31/12/2011
Sauvons Sakineh !
Sakineh Mohammadi Ashtiani a été condamnée à mort par lapidation en 2006, pour des crimes qu’elle n’a pas commis.
Le jour de Noël, un responsable de la « justice » iranienne a annoncé que Sakineh pouvait être pendue, et vite.
L'année dernière, la pétition orchestrée par l'équipe de la revue La Règle du Jeu et par Jean-Baptiste Descroix-Vernier avait rassemblé plus de 170 000 signataires.
Nous devons, absolument, maintenir la pression.
Sakineh peut être assassinée à tout moment.
Visons, pour Sakineh, tous ensemble, un million de signatures.
Que chacun d'entre vous relaie ce message à tous ses contacts.
Je vous renvoie aux deux sites qui sont à l’origine de ce combat, pour la signature de la pétition :
18:33 Publié dans portraits | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : sakineh, pétition, iran
21/12/2011
Hommage à Vaclav Havel
Une coïncidence troublante. Le lendemain du décès d’un homme admirable, combattant inlassable pour la liberté et la démocratie, voilà qu’un tyran de la pire espèce vient à mourir. Il paraît qu’un peuple le pleure. Comédie. Propagande. Pauvres gens privés de tout, des libertés bien sûr, mais d’un bien être minimum, qui se cachent pour savoir, et qui savent surtout, car l’état totalitaire les y oblige : faire semblant.
Les tchèques eux ne font pas semblant. Ils pleurent la disparition d’un homme courageux qui a osé, dans les pires conditions, mettre en cause l’ordre imposé. Un combat qu’il n’a cessé de perdre, car en ces temps les résistants étaient bien seuls. D’ailleurs en France aussi, ceux qui ne cachaient pas leur joie de voir le peuple tchèque connaître enfin le printemps étaient regardés avec méfiance. Mais pourquoi donc ? Parce que c’était s'accorder le droit de regard sur le système communiste, mettre en doute les vérités assénées tous les matins à la une de l’Humanité, mettre en cause la sainte union de la gauche. Les religieux ont un mot pour désigner cet écart, outrage au dogme : blasphème.
Ce combat pour la démocratie Vaclav Havel n’a cessé de le perdre, jusqu’au jour où les initiateurs de la Charte 77 – un manifeste pour le respect des droits de l’homme - trouvèrent un écho suffisant dans le pays pour provoquer l’implosion du système, un système qui ne s’appuyait sur rien d’autre que le mensonge, la violence, et la menace des chars soviétiques.
Nous étions à Prague quand le misérable Husak envoyé de Moscou faisait régner l’ordre. Il nous fut impossible de rester même un court instant au centre de la place Jan Hus (1), à l’endroit mémorable où Jan Palach s’était immolé le 16 janvier 1969. Sacrifice symbolique d’un jeune homme ivre de liberté quand toutes les questions, les demandes de réforme restent sans réponse. Des policiers en civil étaient partout, mais vite identifiables car les gens ordinaires eux ne flânaient pas, ils allaient à leurs occupations.
La démocratie, les Tchèques et les Slovaques la doivent à eux-mêmes, certes, et aussi à Vaclav Havel et à ces intellectuels, ces artistes, ces travailleurs qui affrontèrent la force aveugle du grand frère soviétique en août 1968, la démocratie ils la doivent aussi à Alexandre Dubcek ce diplomate courageux qui tenta l’impossible pour faire fléchir les gardiens du régime.
Avec la mort de cet homme une page se tourne. Le printemps de Prague restera dans les mémoires, ce fut un rayon de soleil qui éclaira un court instant le monde. Un rayon de soleil aussi dans ma vie. J’ai cru qu’on allait en finir avec le mensonge, qu’une société enfin humaine allait voir le jour.
Combien d’années a-t-il fallu, combien de victimes, de désespoir et de souffrance pour qu’enfin la bête immonde rende l’âme ! Combien de mensonges a-t-il fallu supporter, mais surtout le silence, ce silence coupable qu’on vous intimait de respecter en vous laissant croire que le communisme était une chance pour le monde du travail, que bon gré mal gré, au-delà des procès truqués, des aveux extorqués, des camps et des hôpitaux psychiatriques, quelque chose de nouveau s’édifiait, qu’il fallait laisser le temps au temps. Ces gens-là sont muets aujourd’hui, ou ils ont perdu la mémoire, ou ils ont d’autres chats à fouetter, ou d’autres ambitions. Ce sont des petits, des tout petits. Je les méprise.
Hus, Palach, Havel. Des hommes. Des grands hommes. De ceux qui font l’histoire.
§
(1) Jan Hus, recteur de l’université de Prague était un théologien réformateur, qui n’hésita pas à critiquer le dogme catholique. Il fut excommunié, condamné pour hérésie, brûlé vif en 1415. Pour le peuple tchèque, il est un symbole, celui de la résistance à l’oppression.
