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19/07/2010

Branle-bas de combat dans la bibliothèque

 

 Nuit blanche. J’ai sommeillé jusqu’aux environs de minuit, sans pouvoir fermer l’œil : j’entendais des chuchotements. Comme j’étais à demi conscient, ces bruits m’énervaient mais ne me tourmentaient pas. Puis je me mis à penser. Depuis des années nos enfants avaient quitté le domicile familial. Mon épouse regardait une émission à l’autre bout de la maison, de toute façon, elle ne parle jamais toute seule. C’est donc l’inquiétude qui me mit en éveil. Des personnes parlaient dans la pièce à côté.

 

 Bien que prononcés à mi-voix, et assourdis par la cloison, les premiers mots que je perçus étaient latins. « Respondeo dicendum ». « Ad primum sic proceditur ». Personne ne s’était jamais exprimé en latin dans cette maison. Rêvais-je ? Pas du tout. Puis quelqu’un se mit à parler en français. C’était susurré, à peine audible. Puis, un autre (encore une voix d’homme) lui répondit, mais cette voix semblait venir de plus haut, de l’étage, de plus haut encore, du grenier ? Elle s’exprimait comme si elle lisait un livre, en une langue, comment dire, religieuse :

 

 « Le Seigneur l’a engagé dans un rude combat, afin qu’il remportât la victoire ».

 

 Fier, le premier se rengorgeait et tentait avec peine de reprendre son discours, sans succès. Il dut se taire car, et voici le premier événement incroyable de cette folle nuit, un chœur, oui je dis bien un chœur entonna un chant de louanges à l’adresse de notre homme.

 

Joyeux de cœurs et de visages,

Chantons un triomphe si beau !

De l’erreur ont fui les nuages,

Aux rayons d’un soleil nouveau.

 

Oh Thomas, Saint d’entre les Saints

Lumière de l’Eglise militante

Oh Thomas, Saint d’entre les Saints

Ange exterminateur des hérésies !

 

 J’étais assis dans mon lit, je tremblais de tout mon corps, le chant venait de la bibliothèque. D’un coup, je compris ce qui se passait. Voyons, Thomas, Thomas d’Aquin… ce livre que je venais d’acquérir, une oeuvre dédiée à la jeunesse du Révérend Père des Frères Prêcheurs Charles-Anatole Joyau, une somme consacrée à Saint Thomas d’Aquin, imprimatur Lugduni, Die 13 Julii 1887. Ce n’est pas le genre d’ouvrage qui vous est vendu avec un CD audio, interview de l’auteur, chant d’accompagnement et bonus. Il fallait me rendre à l’évidence. J’étais, aux premières loges, témoin d’un phénomène paranormal. Je sais que personne ne va me croire, j’en connais même que cette aventure fera rire, peu importe, je rapporte ce que j’ai vécu. Le monde s’ébaubit naguère à l’écoute de témoignages sur des lieux miraculeux où apparurent des êtres surnaturels. Les plus hautes autorités religieuses y ont construit des monuments et organisé des pèlerinages. Pourquoi n’aurais-je pas moi-même le droit d’apporter mon grain de sel, de plus tout à fait laïque, comme je l’appris par la suite ?

 

 Qu’un Saint déclamât de l’autre côté du mur n’apaisait nullement mes craintes. Par nature, la bravoure n’est pas ma première qualité, et les hommes d’église n’ont jamais été pour me rassurer, leur silhouette, leur démarche, leur habit, le ton de leur voix, leur façon de me regarder, toutes ces choses, depuis mon plus jeune âge, provoquent chez moi dégoût et répulsion. C’est idiot, c’est comme ça, je n’y peux rien. Pas plus que je ne peux vaincre ma peur des araignées, je m’évanouis à la seule vue d’une goutte de sang, alors pensez, quand tout jeune encore, le jeudi après-midi, c’était mon tour de lire quelques versets de la Bible ou des Evangiles, que je devais, à haute voix clairement et distinctement relater des atrocités présentées comme des prouesses car voulues et commandées par un dieu, cela ne m’incitait pas à approfondir la chose religieuse. Et tous ces grands et petits maîtres qui exposent depuis des siècles dans les églises sous tous les angles et dans le moindre détail en cinq mètres sur trois toutes les souffrances et tortures que des hommes ont infligées à d’autres hommes, ah ça, on peut toujours s’indigner que des films d’horreur soient proposés à des petits enfants aux heures de grande écoute à la télévision, quand depuis les siècles des siècles, on leur présente aux murs des églises une tête ensanglantée sur un plateau, un homme aux mains et aux pieds cloués sur une croix, pendant qu’un soldat lui perce le ventre de sa lance, le sang giclant jusqu’au sol.

