23/04/2009
Dormez bien!
Il prend son temps, ferme les yeux, puis se redresse, un mouvement du menton indique qu’il va parler. Pas encore. Silence du sage. Il est en bout de table. Chez les animaux c’est un mâle, chez les humains le plus souvent, un homme. Et quand il parle, c’est avec l’accent de la vérité. Pourrait-il en être autrement ? Certes, sans public il n’est qu’un pantin ridicule. Mais Pygmalion est là, en compagnie des frères, des sœurs, des parents, des amis, de la foule, et le pantin s’anime. Ses paroles sont puissantes, l’assistance en redemande. Prestance de l’un, admiration des autres se fondent et s’enrichissent mutuellement.
Un pape à bout de forces, tremblant de tout son corps, avait faiblement murmuré, comme dans un dernier souffle :
« Dormez bien ! »
à l’adresse de millions de jeunes de tous les pays qui l’applaudirent à tout rompre. Allez-y vous, au centre du monde, dans le métro à six heures, devant un amphithéâtre d’étudiants, sur un stade le jour de la finale de la Champion’s league, dans une classe de trente élèves, dans votre cuisine face à vos enfants, allez-y, prenez votre souffle, prononcez ces deux mots « Dormez bien ! ». Au pire, on vous enfermera, au mieux, vous déclencherez les rires. Quand à vos enfants interloqués : « Dis-donc, t’as vu l’heure, papa, on va être en retard à l’école ! »
L’autre parle pour ne rien dire. Un flot continu de paroles. Personne ne l’écoute. Le drame c’est que tout le monde l’entend. Paroles sans queue ni tête ? Que nenni ! Elles ont un sens. Quelqu’un d’aussi bavard ne peut pas être méchant. Encore moins trompeur. Vous l’avez deviné, vous l’avez reconnu. C’est un homme, parfois une femme. Impossible d’en placer une. Mais enfin, vous ne pouvez pas laisser proférer de telles énormités ! Mais si vous pouvez, et c’est ce que vous allez faire, car le vin et l’euphorie aidant, le bon public préfère entendre des énormités plutôt que des propos raisonnables qui, de toute façon, pour être perçus devraient être hurlés, et pour être compris développés dans un long discours et ce n’est pas le lieu. Ce n’est d’ailleurs jamais le lieu, l’heure est aux slogans éculés et au prêt à penser pas cher. Et quand on croit pouvoir enfin en placer une, un événement inattendu survient : la maîtresse de maison apporte le gigot, dix mains s’avancent pour approcher le dessous de plat, le maître des lieux vous colle la bouteille et son avant-bras sous le nez en tentant d’atteindre votre verre, et vos enfants qui en ont ras la casquette des discussions depuis l’extermination des gâteaux apéritif, vous demandent s’ils peuvent sortir de table. Peine perdue. Et puis, de toute façon, qu’auriez-vous dit ? Vous n’avez pas la prestance, vous n’êtes pas en bout de table, votre voix ne porte pas, vous en êtes encore au coq quand le bavard en est à l’âne.
Pour être écouté aujourd’hui, il faut surprendre. Marquer un but, contre son camp de préférence. Gravir l’Annapurna sur un pied sans autre bagage qu’un micro pour le direct. Faire le tour du monde à la voile en laissant ses enfants pendant six mois aux bons soins d’une maîtresse de maison confondue d’admiration pour son héros. Avoir violé puis tué quelques jeunes filles et dire devant le tribunal qu’on ne regrette rien, puis, en prison, raconter dans un livre ses aventures. Avoir commandité la mort de trois mille personnes et revendiquer le crime sur toutes les radios du monde. Dire et écrire que l’extermination de six millions de femmes, d’hommes et d’enfants est un détail de l’histoire. Torturer des personnes luttant pour l’indépendance de leur pays et le justifier quarante ans après en évoquant les nécessités de la guerre. Ne rien dire sur la torture, mais être président de la république.
Au choix, ces gens-là ont admirateurs ou avocats. Célèbres contre leur volonté, héros pitoyables ou monstres de la pire espèce, leur nom figurera un jour dans le dictionnaire.
