallait pas le dire car nous vivions le crépuscule des dieux, nous franchissions les montagnes car la foi les soulève, mais c’était une bonne foi, saine, débarrassée de sa coquille, une foi nue, révolutionnaire, même pas une foi en l’homme, car en ce temps-là il y avait aussi les femmes. Elles étaient l’avenir de l’homme. 

 Hier nous croyions aux idoles, les vraies de vraies, celles qui n’y croyaient pas elles-mêmes et qui nous persuadaient de ne plus y croire. Le présent leur donne raison. 

 Avec le temps, les penseurs sont rentrés dans leur trou. Les philosophes bafouillent. Les prolétaires sont au bout du monde, même les enfants. La banque mondiale fait table rase des conquêtes ouvrières. Le pavillon de mes parents est toujours là. L’autre, l’étoilé, est resté sur la lune, planté. Quand une voiture occupée par des jeunes me croise sur la route, c’est au son du tambour. On ne chante plus, on rape. Ce sont des cris de guerre. Et les voitures qui brûlent sont celles des travailleurs. 

 Avec le temps, la foi est rentrée dans sa coquille. La calotte est de retour, avec son cortège d’ignorance, d’intolérance, de violence et de femmes humiliées, avec ses mises à l’index, ses foules en prière, ses fichus et ses robes noires. Des jeunes bourrés de compétence et méritants sont condamnés au chômage après avoir subi des entretiens interminables et tenté sans succès de répondre à des questionnaires idiots. D’autres sans scrupules gagnent des millions en vendant du poison. D’autres en shootant dans un ballon et encore pas toujours. Des politiciens qui parlent au nom du peuple n’ont connu la condition ouvrière que par ouï-dire. Des enseignants s’adaptent aux préjugés de l’auditoire et évitent les sujets qui fâchent. 

 Et pourtant ! Les événements de la fin du siècle étaient riches d’espérance. La décolonisation, la mort des « guides », la fin des totalitarismes, la chute du mur de Berlin, la reconquête des libertés à l’est, le réveil de la démocratie en Amérique du sud, l’élargissement, l’unification et la consolidation de la paix en Europe, la libération de la femme, l’amélioration des conditions de travail, l’élévation du niveau de vie, les progrès de la médecine étaient autant de raisons de croire en un avenir meilleur.  

 Et voilà qu’un spectre hante le monde : le spectre de la mondialisation. On espérait l’Internationale, en voilà une autre, car mieux et plus vite que les prolétaires, les capitalistes se sont approprié la planète en dilapidant les richesses. Loin d’être une union entre les hommes, elle les oppose, jette à la rue des millions de travailleurs en occident, en surexploitant ceux des autres continents. Ainsi, renaissent peu à peu les sentiments nationalistes, le repli sur soi, la haine de l’autre. Il fallait que les peuples s’unissent, les puissants de ce monde ont réussi à rétablir entre eux la concurrence. Pire encore, avec le désespoir reviennent les croyances et vieux démons. Sectes et religions reprennent du poil de la bête. Xénophobie et antisémitisme aussi. 

 Le hic, c’est que la communication aussi est mondialisée. Il était facile naguère à un régime totalitaire d’enfermer un peuple entre quatre murs. Les pires horreurs ont pu être ignorées de l’opinion mondiale. Oui, je l’accorde, avec la complicité de ceux qui ne veulent jamais rien voir ni rien entendre. Mais aujourd’hui, à l’époque des satellites et d’Internet, les dictatures sont en souffrance. Rappelez-vous le rôle du transistor en Algérie : de la préhistoire ! Maintenant les dissidents s’adressent au monde entier. Les insurgés communiquent par SMS. Des photographies de manifestations encouragent ceux qui ne manifestent pas encore. Des pétitions circulent en temps réel sur les écrans de petits appareils incontrôlables.  

 Les peuples se soulèvent. Une lame de fond. Des dictatures s’effondrent, les tyrans s’enfuient, des millions de gens s’informent, se rassemblent, discutent, s’expriment, manifestent, revendiquent. Certes, l’histoire nous enseigne que les mouvements de foule n’ont pas toujours produit l’effet attendu, qu’ils ont même enfanté des systèmes totalitaires. Faut-il pour autant bouder notre plaisir de voir destituer des monarques ? Dans ce climat morose où l’on respirait mal, une fenêtre s’est ouverte, rappelant aux hommes, tous les hommes, qu’ils sont maîtres de leur destin. 

 

§

 

09/04/2011

On appelle l'Occident à l'aide. Dont acte.

