16/02/2015
Voir
Voilà un certain temps que je tente de mettre en évidence ce qu'on ne veut pas voir. Je me rappelle mon père qui, dans ce domaine, et tout à fait inconsciemment, était un grand professeur. C'est en partie lui qui m'a appris -j'allais dire qui m'a ouvert les yeux !- que la vision était moins en rapport avec l'acuité visuelle qu'avec la volonté d'user de ce sens. Il avait cette faculté de faire l'étonné quand j'attirais son attention sur des choses évidentes (qui ressortent à la vue) qui pouvaient bousculer chez lui ce que les allemands appellent la "Weltanschauung"(1), que nous traduisons assez mal par "vision du monde" ou "conception du monde". Ainsi tourmentée, la conception que mon père avait du monde lui imposait le silence. Au mieux il me susurrait un "Ah bon?" du bout des lèvres qui signifiait: intéressant sans plus, passons à autre chose. Le dictionnaire fait la distinction entre l'aveuglement qui est la privation du sens de la vue et l'aveuglement qui est l'état de celui dont la raison est obscurcie, le discernement troublé.
Dans ce domaine cependant, tout n'est pas affaire de volonté. Il y a des cas où l'on ne peut pas voir. Si vous êtes loin de l'incident, vous ne pouvez pas témoigner. Et celui qui émettrait une opinion sur ce qui s'est passé sans avoir été sur place pourra être poursuivi pour faux témoignage. A minima, on pourra lui reprocher de parler de ce qu'il ne connaît pas. Le problème, c'est qu'inévitablement l'esprit ne peut s'empêcher de venir au secours des sens. Des millions de gens de bonne foi nous entretiennent de ce qu'ils n'ont jamais vu. Les plus savants d'entre eux vont même jusqu'à enseigner des faits dont ils n'ont pas été les témoins, des phénomènes qu'ils n'ont jamais connus que par des lectures, des calculs ou par ouï dire. Comme j'aime bien plaisanter, je disais récemment à ma petite fille de huit ans et demi que la terre étant plate, les pluies torrentielles étaient nécessaires pour alimenter les océans, car l'eau se déversait sans cesse sur les côtés du disque. Elle me regardait avec ses grands yeux qu'elle a très beaux par ailleurs, et même son petit frère ne savait pas si j'étais sérieux ou non. Me connaissant, ils avaient quand même un doute, et sur le ton du maître devant l'élève qui se trompe, elle me rétorqua "non Papy, la terre est ronde", je crois même qu'elle ajouta qu'elle tournait sur elle-même. Certes je n'avais jamais vu que la terre était plate, mais ni elle ni moi n'avions jamais de nos propres yeux remarqué que la terre était ronde. Allez dire à des adultes que la terre est plate, qu'elle tourne autour de la lune ou que le soleil danse autour de ses planètes, on va vous rire au nez. Pourtant, comme les mouvements des astres ne sautent pas aux yeux, j'en connais qui, voulant rétablir de l'ordre dans le système du monde, se perdraient en explications obscures et en contorsions intellectuelles les plus absconses les unes que les autres. Vous ne pouvez pas savoir à quel point je suis fier que les connaissances de ma petite fille soient plus étendues que celles du plus savant des savants de l'antiquité. Pauvre Xénophane de Colophon qui voyait la terre plate, sans limites, ni de côté ni en dessous, ses racines s'étendant à l'infini! Pauvre Anaximandre pour lequel la terre était un disque plat dont la hauteur était le tiers du diamètre! Pauvre Anaximène qui concevait la terre comme un plateau, une table mince supportée par l'air! A huit ans, un enfant de notre siècle en sait autant sur le système de l'univers que le génial Aristarque de Samos qui fut accusé d'impiété pour avoir émis l'hypothèse de la rotation de la terre sur elle-même et autour du soleil. Dans un an ou deux cet enfant sera -en connaissances- pratiquement au niveau de Copernic, et devenus universitaires, des millions d'étudiants de notre époque pourront reprocher à Isaac Newton de n'avoir pas conçu la théorie de la relativité. Et tout cela sans jamais avoir rien vu de la terre, de la lune, du soleil et des étoiles que des images, et n'avoir appris tout cela que par les livres et les professeurs. Evoquez Adam ou Eve à des enfants qui n'en sont pas encore à l'âge scolaire, ils vous parleront du singe, d'autres plus âgés ou plus avertis vous entretiendront de Lucy, une femme qu'ils n'ont pas connue, dont on leur a montré les photographies de quelques os -et encore pas tous- mis bout à bout. Quelques centaines d'années avant nous, un adulte émettant l'hypothèse de l'évolution des espèces aurait été brulé comme hérétique. Aujourd'hui il y a vraiment de quoi être fier de voir nos enfants parler de choses qu'ils n'ont jamais vues.