  

 J’étais assis dans mon lit, je tremblais de tout mon corps. Thomas parlait. Il s’enflammait. Je ne le voyais pas (une cloison nous séparait), mais je l’imaginais brandir les quatre évangiles, fulminant contre l’hérésie, les Fraticelles et les Béguins, les Manichéens et les Gentils. Alors d’autres voix s’élevèrent. Le ton monta. Prenant mon courage à deux mains, je m’écriai…

 

 Pourquoi mentir ? Du courage ? Pas du tout. Si j’ai crié, c’était pour conjurer ma peur, comme les petits enfants qui parlent fort pour affronter l’obscurité.

 

- NON,  MAIS  VOUS  ALLEZ  BIENTOT  VOUS  TAIRE ?

 

Le seul résultat fut qu’un autre se mit de la partie. Un philosophe des temps nouveaux, un Lord. Il ne trouva rien de mieux à faire que d’invectiver Thomas, couvrant à peine un sermon qui déclinait en français, grec et latin tout le savoir d’Aristote, de Paul et d’Augustin, puis profitant d’une respiration du saint, sur un ton professoral, exposait pourquoi il n’était pas chrétien, affirmant qu’il était aussi convaincu de la nocivité des religions que de leur fausseté ! C’en était trop. Thomas se mit à hurler. Ma femme accourut dans la chambre, pâle comme la mort. Nous étions tous les deux cloués sur le lit, muets de stupeur. Mais la chose était tellement étrange que pas une seconde nous ne pensâmes alerter la police. En outre, il aurait fallu sortir de la pièce pour atteindre le téléphone dans la grande salle. En arrivant, elle avait claqué la porte derrière elle, il n’était pas question de la rouvrir. 

 

 Non seulement le ton montait à côté, mais les portes vitrées de la bibliothèque se mirent à brinquebaler. Thomas hurlait, Russell dissertait, imperturbable. Il prenait l’avantage, au point qu’il se mit à rire. Cela nous fit du bien, la peur nous abandonnait, et nous prêtions l’oreille aux propos des combattants. Russell en son avantage n’avait que peu de mérite. Car il parlait de choses que Thomas ne pouvait pas savoir : la condamnation par l’Eglise du contrôle des naissances qui, d’après lui aurait permis de vaincre misère et famine dans le monde. Il rappelait les guerres de religion, le fanatisme impliqué par la rigidité des dogmes, mais aussi il abordait des questions que Thomas pouvait savoir : il s’attaquait à l’idée bien catholique que l’existence de Dieu est nécessaire pour introduire la justice en ce monde.

 

 Le Docteur angélique, Prince des théologiens, Ange de l’école et Patron de toutes les écoles catholiques écoutait. Un moment la maison tout entière fut plongée dans le plus surprenant silence. Puis, impérial, Bertrand Russell, athée parmi les athées, mécréant déclaré et fier de l’être, je ne le voyais pas mais je devinais son sourire, déclama :

 

-         Mais oui voyons, il faut qu’il y ait un dieu, un paradis et un enfer pour que la justice règne.

 

Ce diable de Russell marqua un temps.

 

-         …Pour que la justice règne…à la longue ! Oui à la longue, vous proclamez que les derniers seront les premiers, plus tard, dans l’autre monde. Mais la ménagère qui voit des oranges avariées sur le haut du panier, ne suppose pas que pour rétablir l’équilibre, celles d’en dessous seront saines et fraîches. Il y a gros à parier que ces dernières seront aussi avariées que les premières. Injustice ici-bas. Pourquoi pas au-delà…si encore il y a un au-delà, mon cher Thomas.

 

On entendit un claquement sourd, un livre se refermait (1).

