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03/06/2009

Chut !

 Au cinéma, ne pas rire. Sauf au bon moment. Et surtout, ne pas parler, ni manifester son émotion.

 

 Au musée, marcher sur la pointe des pieds. Faire entendre quelques chuchotements, appuyés de gestes amples et de regards entendus.

 

 Au meeting, écouter silencieusement l’orateur. Ou dormir. Sans ronfler.

 

 A la messe, se lever, s’asseoir, se lever, s’asseoir. Accompagner des lèvres le chant des autres. Ou chanter vraiment, sur le même ton.

 

 Dans le métro, lire son journal. Ou faire semblant pour ne pas affronter les regards de ceux qui ne lisent pas non plus.

 

 Au supermarché, se précipiter dans les rayons en ayant l’air préoccupé. Faire la queue à la caisse, triste et résigné.

 

 Faire signe bonjour (ou bonsoir) à la voisine tout en sautant dans la voiture.

 

 Tenir de longs discours sur tout et sur rien avec le chef. En le remerciant beaucoup d’avoir fait le nécessaire et même moins.

 

 Et comme c’est dur de tenir des années comme ça, en évitant soigneusement la communication avec les autres, on a créé trois substituts. (1)

 

 Le premier et le plus ancien, c’est la prison. En isolant l’individu, on lui rend un fier service. A l’abri des regards, le reclus ne perd plus son temps à établir ou entretenir des relations humaines.

 

 Le deuxième est moderne, c’est la télévision. Spectacle total. Aucun rapport entre le créateur et son public. Pour le téléspectateur affalé sur le canapé, tout est possible : rire quand il ne faut pas, pleurer tout seul, mettre les doigts dans son nez. Et comme bien souvent les enfants sont scotchés sur l’écran, on peut même économiser les frais d’une nourrice. Qui a dit que la technique rendrait l’homme esclave ?

 

 Le troisième est très contemporain, c’est le téléphone portatif. Entre l’opérateur et son entourage, toutes les liaisons sont coupées. Il parle (souvent très fort), il rit, c’est bien rare qu’il pleure, car les liaisons par « portable » sont –à quatre-vingt dix neuf pour cent- ludiques. Et quand il parle et qu’il rit, c’est tout seul. Car autour, les autres existent encore un peu, par politesse les discussions sont interrompues. C’est un moment difficile, car il y a parmi nous encore quelques beaux restes de civilité : on s’efforce de ne pas profiter de la conversation, ou plutôt du monologue (ce qui n’est pas trop difficile, car ces gens-là parlent généralement pour ne rien dire). Mais toutes affaires cessantes, il nous faut patienter, le temps paraît long.(2)

 

 On me dit qu’au théâtre ou sur l’Agora, les jours de représentations, de marché ou de rassemblements politiques, les conversations n’étaient jamais interrompues par des sonneries téléphoniques. Cela ne m’étonne pas. Sages et philosophes, nos ancêtres grecs avaient interdit l’usage des appareils qui risquaient de faire obstacle à la communication entre les hommes. J’entends d’ici la désapprobation des partisans de la modernité téléphonique portative : oui, mais vos philosophes antiques pratiquaient l’esclavage !

 

 La pratique ancienne de mœurs monstrueuses n’autorise pas les surhommes d’aujourd’hui à gâcher un dîner en amoureux, à rendre inaudible un dialogue au cinéma, à interrompre le cours d’un professeur, à embarrasser les passagers d’un train ou d’un bus, à gêner les visiteurs d’un musée, à rompre le silence convenu lors d’une cérémonie.

 

 

Ah ! Il est bien révolu le temps

De ces hommes venus à Epidaure

Pour clamer leur joie,

Apostropher la Perse,

Et casser la croûte.

 

Il est vrai que ces paysans n’avaient

Ni la télévision

Ni le téléphone dans la poche

Et qu’ils ne savaient pas

Qu’ils vivaient l’époque de la Grèce Classique,

 

Pauvres païens !

 

 

§

 

(1) Je n’évoque ici que les moyens obligatoires mis en œuvre par les hommes pour empêcher la communication. J’exclus d’emblée l’ermitage et la vie monastique qui proposent claustration ou solitude suite à un choix. L’ermite et le moine sont des êtres qui ont décidé eux-mêmes de leur sort. On ne peut en dire autant du prisonnier. Quand aux non possesseurs d’un téléviseur ou d’un téléphone de poche, il s’agit de toute évidence de cas isolés, égarés hors de la normalité.

