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12/05/2011

Silence on tourne, en rond

 

 Il y a un tel silence autour de moi, j’ai l’impression d’être transparent, de n’être rien du tout, vestige d’un temps dépassé, un idéaliste désenchanté. Quand on m’écoute c’est avec le sourire, ce sourire de ceux qui sont au courant de tout et qui ne savent rien ou pas grand-chose. Oui au courant de tout. D’un clic de souris magique les voilà transportés sur une planète où rien n’est dit en peu de mots. La réalité n’est plus dans la nature, mais en petit format sur des écrans tactiles. Photo loupée ? On en prend dix, il y en aura bien une de bonne. La seule chose réelle dans ce monde virtuel, c’est le temps. On est au courant de tout et de rien dans le millième de seconde. Surtout de rien. Car, et c’est vieux comme le monde, toutes les informations ne sont pas bonnes à diffuser. Il y a des choses que le peuple ne doit pas savoir. Et c’est pour son bien. Pour ne pas traumatiser inutilement. N’ayez pas peur, disait l’autre. Chut ! Pas de vagues, tout va bien se passer. Et la meilleure manière de dissimuler, c’est d’asséner sur nos têtes des masses d’infos, d’images, de vidéos, de clips, de pubs. Ordinateurs, téléphones et téléviseurs remplissent parfaitement ce rôle. Notez que cela est vrai aussi en sens inverse. Le jour où les dictatures de Chine, de Cuba ou d’Iran devront faire face à la rébellion, leurs impostures seront révélées sur la toile par les satellites, les révolutions en cours montrent le bon usage que les peuples en colère font des moyens modernes de communication. Seulement voilà, pour cela, il faut une révolution, sinon dans la rue au moins dans les esprits. Et sous la couette démocratique, il arrive qu’on s’endorme. Le danger, ce n’est pas tant les extrêmes que la lassitude. On somnole, on clique un coup ou deux, et on s’endort comme Gaston avec l’empreinte azertyuiop sur le nez.  

 J’ai l’impression d’un grand vide, d’une inculture dévastatrice qui prépare les gens à tout attraper, à tout gober. Les premiers à en profiter sont bien sûr les marchands d’espoir, religieux en tête, dans le désert ils sont les maîtres. En face, qu’est-ce qu’il y a ? Une démocratie exsangue qui survit par la force de l’habitude, sans maîtres, sans philosophes, sans volonté. Je rumine cette phrase de Stefan Zweig : 

  « …Il faut être convaincu pour convaincre, ressentir de l’enthousiasme pour entraîner les autres, et comment le trouver, de nos jours ! »  

 Je relis ce que je viens d’écrire. Ce n’est pas très gai. Descartes disait que celui qui a la jaunisse voit tout en jaune. Ce soir je vois tout en rouge. Ce n’est pas la rougeole, mais quand les choses pour soi ne vont pas comme on le voudrait, on projette sur le monde tout le malheur qui est à l’intérieur. Ams tram gram pic et pic et colegram, bour et bour et ratatam. Je n’existe plus. Je me retire. Je m’endors. 