 

 Thomas maugréait. L’argument du contrôle des naissances l’avait interloqué. Peu à peu il reprit le dessus. Russell parti, il restait seul en scène. Il en voulait au monde entier, il fulminait contre Averroès qui n’avait rien compris à Aristote et qui soutenait l’opinion insensée d’une intelligence unique existant dans l’univers et dont les âmes individuelles n’étaient que les modifications ou des manifestations diverses. Un tel système favorisait les passions et attaquait la vertu. Un condamné à mort n’avait-il pas déclaré, refusant l’assistance d’un prêtre :

 

« Si l’âme de Saint Pierre est sauvée, la mienne le sera pareillement, car, n’ayant qu’un même esprit, nous ne devons avoir qu’une même fin. »

 

Ce furent, cette nuit-là, les derniers propos sensés de Thomas. Ce que de lui nous entendîmes ensuite fut plus crié que dit, il s’en prit à la doctrine pestilentielle de ceux qui veulent empêcher l’entrée en religion, il mit les grecs, les Arméniens et les Sarrasins au rang des accusés. Sans oublier le malheureux Marc d’Ephèse qui en mourut de honte et de chagrin. Il marmonna encore un peu, puis se tut. Il avait senti tout à coup dans sa bouche une excroissance fort gênante pour la parole. Aussitôt Paul de Tarse, apôtre des gentils, tel Lazare ébouriffé soulevant le couvercle de son tombeau, Saint Paul donc, Dieu ait son âme, surgissant de la Sainte Bible (je la range près d’Augustin et Thomas d’Aquin) interrompant sur le champ la lettre qu’il était en train d’écrire à des Mécréants de son Epoque, s’efforça de rassurer le Docteur angélique. Il était trop tard pour mander un chirurgien, lui dit-il, mais il serait facile de prévenir demain matin les membres de l’Université de l’accident qui rend toute argumentation impossible.

 

-         Je ne vois d’autre ressource que de m’abandonner à la providence de Dieu. 

 

rétorqua le patron des écoles catholiques. Puis ce fut un choc sur le parquet. Nous sursautâmes. Thomas d’Aquin, à genoux dans la bibliothèque, était en oraison. Le calme revint dans la pièce. Les vitrines brinquebalèrent. Le saint avait regagné son livre.

 

 Une douce voix, telle un parfum se répandit alors dans la maison. Cette voix je la connaissais, l’ayant une fois entendue, celle d’un professeur de philosophie, monsieur Parisot. Elle semblait venir de partout, d’en haut, d’en bas, elle traversait les murs. Instantanément, l’image de cet homme me revint en mémoire, ses allées et venues sur l’estrade de bois, il s’arrêtait, la classe était plongée dans le silence, d’ailleurs la classe n’existait plus, le groupe n’existait plus, chacun se trouvait face à lui-même, plongé dans ses pensées, le silence durait parfois longtemps. Puis les mots –jamais compliqués- retrouvaient leur juste place, près des idées. Rien n’était jeté en l’air, tout était pesé, examiné, vérifié. Et si parfois, devant tant de sérénité notre sang d’adolescents ne faisait qu’un tour, et que l’une ou l’un d’entre nous, n’en pouvant plus d’être mis à l’épreuve d’une sagesse que nous croyions d’un autre âge, se levait le cheveu en bataille pour lancer à Socrate, Epictète, Descartes, Pascal ou Kierkegaard une salve à la Paul Nizan ou pire, digne du plus inexpérimenté militant de base, du genre :

 

- Tout ça, ce sont des mots, mais qu’ont-ils fait, tous ces grands sages, qu’ont-ils fait, dans les actes pour soulager la souffrance humaine ?

 

Le professeur regardait tour à tour chacun de nous dans les yeux, puis reprenait sa course sur l’estrade. Il s’arrêtait à nouveau.

 

-         Ce n’est pas assez que Socrate meure en restant fidèle à ses idées, que Descartes s’exile pour poursuivre sa recherche du principe des choses, que d’autres, fuyant les vices et les passions expriment leur foi en l’homme, mais je retiens cette idée d’Epictète que le bien est l’enfant du jugement, que le mal et la souffrance s’expliquent par l’ignorance. C’est pourquoi mon cher, il nous faut philosopher.