 

(2) Je disais qu’entre l’opérateur et son entourage, toutes les liaisons étaient coupées. Ce n’est pas toujours vrai. Les progrès en technique de miniaturisation permettent maintenant à des élèves de filmer leurs camarades brutalisant leur professeur. Certes, la qualité de l’image n’est pas extraordinaire –si on la compare à celle produite par un appareil photographique de type réflex équipé antizieurouge à déclenchement-automatique-dès-qu’il-détecte-un-sourire (on dépasse actuellement les dix millions de pixels, et ce n’est rien à côté de ce qui nous attend !!!!!). Mais la scène filmée peut passer de main en main, et être retransmise et visualisée sur les écrans d’ordinateur à l’échelle d’un village, d’un pays et jusqu’aux antipodes. Une façon tout à fait contemporaine de rapprocher les hommes et les cultures.

 

01/06/2009

Manifeste souverainiste

 

 

 

 

Apprenons,  écrivons,  déclamons et chantons français

 

Embauchons, produisons, achetons et vendons français

 

Votons, décidons,  décrétons et tranchons français

 

Armons, marchandons, trafiquons et guerroyons français

 

Jouons, parions, spéculons et boursicotons français

 

Mangeons, banquetons, buvons et conduisons français

 

Roulons, bourlinguons, naviguons et planons français

 

Demeurons, cohabitons, fréquentons et collaborons français

 

Jurons, conjurons, prions et communions français

 

Baptisons, nommons, mentionnons et exigeons français

 

Marmonnons, vociférons, beuglons et braillons français

 

Débrayons, défilons, manifestons et tonitruons français

 

Courons, pédalons, shootons et dopons français

 

Convolons, épousons, aimons et enfantons français

 

Naissons, vivons, endurons, souffrons,

 

Mourons français.

 

.

 

 

§

 

 

 

 

 

 

 

29/05/2009

Prêchi-prêcha

 

            - ...s’il y a Quelque chose, je ne sais pas. Je ne suis convaincu ni de l’existence, ni de l’inexistence d’une Puissance qui serait à l’origine de tout...

 

- agnostique ?

 

            - mm...qu’on ne puisse tout connaître par la science, j’en suis convaincu. Il y a des phénomènes qui nous échappent, et qui seront toujours inconnaissables.

 

- doute ? scepticisme ?

 

- peut-être. Pourtant, vois-tu, j’ai fait baptiser mes enfants.

 

- là, je ne te comprends plus. Peut-être ton épouse...

 

- non, nous avons pris cette décision d’un commun accord.

 

- ne me dis pas que tu as calqué ton attitude sur le fait majoritaire!

 

- non, surtout pas.

 

- la perspective d’un bon dîner en famille?

 

- on a bien fêté l’événement, mais là n’est pas la question. Comment dire? Ce n’est pas facile. Si je ne l’avais pas fait, j’aurais eu le sentiment de... j’aurais eu l’impression de trahir.

 

- trahir qui?

 

- mes parents, d’autres encore sans lesquels je ne serais pas ce que je suis.

 

 Cette personne est un professeur des écoles, son témoignage est à mes yeux d’autant plus consternant. Eprouver de la considération pour ses parents, pour ses éducateurs, est un sentiment humain et respectable. Et vieux comme le monde. Bien avant la psychanalyse, cet idéal du moi, cette image éternelle du père (fouettard souvent, protecteur parfois) hante la Genèse et les livres des Patriarches. Mais tous les parents ne sont pas des modèles. On peut refuser tout ou partie d’un héritage. Si notre civilisation doit beaucoup aux Grecs et aux Latins, elle n’a pas cru bon d’honorer certaines traditions, heureusement. Je ne vois pas en quoi une personne (honnête) mettant ses actes en accord avec sa pensée (ou avec ses doutes, ses incertitudes), pourrait trahir quelqu’un ou quelque chose.