 

 

 Les peuples se soulèvent. Une lame de fond. Des dictatures s’effondrent, les tyrans s’enfuient, des millions de gens s’informent, se rassemblent, discutent, s’expriment, manifestent, revendiquent. Certes, l’histoire nous enseigne que les mouvements de foule n’ont pas toujours produit l’effet attendu, qu’ils ont même enfanté des systèmes totalitaires. Faut-il pour autant bouder notre plaisir de voir destituer des monarques ? Il faut croire en la vigilance des insurgés. Ils sauront mettre de côté les usurpateurs, s’il y en a.  

 S’il y en a. Car jamais on n’entend d’appel à la guerre, pas la moindre trace d’intolérance ou de fanatisme parmi les revendications des manifestants. Mais une aspiration à la liberté, aux libertés, à des constitutions, à la démocratie. Un rejet sans appel de la corruption, du détournement des richesses, des systèmes oligarchiques, népotiques.  

 Pour chasser les despotes, on appelle l’Occident à l’aide. Traditionnellement coupable de tous les maux, le monde libre prend quelques responsabilités, volant au secours d’un peuple révolté mais désarmé. Et ceux qui trouvent à redire, clamant que « c’est au peuple lui-même de décider de son avenir » (sous les bombardements de la dictature…) devront expliquer au monde le bien-fondé de leur pacifisme. Les mêmes auraient sans doute crié « A bas la guerre ! » le 06 juin 1944 quand les alliés au prix de milliers de victimes se préparaient à libérer l’Europe du nazisme.  

 Certes l’entreprise est dangereuse, surtout connaissant les méthodes de l’adversaire qui, lui, n’a de comptes à rendre à personne, avec des médias aux ordres, et des armes lourdes qu’il n’hésite pas à utiliser contre les populations civiles. L’entreprise est dangereuse aussi, rappelant –bien que je ne l’espère pas, mais alors pas du tout- le soutien apporté par les Américains et d’autres démocrates dont j’étais à l’époque, aux insurgés afghans dans leur combat contre l’occupant soviétique. Insurgés qui se révèleront plus tard être les pires ennemis du monde libre.  

 Je poserai le problème autrement. Si un devin avait prédit la Terreur, le peuple se serait-il lancé dans l’aventure révolutionnaire ? Si les esprits russes éclairés, les socialistes, les démocrates avaient pu prévoir l’enfer stalinien, ils se seraient bien contentés d’un régime parlementaire. Mais les devins n’existent pas et, n’en déplaise aux idéologues dont les pistes mènent aux pires catastrophes, l’histoire n’est jamais écrite par avance. Ce sont les hommes qui font l’histoire, et bien heureusement parfois, les peuples. Ne boudons pas notre plaisir de voir destituer des monarques. 

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30/03/2011

La propagation d'une religion justifie-t-elle qu'on change de république ?

 

 

 Les uns ne veulent pas débattre, car pour eux la cause est entendue : au nom du multiculturalisme, comme on accommode un gigot à l’ail, il faut accommoder la France aux circonstances, il faut s’accommoder de tout. Si cinq millions de français croyaient que Jupiter déclenche les tempêtes, il faudrait lui élever un temple.  

 Les autres veulent débattre. Mais de quoi ? Si ce n’est pour remettre en cause la loi. La propagation d’une religion justifie-t-elle qu’on change de république ? Et débattre avec qui ? Des succédanés d’inquisiteurs médiévaux ? Des retardés mentaux qui croient que l’homme est apparu par la grâce d’un Saint Esprit il y a cinq mille ans, et la femme quelques minutes après ? Des individus qui –parvenus au pouvoir- tirent sur tout ce qui bouge, lancent des fatwas contre les dissidents, fouettent et pendent, interdisent les cultes autres que le leur, voilent et sous-traitent femmes et filles au nom de paroles marmonnées par un ange ? 

 Ce n’est pas aux religieux de définir ce qui est laïque et ce qui ne l’est pas. Les républicains de la troisième république l’avaient bien compris. Mais on oublie vite, et la calotte redresse la tête. A trop jouer les bateleurs, au lieu d’un débat, on risque d’accorder à l’adversaire une raison d’être, une honorabilité.  

 A l’adresse des bien pensants : mes propos ne mettent nullement en cause les fidèles. Encore que, on peut se demander parfois… Ce ne sont pas tellement les hommes qui sont en cause, que le troupeau dans lequel ils ont tendance à se complaire. Et de voir ces milliers de postérieurs rangés comme les oignons en travers d’une rue de la capitale peut amener d’honnêtes citoyens à préférer l’application stricte de la loi à un hypothétique débat. 

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bateleur, euse n. Vieilli Personne qui, en plein air, amuse le public par des tours d’adresse, de passe-passe, mêlés de pitreries.

 © Hachette Multimédia / Hachette Livre, 2001