Mais cette dame qui a parlé pour la première fois à la radio ce matin, qui retiendra son nom ? Son bébé était mort-né. Les médecins l’avaient réanimé. Le pédiatre lui annonçant la nouvelle, avait ajouté que cette petite fille serait totalement handicapée à vie. Cette dame vit ce drame depuis des années, aidée d’une pension. Sera-t-elle entendue ? Y aura-t-il au moins pour elle quelque part en France une marche silencieuse ? Un tract ? Un coup de téléphone du ministre ? du pape ? ah non pardon, erreur de typographie… Et son mari ? Où est-il ? Que fait-il ? Quand va-t-il intervenir pour dénoncer les apprentis-sorciers en blouse blanche ?
Diogène, reviens ! Toi qui cherchais un homme, parcourant le monde au milieu du jour en t’aidant d’une lanterne.
Un vieux philosophe disait que nous n’avions pas les mêmes pensées selon que nous étions en pyjama ou en costume trois pièces. Un autre encore plus vieux prétendait que ce n’est pas la conscience qui détermine l’être des hommes, mais l’être social qui détermine la conscience. Une formule horrible qui a fait beaucoup de mal. Elle justifie le crime et permet l’impunité. Une formule cependant qui fait tomber les masques, et relativise les affirmations du sage et du bavard. On peut alors se demander: d’où parlent-ils ces gens-là ? Et quand ils vous montrent la lune, n’est-ce pas plutôt vers eux qu’il faudrait diriger notre regard ?
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20/04/2009
L'éléphant et le moustique
« Je comprends que l’éléphant s’irrite quand le moustique lui pique l’oreille mais je ne peux pas croire à la thèse selon laquelle Israël se sent menacée parce qu’en six mois, il est mort trois de leurs ressortissants sous les dizaines de fusées qui tombent tous les jours, semble-t-il dans le désert. »
(…) par contre, Gaza…
«… est un camp de concentration dans lequel les gens sont privés des moyens de se défendre »
La personne qui a prononcé ces paroles n’est ni un membre du Hamas, ni un obscur propagateur de l’islam, ni un manifestant d’extrême gauche pro-palestinien.
Les deux phrases que vous venez de lire ont été énoncées par le porte-parole de l’extrême droite française. C’était le 8 janvier 2009 à Nanterre à l’occasion de la présentation de ses vœux à la presse.
Quoi répondre ?
Confronté à des propos qui, à défaut d’analyse politique, ne sont que l’expression de la haine de l’autre, on est tenté de se taire. Il ne faut pas.
Ce monsieur nous dit qu’en six mois, seuls trois ressortissants israéliens sont morts, alors que les fusées tombent tous les jours.
D’abord, ce sont trois victimes de trop, et probablement trois familles en deuil.
Ce monsieur semble bien informé, il ne peut pas ignorer que les autorités israéliennes alertent les populations qui sont menacées par les roquettes, et font évacuer les lieux. De ce côté, on ne fait pas usage de « boucliers humains ». De ce côté, on n’exploite pas le malheur des gens à des fins médiatiques. A ce propos d’ailleurs, il y aurait beaucoup à dire sur la médiocrité pour ne pas dire la maladresse des services d’information israéliens… j’y reviendrai, car s’y ajoute le traitement pratiquement univoque des informateurs occidentaux tous d’accord sur un point : un éléphant est piqué par un moustique.
L’exploitation du conflit du Proche-Orient afin d’entretenir et de développer l’antisémitisme devient dans notre pays un lieu commun. Lieu où se rencontrent curieusement –mais est-ce vraiment si curieux que cela ?- les extrêmes des deux bords.
Les uns parce qu’ils transmettent la judéophobie par tradition, ce sont les professionnels : chrétiens traditionalistes, militants d’extrême droite, profanateurs de tombes, négationnistes et même néo-nazis.
Les autres, sorte de bricoleurs pour lesquels la question juive ne s’intègre pas dans le dogme de la lutte des classes, et pour lesquels aussi l’état d’Israël est un vilain bras armé du méchant impérialisme américain.