 

Il nous disait aussi que toute la philosophie n’était pas dans les livres, qu’elle était une façon de vivre, une manière d’être, et qu’elle nous apprenait à ne pas confondre action et agitation. 

 

 Comme ces images d’école me revenaient en mémoire, cette nuit, un Sage avait longtemps, très longtemps laissé les savants -docteurs de la foi ou d’incroyance- diffuser leur savoir. La douce voix se répandait dans la maison.

 

-  Je ne puis m’empêcher de rire quand j’écoute ces illustres personnages : ils bégayent plutôt qu’ils ne parlent ; ils ne se réputent tout à fait théologiens, que lorsqu’ils savent parfaitement le barbare et le vilain jargon : il n’y a que ceux du métier qui puissent les entendre ; mais ils en font gloire, disant arrogamment qu’ils ne parlent pas pour le vulgaire profane. C’est, ajoutent-ils, c’est avilir la dignité de la Sainte Ecriture, de s’assujettir aux règles de la grammaire… Admirons la majesté des théologiens ! A eux seuls permis de faire des fautes dans le langage et il n’y a tout au plus que la canaille, qui ait droit de leur disputer cette prérogative. 

 

 Sur ces mots, Erasme regagna son livre (2), discrètement car celui-ci ne claque pas quand on le referme, lu et relu, aux pages jaunies et parfois déchirées, seulement cousu, à peine protégé d’une couverture souple.

 

 Nous étions plongés dans nos rêveries, somnolents, sous le coup de la fatigue due à ces heures sans repos, quand le radio-réveil se déclencha, il était 6 heures. Instantanément, à côté, les philosophes regagnèrent leurs œuvres. Silence de mort dans la bibliothèque.

 

 France-info, premier flash de la matinée. La présentatrice laissa la parole à un libre penseur qui expliqua dans un langage clair que les dogmes –religieux ou politiques- représentaient un danger pour l’humanité. Qu’il fallait armer la jeunesse contre l’obscurantisme qui risquait de nous ramener des siècles en arrière. Qu’il fallait développer l’enseignement de l’histoire, de la philosophie et des sciences dans les écoles et les lycées. Qu’il était urgent d’appliquer sans défaillir la loi de séparation des églises et de l’état, que ce dernier et les administrations publiques devaient cesser de financer la construction d’édifices religieux…

 

 Mais non, je plaisante !!!  La présentatrice nous annonça l’inauguration en grandes pompes et par le premier ministre de la mosquée d’Argenteuil. 

 

§ 

 

(1)     Bertrand Russell.- Pourquoi je ne suis pas chrétien, Guildes Associées SA, Genève 1960 ; 

(2)     Erasme.- L’éloge de la folie, Editions Verda ;

14:01 Publié dans étrange | Lien permanent | Commentaires (0)

08/05/2010

Piqûre de rappel pour marxistes ayant la mémoire courte

 

Candidate présentée voilée aux élections régionales,

silence sur la burqa,

silence sur la prolifération des mosquées,

silence sur les prières dans l'espace public,

silence sur le régime policier des ayatollahs,

silence sur les atteintes aux droits des femmes dans les pays musulmans,

solidarité affichée avec le Hamas et le Hezbollah,

 

bizarrement l'extrême gauche ne s'émeut des atteintes à la laïcité que lorsqu'elles sont le fait de l'église catholique. Tiens donc ! Les religions ne seraient-elles pas toutes des obstacles à l'émancipation de l'humanité ?

 

 Ces révolutionnaires qui -encore récemment- brandissaient le petit livre rouge, les œuvres de Lénine ou de Trotsky, certains même nous donnant des leçons de marxisme, semblent avoir la mémoire courte. C'est d'autant plus inexcusable, que je suis bien certain que traînent encore sur leurs étagères quelques livres du bon vieux Marx qui, sur la question religieuse était on ne peut plus clair. C'est pourquoi l'idée m'est venue de retourner dans mes livres pour m'assurer que je ne rêvais pas, que l'esprit des Lumières avait bien éclairé leurs écrits, qu'ils avaient affronté en philosophes matérialistes qu'ils étaient, la question religieuse.