11:21 Publié dans portraits | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : vaclav havel, tchéquie, tchékoslovaquie, communisme, charte 77
24/11/2011
Cette race d'humains au courant de tout
Nous visitions le musée de Descartes lorsque je tombai sur cette phrase d’Habermas:
« La force libératrice de la réflexion ne peut être remplacée par un déploiement de savoir techniquement utilisable. »
Vous rendez-vous compte ? Cela fut écrit en 1919. Je n’en changerai pas un mot aujourd’hui. La technique qui était un art est devenu un procédé, une façon de faire, un mode de production. Elle nous apporte un tel confort, elle rend la vie tellement plus facile qu’il serait fallacieux de s’en prendre à elle, de clamer son inutilité –tout en profitant secrètement de ses avantages. Je suis à l’instant même assis devant un écran sur lequel apparaît ce que j’écris, disparaît instantanément ce que j’efface, écran planté sur un appareil qui garde en mémoire et pour l’éternité la quintessence de mes pensées brumeuses il est 8 heures du matin. Pour l’éternité ? C’est encore à prouver et ce n’est pas demain la veille, par définition.
Nous sommes envahis par la technique. Et le plus grave, c’est qu’on la confond avec le progrès. On oublie facilement qu’elle n’est qu’un moyen. Une commodité permettant de parvenir mieux et plus vite à ses fins. Si c’est pour libérer des personnes de l’esclavage domestique, si elle permet de secourir plus vite et jusqu’au bout de la terre des populations en péril, si c’est pour soulager, soigner, éduquer, certes. Mais elle permet aussi bien d’autres choses négatives.
Le déploiement du savoir, il est partout. De quelque côté que je me tourne, je rencontre des gens qui savent tout sur tout. Sur les taux de remboursement, les déclarations à faire aux assurances, le choix d’un avocat, s’il fera beau demain, si la crise va s’aggraver, s’il y a un dieu, si c’est le jour des poubelles, et de quelle couleur, si le prix du gasoil va encore grimper, si les centrales vont résister au prochain séisme, s’il y a de la vie ailleurs dans l’univers, si Josette sort avec Marc Antoine, si untel vote pour untel, et tout cela est dit sur un ton qui ne supporte aucune contestation, même pas une question. D’ailleurs le temps pour répondre est passé, Jesaistout a disparu, retourné prestement à ses affaires de haute importance. Et vous restez planté là, ébaubi, vous demandant si toutes ces années passées sur les bancs de l’école vous ont servi à quelque chose. Oui, vous n’êtes qu’un ignorant, né trop tôt dans un siècle où les savants n’avaient pas encore pris le pouvoir.
Les savants ! Cette race d’humains qui sont au courant de tout. Au courant, cela leur va bien, car aujourd’hui tout fonctionne sur piles. Coupez le courant, il n’y a plus personne. Plus d’émissions abêtissantes radio et télé, plus de mercure dans les nappes phréatiques, plus d’électrocutions, les gens se remettraient au sport et pas seulement le dimanche matin, en allant pomper à la main chez Total pour ravitailler leur automobile, il y aurait moins de monde sur les routes.
Les petits métiers renaîtraient. Celui de photographe. La jeunesse découvrirait la beauté d’un bromure, et même celle en négatif d’un cliché treize dix-huit, portrait, paysage, nature morte. Et peut-être se remettrait-on à peindre, à dessiner, à écrire. Oui, je me mettrais à écrire avec un crayon ou une plume. Et vous ne seriez pas devant cet écran, mais plongé dans la lecture d’un livre beaucoup plus passionnant que la ritournelle de mes élucubrations.
Quelle belle formule : « La force libératrice de la réflexion » ! Mais quand je vois ce chef de famille qui sait tout sur tout et qui impose le silence à sa femme, je ne me demande plus si le savoir est libérateur. Et pourtant, en réfléchissant, je me dis que la vie de Jesaistout est plus facile, et je l’envie. Pour elle aussi c’est mieux, car elle profite du savoir faire de son héros qui sait évacuer les problèmes, faire les bonnes démarches, à qui s’adresser et de quelle façon. Il sait où faire les courses, où c’est moins cher, où l’on est servi plus vite. Il a dans la tête la carte des radars et ne se fait jamais prendre. Il n’a pas travaillé mieux ni plus que les autres, mais touche sa retraite à taux plein. Il a déjà planifié ses obsèques. Rien, absolument rien dans sa vie ne ressemble de près ou de loin à une surprise. Il ne s’embarrasse pas de questions. Et c’est cela qui fait le malheur de tant de gens. Ils s’interrogent.
§
Habermas (Jürgen) (Düsseldorf, 1929), sociologue et philosophe allemand. Continuateur de l’école de Francfort, il entend intégrer la théorie critique dans une théorie de l’action, orientée vers un réformisme radical (la Technique et la Science comme idéologie, 1968; Morale et Communication, 1986).
© Hachette Multimédia / Hachette Livre, 2001
20:41 Publié dans portraits | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : savoir, technique, savants, questionnement