 Je chante je chante soir et matin je chante sur mon chemin. Hier dans le train. Voilà qu’un groupe de jeunes, de banlieue très certainement étant données leurs lectures. Voilà qu’un groupe de jeunes, des beurs qui s’exprimaient dans un français impeccable. Voilà qu’un groupe de jeunes s’est levé comme un seul homme pour laisser les places assises à des personnes qui poireautaient debout dans le couloir. Celui qui s’est levé le premier pour me laisser la place voyant que je m’appuyais sur une canne, était plongé dans la quatrième méditation cartésienne, celle où le philosophe en robe de chambre et assis près du feu, perçoit clairement et distinctement la quasi certitude de son existence. Il était pour moi hors de question, en prenant sa place, d’interrompre la lecture de cet adolescent. Il insista. Mais si monsieur, je vous en prie ! Nous étions à deux doigts d’en venir aux mains quand le train stoppa. Finalement, tout s’est arrangé, l’altercation a pris fin sur le quai, pour reconnaître que, en avance sur son temps, Descartes, ayant l’intime conviction de son existence, osait, et ce fut un précédent  dans l’histoire de la philosophie, ne pas poser en préalable l’absolue certitude de l’existence de Dieu. Le conducteur du train, auquel l’importance du sujet débattu n’avait pas échappé, nous faisait quand même des petits signes, invitant ceux qui le souhaitaient à remonter en voiture. Une jolie fille tenant un bouquet de roses gravit élégamment les trois marches du wagon. Un passager blond aux yeux bleus, bien mis, Figaro sous le bras, ouvrit la fenêtre pour nous dire que rien ne pressait, qu’il avait encore toute la vie devant lui, avant d’adresser, le pouce levé, un clin d’œil amical au groupe de beurs complètement absorbés par la controverse philosophique. Dans le compartiment, une dame leva la main. Son vis-à-vis l’invita à s’exprimer. Elle demanda si cela ne dérangeât personne qu’elle adressât sur son portable un petit coucou à ses petits enfants qui étaient seuls et malades à la maison. Echangeant un prompt regard de compassion, les passagers sans aucune hésitation, donnèrent suite à sa requête.

 De retour à la maison, j’appris par la radio que le pays comptait encore un chômeur, qu’il vivait dans les montagnes à l’écart du monde et qu’il était très heureux comme ça. Le gouvernement avait décidé de doubler le montant du SMIC, la première secrétaire du parti socialiste fidèle à ses convictions, avait emménagé dans un HLM de la banlieue la plus animée de sa bonne ville de Lille. J’appris aussi que le peuple iranien occupait la rue, femmes en tête de manif en déshabillé coquin, que Bachar el Assad était traduit en justice, qu’un poète cubain dissident s’était vu décerner le prix Nobel, Castro prenant sa place en cellule. Suivait un long reportage sur l’invention du siècle : un savant qui ne pouvait être que français révélait sa découverte : faire tourner automobiles et industries à l’air pollué. Brevet déposé, à l’échelle du monde en quelques jours, par le truchement d’une réaction chimique miraculeuse, pots d’échappement et cheminées d’usine ne cracheraient plus que des fumerolles chargées d’un oxygène d’une pureté à couper le souffle. Certes, de temps en temps il faudrait repolluer l’air pour faire tourner l’économie, mais d’après le G8 cela ne poserait aucun problème, Chine et USA en tête, tout le monde ferait un effort. Mais de toutes ces nouvelles, celle qui me fit le plus plaisir, ce fut de voir renaître ceux qui me sont chers, tous mes amis et parents trop tôt disparus, les voilà qui reprenaient vie et s’agitaient autour de moi. Moi qui du coup reprenait goût à la vie. 

 C’est alors que des bruits de verre se firent entendre. C’était le camion poubelle.

19:54 Publié dans étrange | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : descartes, zweig, castro, assad, g8

25/04/2011

Piss Christ: liberté artistique à sens unique

 

 

 Un commando intégriste catholique a dégradé deux œuvres d’Andres Serrano, dont la plus célèbre : Piss Christ. 

 D’intégristes peut-on attendre autre chose que la violence ? Jusque là, rien d’étonnant.  

 La suite est plus surprenante. Un formidable élan de solidarité s’est manifesté dans les milieux influents : politique, culturel, religieux, médiatique. Un élan formidable qui a permis, en deux jours, d’accueillir à nouveau les visiteurs au musée d’art contemporain d’Avignon. De grands noms sont associés à cet élan. Bravo. 

 Il est toutefois dommage que ces personnalités vouées corps et âmes au salut de la liberté d’expression artistique ne se soient pas fait entendre quand Charlie Hebdo et Philippe Val furent conduits devant les tribunaux pour avoir reproduit des caricatures qui ridiculisaient les fondamentalistes islamistes.  

 On peut donc émerveiller en associant le Christ et l’urine, et scandaliser en montrant des barbares coiffés d’une bombe. Mais chuuuuuut ! Pas touche à l’islam.