Certes, il y a un danger. Celui de croire ce qu'on nous dit. Si l'esprit humain vagabonde au point de suppléer à nos sens quand la connaissance apportée par ces derniers est insuffisante et c'est souvent le cas, il a tendance par paresse à errer et à accorder facilement du crédit à des informations qui demanderaient à être sérieusement examinées. Je parlais des enfants tout à l'heure, oh comment il est facile de les induire en erreur! J'avais rapporté ces propos de gens qui n'avaient jamais posé un pied à l'étranger et qui disaient que l'Italie regorgeait de voleurs, que les allemands étaient balourds, qu'en Angleterre on mangeait mal, que la vie dans les pays nordiques était triste, que les américains avaient une arme à la main et qu'ils étaient gros. S'il faut se méfier des sens, il ne faut pas les condamner de façon systématique au nom d'un savoir purement intellectuel qui peut aller au-delà de ce que la raison nous autorise à penser.
Le philosophe Berkeley avait-il raison de croire que le monde réel n'existait pas? Il n'avait jamais porté sur ses épaules un lourd fardeau, n'avait jamais passé une nuit d'hiver à la rue allongé sous des cartons. Sans aller jusqu'à l'absurdité des affirmations du philosophe, c'est ahurissant de voir et d'entendre des personnes nous entretenir d'un monde dont elles n'ont qu'une vague idée. Comme si elles le scrutaient à la jumelle. Certes, de temps à autre elles y font un passage par obligation professionnelle, d'autres comme on se rend au zoo, pour vérifier que le monde réel existe. Je ne plaisante pas. Ecoutez les débats radio ou télé, vous vous demandez si ceux qui parlent vivent dans le même monde que ceux qui les rendent si bavards. Je me réjouis hier d'entendre une personne leur rétorquer qu'il faudrait qu'elles sortent un jour de la maison de la radio !
Est-ce que les capacités de l'entendement humain, armé de l'outil de la Raison, équipé de toutes les connaissances possibles données par les écoles, les théories et les livres sont à même, sans l'aide de l'expérience quotidienne, de concevoir la réalité du monde ? A l'évidence non. Si l'on constate aujourd'hui une coupure entre les difficultés de la vie quotidienne et le discours du personnel politique, c'est en partie pour cela. Sans parler des multimillionnaires, un être humain qui dispose chaque mois de quatre ou cinq mille euros ne peut pas voir le monde comme un être humain qui tente de survivre avec le smic ou moins encore. Ce qui ne veut pas dire qu'une personne dans le besoin serait suffisamment raisonnable pour apporter une solution aux problèmes sociaux. On a vu des cas dans le passé où des gens du peuple devinrent des tyrans, on a vu aussi des gens admirables dont l'expérience acquise dans la vie leur donna le courage et la sagesse nécessaires pour le bien des peuples, je pense à Gandhi et à Mandela.
On peut comprendre les personnes qui vivent loin de la réalité, tant mieux pour elles. Mais celles qui ont une responsabilité politique, qui sont mandatées par le peuple, s'il est difficile de leur reprocher de ne pas partager la vie de tout le monde -critique facile qui fait le lit du populisme- on doit leur reconnaître une capacité étonnante de ne pas vouloir voir la réalité des choses, faculté que la langue française nomme aveuglement. Pour mettre en lumière cette notion, le petit Robert cite Michelet: "L'aveuglement, l'imbécillité, qui présida aux massacres". Cette cécité qui peut devenir dévastatrice et qui l'est déjà un peu, est le prix à payer pour les actes qui devraient être accomplis et qui ne le sont pas, par manque de courage. Ceux qui dirigent le monde aujourd'hui n'en ont pas. Mais nous, en avons-nous ?