 

 Contrairement (en apparence) aux propos de mon interlocuteur, il est de bon ton aujourd’hui de dire qu’il faut se remettre en question, qu’il faut “être bien dans sa tête”. Les maîtres ne doivent plus transmettre un savoir, mais “apprendre à apprendre”. La tête “bien faite” de Montaigne séduit aujourd’hui tout ce que la société compte de têtes bien pleines de gentils projets pour nos petits: le prêtre enseigne que la Vérité siège au plus profond de l’âme, et se déclare prêt à baptiser à tout âge. Le professeur prêche qu’il faut rechercher nos racines, et faire lire à nos enfants les textes fondateurs de notre culture chrétienne. Certes, tous les prêtres ne sont pas des pédagogues, certains lisent encore la messe en latin. Et tous les professeurs ne sont pas des généalogistes chrétiens, certains sont laïques. Mais dans l’ensemble, en ce début de siècle, le dogme ne s’encombre pas nécessairement du vernis de la tradition, il peut même se glisser -sans perdre sa cohérence- dans la modernité. Il n’est pas un livre. Il n’est pas un recueil de principes. Il est œuvre humaine. Ecrit, lu, récité, déclamé, décliné, invoqué, débattu, réformé, mais dans l’ensemble imposé par des êtres humains à des êtres humains. Le dogme n’est pas un corps sans vie, plutôt un moribond en perpétuelle réanimation. Cinquante mille personnes sont emportées par un torrent de boue après un séisme, un peuple désespéré mais aussi courroucé implore le Ciel. Une petite fille est sauvée des eaux, et c’est un Miracle. Les saints aussi apportent leur contribution. Comment pourrais-je ne pas présenter à des enfants comme exemplaire l’action de mère Térésa ou de l’abbé Pierre? Une simple image télévisée peut les convaincre que ces gens-là se mettaient en quatre pour adoucir la misère du monde. Maintenant, essayez d’expliquer à ces jeunes téléspectateurs que la première prônait une conception de la femme à peu près comparable à l’image qui nous en est donnée dans la bible, et que l’autre était l’ami d’un négationniste et qu’il tenait des propos antisémites. Bref, à moins que vos enfants soient très en avance sur leur âge, si vous avez besoin de repos, si vous recherchez la paix au foyer, inscrivez-les dans un cercle de catéchistes, ces gens-là ont réponse à tout et font la joie des tout petits. Il est plus charmant d’entendre le bon Père vous chanter que les Rois Mages ont suivi la bonne étoile plutôt que d’entendre son paternel vous interdire de mettre les coudes sur la table, et ressasser pour la nième fois que la religion est l’opium du peuple. On transforme bien une citrouille en carrosse, pourquoi un mort ne reviendrait-il pas à la vie? Allez expliquer à votre enfant la différence entre une histoire qui se présente comme une histoire, et une histoire qui se présente comme vraie, pourquoi on présente comme vrai quelque chose qui ne l’est pas!

 Puis ils font leur communion. Et ils savent tout. Qu’un mort, donc, peut ressusciter, qu’une femme a mangé un fruit pourtant défendu, et qu’à cause d’elle on va souffrir, qu’on peut assassiner son fils par fidélité à son dieu. Ils en savent suffisamment et sont, surtout, tellement éblouis (ou effrayés) par ces fortes images qu’elles leur reviennent à l’esprit, même après de longues années, plus facilement que les mathématiques ou toute autre matière où un effort de pensée est nécessaire. Aussi pourront-ils les transmettre à leur tour et faire baptiser et communier leurs enfants.

 

            -  Quant à toi, mécréant, quels repères proposes-tu à tes enfants?

           

- Du piano, du violon, de la flûte. De la peinture, du dessin (peut-être de la calligraphie). Des jeux cérébraux: échecs et go. Du sport. De la danse. Du patinage (artistique). Du cinéma. Des concerts.  Des correspondants étrangers. Des voyages... Non, je me suis laissé emporter. Ils ont leur travail d’école. Quand même, le piano, j’aurais tant aimé. Et si on les laissait un peu tranquilles? On nous a tant assujettis aux cordes, disait Montaigne, que nous n’avons plus de franches allures: notre vigueur et liberté est éteinte. Citant Sénèque il ajoutait:

 

Jamais ils ne deviennent leurs propres maîtres.

 

 

§