25/03/2011

Papa, je te présente Ali, il est sans papiers

 Je me promène dans le sixième arrondissement. C’est mon quartier. Le latin. Il fait un peu frais ce matin, j’ai mis l’écharpe rouge, du plus bel effet sur mon manteau noir, et mon chapeau, à la Louis Aragon. De la poulaille partout dans les rues. La droite a mobilisé sa police contre les sans abri. La situation de ces pauvres est insupportable. D’ici j’entends les premiers échos de la manif’.  

Un-lo-ge-ment-pour-tous ! 

 Entièrement d’accord. Non mais de quel droit interdit-on à des êtres humains de se loger ? Qu’ils nous entendent, ces bourgeois bien au chaud dans leurs dix pièces des quartiers huppés ! D’accord j’en fais partie, mais moi j’ai le cœur à gauche. En 68, j’étais sur les barricades et chaque élection est l’occasion pour moi de faire barrage à la droite.  

 Un beau rassemblement. Des gens de tous horizons et de toutes les couleurs, comme je les aime. La voilà la belle diversité à la française. Allez-y les gars, un logement pour tous ! Mais oui, il y en a de la place dans nos campagnes, là-bas en province, pour des milliers de logements sociaux. D’autant qu’avec les jachères, de grandes surfaces sont disponibles. Et cela donnera du travail aux sans emploi. 

 Car le voilà le problème, la cause de tous les maux : le chômage. Inactivité, désespérance. Du grain à moudre pour l’extrême droite. J’ai une sainte horreur de ces gens-là. Ils sont la honte de la nation. Ils s’en prennent à ceux qui ne leur ressemblent pas : gens de couleur, musulmans… Ils disent qu’on n’a plus l’impression d’être en France, qu’il y a des prières dans les rues, que des femmes sans visage font peur aux enfants, que des cantines ne servent plus de jambon, mais où vont-ils chercher tout ça ? Je regarde autour de moi, j’observe que la France est restée égale à elle-même, calme, sereine, tricolore. Ils disent que la proportion des gens issus de l’immigration est telle dans les écoles, que le niveau scolaire baisse, que la délinquance et les trafics en tout genre se développent, que les enseignants sont dépassés, découragés. 

 Propagande, je vous dis, propagande ! Mes enfants n’ont aucun problème à l’école, il y a bien un ou deux garnements pour irriter le professeur de grec ancien, le fils de l’ambassadeur des émirats n’a pas rendu sa punition dans les délais et la fille du sénateur n’a pas éteint son téléphone portable. Vais-je pour autant hurler à une menace contre les lois de la république ?  

Un lo-ge-ment-pour-tous !

A-bas-les-dis-cri-mi-na-tions !

La-Franc’-c’est-black-blanc-beur !  

 Oui, parfaitement d’accord, le voilà bien le pays des droits de l’homme, la France qui ouvre ses portes, lieu de tous les échanges, de tous les mélanges, de toutes les cultures ! 

 Tiens mais c’est Marie-Ange là-bas sous la banderole… Hello, ma fille ! 

 Papa, je te présente Ali, il est sans papiers, il vient direct du Mali. Les fillettes qu’il tient par la main sont ses petites sœurs. Ses frères sont derrière en compagnie de la dame en noir qui porte un bébé sur son dos. Les cousins sont un peu éparpillés dans la manif’. Ils pourront s’installer chez nous provisoirement, en attendant de régulariser tout ça ?

  Tapage, bousculade, slogans hurlés par hauts parleurs ne nous ont pas permis de connaître la suite de l’histoire. Cet homme qui prêche accueil et tolérance n’a pas la chance de vivre dans le neuf trois. Il dispose d’un sept pièces quai des Grands Augustins en bord de Seine avec vue sur le Pont-neuf, d’une villa à Deauville et d’un yacht à Monaco. Ah ! Si toutes les grandes fortunes qui ont le cœur à gauche pouvaient partager l’art de vivre au pied des tours dans les cités !  

 Ce que je viens d’écrire est absurde. Car si ces gens vivaient dans les tours des cités, ils n’auraient pas le recul nécessaire pour juger objectivement de la situation. C’est pourquoi il est conforme à la logique que les politiciens observent la vie réelle en l’observant de loin, les yeux collés à des lunettes d’approche.