 

 Malheureusement, je n'ai pu mettre la main sur le livre en question, « Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel », il a probablement trouvé refuge sur une étagère chez un ancien compagnon d'idée, tant mieux pour lui, qu'il en fasse bon usage. Je me suis rabattu sur la version anglaise, la seule dont je dispose, j'ai donc dû traduire, mais n'étant pas un spécialiste de cette langue, je recopie ici d'abord le texte en anglais, extrait de : « Marx § Engels.- Basic writings on Politics and Philosophy, edited by Lewis S.Feuer, New York 1959"

 

 

 "Man makes religion, religion does not make man. In other words, religion is the self-consciousness and self-feeling of man, who either has not yet found himself or has already lost himself again. But man is no abstract being, squatting outside the world. Man is the world of man, the state, society. This state, this society produce religion, a perverted world consciousness, because they are a perverted world. Religion is the general theory of that world, its encyclopaedic compendium, its logic in a popular form, its spiritualistic point d'honneur, its enthusiasm, its moral sanction, its solemn completion, its universal ground for consolation and justification. It is the fantastic realization of the human essence because the human essence has no true reality. The struggle against religion is therefore mediately the fight against the other world, of which religion is the spiritual aroma.

 Religious distress is at the same time the expression of real distress and the protest against real distress. Religion is the sigh of the oppressed creature, the heart of the heartless world, just as it is the spirit of an unspiritual situation. It is the opium of the people.

 The abolition of religion as the illusory happiness of the people is required for their real happiness. The demand to give up the illusions about its condition is the demand to give up a condition which needs illusions. The criticism of religion is therefore in embryo the criticism of the vale of woe, the halo of which is religion."

 

 L'homme fait la religion, la religion ne fait pas l'homme. En d'autres termes, la religion est la conscience de soi et le sentiment que l'homme a de lui-même, quand celui-ci ne s'est pas encore trouvé, ou s'est déjà à nouveau perdu. Mais l'homme n'est pas un être abstrait, hors du monde. L'homme est le monde de l'homme, l'état, la société. Cet état, cette société produisent la religion, conscience d'un monde perverti (1), parce qu'ils sont un monde perverti. La religion est l'idée générale de ce monde, son abrégé encyclopédique, sa logique à destination du peuple, son sommet spirituel, son enthousiasme, sa sanction morale, son achèvement solennel, un espace universel propre à consoler et à justifier. C'est la réalisation fantastique de l'essence humaine précisément parce que l'essence humaine n'existe pas. La lutte contre la religion est par voie de conséquence le combat contre l'autre monde, duquel la religion est l'arôme spirituel.

 La détresse religieuse est à la fois l'expression d'une détresse réelle et la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de l'opprimé, le cœur d'un monde sans cœur, comme elle est l'esprit d'une situation dépourvue de toute spiritualité. Elle est l'opium du peuple.

 L'abolition de la religion comme bonheur illusoire du peuple est nécessaire pour accéder au bonheur réel. L'exigence d'en finir avec les illusions justifiant sa condition, c'est l'exigence de mettre fin à une condition qui a besoin de ces illusions. La critique de la religion est donc au cœur(2)  de la critique de la Vallée des larmes (3), dont la religion est le halo.

 

(fin de citation)

 

  • (1) ou inversé, ou renversé?
  • (2) mot à mot: à l'état embryonnaire;
  • (3) le monde réel, terrestre;

 

Ce n'est pas tous les jours que je suis amené à faire l'apologie du marxisme -je pense surtout aux applications qui en ont été faîtes-, mais là, chapeau. Ce sont des paroles de visionnaire. En relisant ces lignes, je ne peux m'empêcher de faire le rapport avec le rôle joué par les associations caritatives pratiquement toutes infiltrées (en Europe) par les églises chrétiennes, et qui par charité évitent au peuple de réclamer justice, je pense aussi à la doctrine sociale réactionnaire de l'Eglise, et bien sûr à la bêtise islamiste élevée, grâce à la complicité des gauches en Occident, au rang de religion respectable. Je vous renvoie aux propos de madame Buffet (communiste ?) qui, à propos du barbu polygame et des poursuites engagées, accusait le gouvernement d'opération politicienne, et souhaitait que les musulmans de France puissent pratiquer leur culte en paix.