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(1) Welt/an/schau/ung: bestimmte Art die Welt, die Natur und das Wesen des Menschen zu begreifen; façon déterminée de concevoir le monde, la nature et l'essence de l'homme.
10:11 Publié dans Autour d'un mot | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : vision, voir, cécité, aveuglement, courage
15/02/2015
Les trois Rollei
cliché M.Pourny
Quelques publicités:
archives M.Pourny
18:43 Publié dans Photographie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : rolleiflex, publicité
06/02/2015
Le Rollei Magic II
Appareil reflex bi objectifs qui produit 12 clichés 56 x 56mm sur une pellicule 120 type Ilford PanF ou FP4 encore disponible aujourd’hui. C’est tout l’intérêt du Rolleiflex, sans qu’il soit un cas unique : à ma connaissance qu’ils soient de format 6x6, 6x7 ou 4,5x6, tous les appareils de moyen-format produits après les années cinquante sont opérationnels aujourd’hui, à condition bien sûr que leur état mécanique le permette.
cliché M.Pourny
Le boîtier (hauteur 140mm, largeur 85mm et profondeur 105mm) est comparable en dimensions à un reflex 24x36 type Pentax Spotmatic de la même époque (140 x 95 x 95mm avec objectif standard). Il est entièrement métallique, donc assez lourd, mais se tient bien en main, suspendu par sa courroie à hauteur de poitrine.
cliché M.Pourny
L’objectif de prise de vues est un Schneider Xenar de 75mm ouvert à 3,5. Diaphragme jusqu’à 22.
L’objectif de visée est un Heidosmat de même ouverture, et bien sûr de même focale.
Plusieurs accessoires peuvent s’adapter sur la baïonnette des deux optiques, bouchons, paresoleils, filtres, bonnettes d’approche, lentille à portrait, dispositifs grand-angle ou téléobjectif.
L’obturateur Prontormat-S fournit les vitesses depuis le 1/30s jusqu’au 1/500°, plus la pose B. Il est central comme sur tous les Rollei bi objectifs et permet donc la synchronisation au flash à toutes les vitesses.
Sur le devant de l’appareil, à gauche et à droite, de chaque côté des objectifs, deux boutons rotatifs. Celui de gauche (en regardant le sujet) commande la mise au point, couplée pour les deux optiques. Mais contrairement au Rollei classique la platine frontale qui supporte les objectifs reste fixe. Le système optique se déplace à l’intérieur de celle-ci. Sans accessoire, la mise au point s’étend de 1m à l’infini.
Le deuxième bouton rotatif commande l’exposition. La position « Automatique » se justifie dans la plupart des cas, c’est tout l’avantage de cet appareil. Pour une utilisation plus créative, ou manuelle si l’on préfère, vitesses et diaphragme peuvent être déterminés séparément par une pression au centre de ce bouton. Si d’après la sensibilité du film et l’indication du posemètre, le réglage requis est : 1/30°s à f :11 et qu’on juge la vitesse trop lente, il suffit de tourner le gros bouton, la fenêtre indique 1/60° à f :8, puis 1/125° à f :5,6 et ainsi de suite. Diaphragmes et vitesses sont couplés, aucune erreur possible.