Voyons un peu :
Daté du 9 janvier 2009, sur le site de « La Commune » (obédience d’extrême gauche) :
…cet Etat qui se maintient depuis plus de 60 ans par la terreur, les rafles, les massacres, les guerres successives. Aussi bien, le refus de la reconnaissance d’Israël ne procède pas d’une posture " radicale " mais de l’expérience tragique. A l’origine la création d’un Etat des juifs, était une utopie réactionnaire. Dans les faits, c’est devenu une machine d’oppression et de destruction barbare.
Daté du 17 janvier 2009, sur le site de Révolution socialiste (obédience d’extrême gauche) sous le titre À bas le sionisme et l’État colonial !:
« L’État fondé par les sionistes a transformé une petite minorité des Juifs du monde en oppresseurs de millions de Palestiniens. Cet État basé sur une religion est fauteur de guerres. Le Hamas accepte Israël dans les frontières de 1967 ; l’OLP a signé les accords d’Oslo. Mais la fin de l’oppression nationale dont sont victimes les Palestiniens passe par le démantèlement de l’État sioniste. »
Daté du 23 février 2008, sur le site Les Intransigeants (obédience d’extrême droite) sous le titre Pour l’éradication du sionisme :
« De mon coté, très attaché au catholicisme et à la tradition, très intéressé par la politique et par l’actualité, je suis farouchement pro-palestinien (qui ne sont pas que musulmans, il y a aussi de nombreux chrétiens je le rappelle). Mais mon avis diverge des musulmans anti-sionistes en cela que les musulmans, qui reconnaissent le judaïsme comme « religion du livre », ont trop tendance à limiter le problème sioniste à une situation géographique. Comme si le problème de l’extrémisme juif, le sionisme, n’était qu’une question de territoire. Comme si le problème avait commencé seulement en 1948.
Alors qu’Israël soit « rayé de la carte », pourquoi pas. »
Bref, nos extrêmes ont nettement pris parti pour le moustique, on a même l’impression qu’ils souhaitent que sa piqûre soit mortelle. J’ai trouvé pire (si c’était possible) sur un autre site : Combattre pour le socialisme…
Le combat du Comité pour la construction du Parti Ouvrier Révolutionnaire (de l’Internationale Ouvrière Révolutionnaire) se situe inconditionnellement aux cotés des masses palestiniennes dans leur combat contre l’État d’Israël. Pour les masses palestiniennes, il n’est possible d’en finir avec l’exil et l’oppression, de récupérer leurs terres, qu’en combattant et détruisant l’État colonial. (…) Or la paix exige la destruction de l’État d’Israël en tant qu’État colonial, gendarme de l’impérialisme au Proche-Orient ( de même, celle des États artificiels du Liban et de Jordanie).
Passons sur le vocabulaire employé (les « masses palestiniennes ») peu respectueux pour ce peuple, et qui laisse supposer que tous les Palestiniens pensent la même chose et agissent dans le même sens… Remarquez, on ne peut pas taxer ces constructeurs d’un « parti révolutionnaire » d’antisémitisme primaire, puisque, outre Israël, ils envisagent carrément la destruction de trois états. Ben voyons, pendant qu’on y est… elle va être belle l’internationale qu’ils vont construire !
Quoi dire ? Avec ces gens aucune discussion n’est possible. Leurs analyses sont des slogans. Sur calicots, trois mots suffisent pour exciter les foules. Leurs déclarations sont de guerre. Le bien d’un côté, le mal de l’autre. Il est vrai que présentées ainsi les choses sont plus simples. Cela rappelle une très ancienne conception du monde que le dictionnaire(1) décrit très bien :
« le manichéisme admettait, conjointement avec des données chrétiennes issues du Nouveau Testament, l’existence simultanée d’un principe du bien et d’un principe du mal, et la double création émanée de chacun d’eux. Son influence semble avoir subsisté jusqu’en plein Moyen Âge, notamment dans la doctrine des bogomiles(2) et des albigeois. »
Quelque chose me dit que le manichéisme n’est pas mort avec les Albigeois.
Dans les rues de Paris ou d’ailleurs, cela fait froid dans le dos d’entendre ce cri de guerre :
«A bas Israël ! »
Le 03 janvier 2009 les parisiens ont pu l’entendre, ils ont vu aussi qu’on brandissait les drapeaux du Hamas et du Hezbollah, ce dernier arborant une arme automatique accompagnée d’un verset du Coran :
« Ceux qui suivent le parti de Dieu seront victorieux. »
Ces bonimenteurs manifestent-ils vraiment dans le but exclusif de soutenir la lutte du peuple palestinien ?