 

§

01/05/2010

A quelques mètres de moi, dans cette bibliothèque

 Si vous cherchez les communistes, soulevez les tapis, fouillez les poubelles, suivez les caniveaux, mais si vous pensez que je dis cela parce que je les méprise à cause du score lamentable qui est le leur lors des consultations électorales, vous faîtes fausse route. Qu'un parti politique ne soulève l'enthousiasme que de deux ou trois pour cent des français n'est pas une preuve d'erreur ni de faiblesse. Il faut examiner aussi qui sont les français, par respect pour eux -dont je suis- j'éviterai de rappeler ce qu'en disait De Gaulle. Et puis, et puis, on a vu dans le passé des partis frôlant et même dépassant les 99% du corps électoral sans être pour autant des exemples à suivre. On a même vu des partis tellement appréciés par les électeurs qu'on ne leur opposait pas d'adversaire.

 

 Non, je ne me moque pas des communistes. Je dis seulement qu'ils sont tombés bien bas. Je vois, à quelques mètres de moi dans cette bibliothèque les œuvres de Marx et d'Engels. Dans toutes les éditions, celles de Moscou en langues étrangères (les yeux fermés je les reconnais à cause de l'odeur du papier, inimitable, ceux qui connaissent comprendront), Pléiade en papier bible, Editions Sociales, celles que je préfère, parce que c'est ma jeunesse, elles ont été lues et relues, annotées, soulignées, elles abritent même encore des marque-pages, simple bouts de papier que je redécouvre quarante ans après, sur lesquels j'avais inscrit des remarques, même des choses à ne pas oublier, le pain, la cartouche de gauloises bleues, l'heure et la date d'une réunion, le nombre de journaux vendus, les noms des contacts. A l'étage en dessous, il y a Lénine... bon je m'arrête là, ce n'est pas par crainte qu'un lecteur malveillant débarque chez moi une de ces nuits et me débarrasse de ces trésors. Je partage l'avis du poète qui dans les stances à un cambrioleur note avec satisfaction que le monte-en-l'air a laissé sa guitare en place. Les cambrioleurs s'en prennent rarement aux œuvres des pionniers du socialisme, ils préfèrent emporter les produits manufacturés du méchant capitalisme de monopole : bijoux, cartes de crédit...et autres babioles ayant valeur d'échange et prometteuses de plus-value.

 

 Mon pauvre Marx ! Tu n'es plus que poussière heureusement. Car ce que j'ai entendu hier a fait bondir l'admirateur de tes œuvres que je suis. Elle s'appelle Madame Buffet. Elle parle en ton nom, puisqu'elle est communiste. Elle a souhaité que les musulmans puissent pratiquer, dans notre pays, leur religion en paix. J'ai alors rouvert tes livres pour m'assurer que je ne rêvais pas ou que, tel le prophète au mont Hira, l'archange Gabriel ne me bredouillait pas les Révélations. Nulle part je n'ai vu que tu conseillais au peuple de fumer l'opium. De deux choses l'une. Ou bien les religions ne sont plus aujourd'hui ce qu'elles étaient : un moyen de pérenniser l'exploitation de l'homme par l'homme en laissant espérer au peuple un monde meilleur plus tard dans l'au-delà. Ou alors, les religions restent ce qu'elles étaient, ce sont les communistes qui ont rangé définitivement tes œuvres au placard, et qui sont entrés dans les Ordres. Ayant entendu il y a peu les propos d'un certain Ahmedinejad, un maître en son pays comme en religion, propos qui n'expriment pas immédiatement l'espoir d'un monde meilleur fait de liberté et d'amour, je penche pour cette deuxième hypothèse : le communisme n'est plus ce qu'il était du temps de Babeuf, des soulèvements populaires de 1848, de la Commune de Paris, et même du temps de Jaurès. Après Madame Buffet, le sieur Ramadan, un copain de Ahmedinejad, mais égaré en cette terre de mécréance qu'est la France, a répété -en gros, mais en serrant les dents- les propos de la camarade. Les totalitaires s'entendent entre eux, ils parlent la même langue.