La fenêtre du posemètre est située au sommet de la platine frontale. On peut lire les indications sur le dessus de l’appareil, un petit bouton moleté pas très pratique permet de régler la sensibilité du film utilisé, de 12 à 1600 ISO. Lors de la mesure, une aiguille indique l’indice de lumination (1) sur une échelle de 8,5 à 18. Il suffit alors de reporter cette valeur au centre de la fenêtre latérale (à main droite), pour que le couple vitesse/ouverture requis s’affiche. Rien de plus simple. Mais en pratique, cela implique une manipulation de l’appareil, car si vous le portez au cou verticalement comme on doit le faire, il vous faudra, pour lire les indications affichées sur le côté droit, soit vous contorsionner, soit le prendre à pleine main, le soulever horizontalement, puis après lecture, refaire le cadrage… Par contre, en mode automatique, aucune difficulté, en photographie en lumière artificielle non plus, il suffira de déterminer une fois pour toute l’ouverture en fonction de la distance et du nombre guide du flash. La glissière pour fixer le susnommé se trouve sur le côté gauche de l’appareil. Et là, mystère… Je ne l’ai jamais utilisée, et j’aimerais un jour connaître son usage, car la prise pour la connexion du flash se trouve en plein milieu de cette glissière ! J’utilise donc une barrette sur laquelle je fixe le Rollei et le flash électronique, les deux connectés par un câble.
La visée se fait par le dessus, à hauteur de poitrine. On soulève le capuchon, découvrant le verre dépoli (quadrillé pour le contrôle des lignes, utile en architecture entre autres) bien protégé de la lumière incidente par les hauts volets latéraux. Le grain du dépoli est fin, l’image renvoyée par le miroir lumineuse, mais bien sûr inversée gauche-droite. Pour les sujets en mouvement, des enfants qui jouent ou qui courent par exemple, cela demande un peu d'habitude. Certes, on peut procéder différemment, en utilisant le viseur « sportif » : en ouvrant le petit volet dans la plaque supérieure du capuchon, en approchant l’œil du petit oculaire ouvert dans la partie arrière, le cadrage de la photo est possible…en gros. Seul avantage : l’image n’est plus inversée ! Mais alors attention à la parallaxe (voir Lubitel et Rollei Standard) au moment de déclencher, surtout pour les vues rapprochées, penser à incliner l’appareil vers le haut. Inconvénient inconnu des reflex mono objectif : cette foutue parallaxe. Ceci dit, le miroir fixe a aussi un avantage : le déclenchement est pratiquement inaudible et sans vibrations.
L’armement : un tour de manivelle, et on la ramène à la butée. L’avancement du film à la vue suivante est effectué du même coup, on ne s’embarrasse donc pas pour lire les numéros des vues à travers une petite fenêtre rouge comme sur les vieux Rollei ou les Lubitel.
cliché M.Pourny
Le chargement se fait comme sur tous les reflex 6x6 bi objectifs, la photo nous montre deux Rollei dos ouvert. A noter quand même sur cet appareil la qualité de construction, la précision et l’ajustage des rouleaux, du presse film, de la fermeture du dos, on baigne dans la Deutsche Qualität…des années soixante en plus !
La beauté de l’étui en cuir est à la hauteur de celle de l’appareil, un coup de cirage et c’est reparti comme en 60. J’ai pris des photos avec cet appareil, mais seulement de mes petits enfants. J’m’en vais t’ressortir l’bijou de la vitrine, et faire du paysage. Je montrerai cela un jour. Jusqu’à présent, sauf pour le vieux Rollei (tirage à refaire), j’ai toujours tenu mes promesses. Je vais faire un effort pour animer ce blog plus régulièrement, je ne sais pas vous, mais avec l’âge on devient paresseux. Allez, à bientôt, amoureux des belles choses !
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Pour qu’un cliché soit correctement exposé, chaque point de l’émulsion sensible doit recevoir une certaine quantité de lumière. C’est la lumination. L’indice de lumination dépend de deux facteurs : l’intensité de la lumière reçue par le film, et la sensibilité de celui-ci. Exemple, temps gris, il pleut. Je lis sur le cadran du posemètre du Rollei :
pour un film d’une sensibilité de 400 iso, indice : 13 ; exposition conseillée pour 1/60°: f 11
pour un film d’une sensibilité de 200 iso, indice : 12 ; exposition conseillée pour 1/60°: f 5,6
pour un film d’une sensibilité de 100 iso, indice : 11 ; exposition conseillée pour 1/60°: f 4
15:34 Publié dans Photographie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : appareil reflex 6x6, rolleimagic