Comment des gens animés d’une telle haine vis-à-vis d’un peuple pourraient-ils être les amis d’un autre ?
§
(1) © Hachette Multimédia / Hachette Livre, 2001
(2) Membre d’une secte néo-manichéenne apparue en Bulgarie au Xe s., dont la doctrine se répandit jusqu’au Languedoc au XIIe s. © Hachette Multimédia / Hachette Livre, 2001
Ce qui est souligné dans les textes cités l'a été par nous.
13:27 Publié dans étrange | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : israël, palestine, extrême-gauche, extrême-droite
12/04/2009
Innocents
Après tout il est bien possible que le dessin d’une croix gammée sur le wagon et la stèle du mémorial de Drancy soit l’œuvre
d’un déséquilibré,
d’un jeune désœuvré ayant un peu bu,
d’un pauvre homme à qui des faibles esprits avaient monté le bourrichon,
d’un être inculte et ignorant l’histoire de France,
d’un adolescent en mal de vivre,
d’un chômeur en fin de droit,
d’un immigré sans papiers, sans ressources, sans toit, sans rien,
d’un désespéré s’adressant au monde et lui disant : « Moi aussi je souffre ! »,
d’un jeune homme amoureux délaissé par sa compagne,
d’un être ordinaire cherchant la célébrité sous les caméras de surveillance,
bref, il est bien possible que le dessin d’une croix gammée sur le wagon et la stèle du mémorial de Drancy soit l’œuvre d’un innocent.
Ces profanations qui se répètent et semblent s’intensifier ont toujours pour auteurs (quand ceux-ci sont identifiés et jugés) des gens
qui ne savaient pas,
qui n’avaient pas conscience de leurs actes,
qui avaient quitté trop tôt l’école,
qui avaient eu une jeunesse malheureuse,
qui avaient été battus par leur père et même pire,
qui avaient de mauvaises fréquentations,
qui étaient en mal de ceci, en mal de cela,
qui avaient passé des heures devant l’écran de leur ordinateur,
qui avaient tout confondu, image violente et violence réelle,
qui vivaient mal dans une banlieue défavorisée,
qui avaient été séduits, puis sans le savoir, enrôlés, embrigadés,
bref, ces profanations qui se répètent et semblent s’intensifier ont toujours pour auteurs des gens qui n’étaient responsables de rien, vous savez comme ces gardes-chiourmes, ces Kapos dans les camps qui, après la guerre se défendaient en disant que les ordres venaient d’en haut, qu’ils n’étaient que le dernier maillon d’une chaîne infernale, qu’ils ne pouvaient agir autrement.
Les innocents, les vrais, n’étaient plus là pour parler.
Ici-bas les commentaires vont bon train. J’ai lu des choses abominables :
« Qu’on cesse de nous casser les pieds avec le génocide. »
« Depuis des millénaires il y en a eu des milliers, pourquoi s’attarder sur celui-ci ? »
« Arrêtez de ressasser le passé, il y a d’autres problèmes plus graves qu’un dessin à la peinture sur un wagon. »
« On s’indigne pour une croix gammée, pendant ce temps il y a des milliers de Palestiniens qui sont massacrés. »
Non, je plaisante, tout ceci est le fruit de mon imagination, d’ailleurs, je n’ai pas cité mes sources…il n’y en avait pas. Personne n’oserait dire ou même penser de telles sottises.
Bon, allez, je veux bien croire que l’auteur de cette profanation ne savait pas ce qu’il faisait. Le maire a fait effacer ces offenses. Elles laisseront une trace dans la mémoire de ceux qui dans ce pays en ont une, sont allés à l’école, connaissent l’histoire et surtout, ont un cœur.
Au Mémorial de la Shoah à Paris, il y a des noms gravés sur un mur, les noms de soixante-seize mille innocents dont soixante-sept mille sont partis de Drancy.
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11:55 Publié dans portraits | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : antisémitisme, déportation, drancy