 

 Vois-tu, Karl, je suis profondément triste. Car non content de disparaître de la surface du globe, l'idéal communiste a emporté avec lui l'espoir que tu as fait naître en moi comme à des millions d'autres, d'un monde meilleur. Avant, nous vivions en préparant l'avenir, et même plus, si l'on était à l'Est, en le construisant. Maintenant, nous restons interdits, sur place, bras ballants, ne sachant que faire, où porter notre regard. Le seul horizon qui nous fait encore rêver est celui du passé. Je parle pour moi. L'inconscient, l'imbécile que je fus. Car pour des millions d'autres le passé ne fut pas un rêve, mais un cauchemar. Et j'ai dû, moi l'enfant gâté, me frotter longtemps les yeux en lisant Une journée d'Ivan Denissovitch.

 

  Ma jeunesse, te souviens-tu Jeannot, à Andrésy sur la pente de l'Hautil, sous la tente dans ton jardin, aux premières chaleurs, je revenais de Paris avec une pile de brochures des Œuvres et je mets une majuscule. L'idéologie allemande, Travail salarié et capital, Les luttes de classes en France, Le manifeste du parti communiste... Un jour, tu m'as vu débarquer avec un gros pavé (trois ans avant 68 !), en papier celui-là, on est resté à le regarder, à essayer de comprendre les premières lignes de la préface. C'était L'anti-Dühring, et le sous-titre, Monsieur Dühring bouleverse la science. Nous n'étions pas si bêtes, j'étais en terminale, tu étais en seconde mon lascar, et quand on a sérieusement mis le nez dans le texte, on a compris plein de choses, notre premier contact avec le Grand, l'Immense Matérialisme Historique. Et nous riions ! Les autres, les profanes, s'ils nous avaient vus, nous auraient pris pour des fous. Te rappelles-tu de quoi nous riions ? De la façon dont Engels tournait en ridicule le pauvre mécanisme scientiste d'un monsieur qui n'avait rien compris à la dialectique. Mais alors vraiment rien compris. Et l'époque était passionnante pour une autre raison. Tout était clair. Les choses étaient blanches ou noires. Pas de demi-mesure. Pas d'hésitation, pas de doute, pas de oui mais. La classe ouvrière internationale avait déjà libéré des millions de kilomètres carrés. Les soviétiques construisaient la société future et s'apprêtaient à dépasser les USA dans tous les domaines, agriculture, industrie, et s'envolaient dans l'espace avec Gagarine, Titov, Valentina Terechkova, ils entraînaient avec eux la moitié de l'Europe. La Chine en mettait un coup aussi et on soupçonnait un frémissement en Afrique, en Amérique latine et en France où les mineurs en 63 avaient montré la voie à suivre.

 

 Où es-tu Jeannot, disparue, envolée jeunesse, veau, vache, cochon, couvée. Tout est perdu. « A pu » comme dit mon petit fils en écartant les bras quand il a consommé le contenu de son bol. Le vide. Zéro. Là-bas, le communisme c'était l'enfer. Ici, une morale d'esclave a envahi les rues, les écrans et les ondes. L'angélisme chrétien le plus éculé a réduit les derniers bastions de résistance et infiltré la gauche dans ses moindres recoins. Les masses populaires des villes et des campagnes restent scotchées devant le téléton, et donnent aux pauvres le peu qui leur reste. Les riches, quand ce n'est pas sur l'or, roulent des mécaniques. Ils sont socialistes, mais contrairement à leurs prédécesseurs, au lieu de faire l'histoire, ils la caressent dans le sens du courant. Ils ne sont pas les seuls, le flot est trop fort, impétueux, impossible à remonter. Et puis les autres arrivent, hyènes en tenue de camouflage, les envoyés d'Allah, ceux d'avant, d'il y a longtemps, d'avant les Lumières, avec leurs esclaves, leurs imams, leurs cagoules, leur violence, leur bêtise. D'ici je les vois rire. A la république blessée ils montrent déjà les crocs. Elle, fière, le sein nu, brandissant l'étendard, appelle à son secours. Marianne, Marianne, ne vois-tu rien venir ?

 

§