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08/01/2015

Hommages

 

 

Sous le choc, il faut surmonter sa colère, mauvaise conseillère. 

Respect pour les victimes, leurs proches qui sont dans la douleur. 

Hommage au journal, drapeau de la démocratie. 

Hommage aux artistes qui dessinent leurs idées avec talent et courage. 

Hommage à deux policiers qui ont perdu la vie dans l'accomplissement de leur mission. 

Hommage à ceux qui étaient là, invités. 

Hommage à ceux qui étaient là comme l'agent d'entretien hier. 

Hommage à ceux qui se battent, hommage au journal danois Jyllands-Posten, hommage au dessinateur Kurt Westergaard. 

Hommage à ceux qui s'étaient manifestés pour défendre la liberté de la presse quand Charlie Hebdo fut traduit devant le tribunal correctionnel de Paris en février 2007. 

Hommage à tous ces journalistes, ces dessinateurs, ces patrons de presse qui demain, après-demain, bientôt, publierons et à la une le dessin d'un prophète avec une bombe sur la tête en guise de turban. 

Je suis Charlie.

 

 

 

10:20 Publié dans portraits | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : charlie hebdo

03/01/2015

Culture obligée ?

 

On me téléphone. C'est gentil, pour avoir des nouvelles. Je n'aime pas trop en donner des nouvelles, rien que le mot m'énerve, en général elles sont mauvaises, il faut pourtant dire qu'elles sont bonnes. Ah tu es allé au cinéma ? Oui pour voir « Camping ». Quoi ? Toi tu vas voir ce genre de film ? Tu plaisantes ou quoi ? 

 En général j'en rajoute : « excellent film, comique certes, mais aussi peinture intéressante des rapports humains ». 

 Silence au bout du fil. Je n'aime pas ce silence, je sais que je vais être catalogué et rangé au fond d'un tiroir. 

 Le 18 octobre 2014, après l'affaire de la structure gonflable, œuvre de Paul McCarthy de 24 mètres de haut dressée au milieu de la place Vendôme, qui avait été dégonflée dans la nuit par des inconnus, l'adjoint à la culture de la mairie de Paris est à la radio. Il défend l’œuvre, ainsi que la liberté artistique. Il condamne cette dégradation, mais dans son discours deux mots retiennent mon attention. S'en prenant aux adversaires de l’œuvre, il évoque une "vision populaire naïve". Pourquoi populaire ? Qu'est-ce que le peuple vient faire ici ? 

 A la radio, rubrique culturelle : on classe spectacles, concerts, théâtres, films et livres, en précisant à quel public ils sont destinés. Ceux qui classent ainsi sont les gens avisés, avertis, instruits, fins, réfléchis, distingués, délicats aussi car incapables de mépris vis à vis de ceux qui n'ont rien de tout ça et qui se pressent, foule innombrable perdue pour la « culture » aux grilles des spectacles classés « grand public », bref le peuple. 

 Pauvres de nous qui osons rire de la Grande Vadrouille ou du Corniaud, qui préparons un avenir pitoyable à nos enfants en les livrant une journée entière à la culture Disneyland, qui nous plantons devant les jeux télévisés, qui suivons assidûment les feuilletons américains scotchés devant la chaîne de droite TF1, qui remplissons les stades en chantant faux des hymnes incompréhensibles, oui pauvres de nous. 

 Ceci dit, pourquoi aurions-nous honte ? Pourquoi serions-nous ridicules en disant qu'on s'est ennuyé pendant un long métrage de Fellini ? Ridicules en disant qu'on a regardé dix fois Il était une fois dans l'ouest ? Où commence et où s'arrête la liberté d'aimer ou de ne pas aimer ? De rire ou de ne pas rire ? D'être touché ou de ne pas l'être ? Qui pourra me dire cela ? Me dire ce qui est sublime et ce qui ne l'est pas ? 

 Rappelez-vous. On a vu dans le passé des dictatures pleines de bonnes intentions qui faisaient tout ce qu'elles pouvaient pour éduquer leurs administrés. On leur disait ce qui était bien, ce qui était mal. Ce qu'il fallait lire, ce qu'il ne fallait pas. Il y avait la bonne culture, il y avait la mauvaise. Pardon, la mauvaise n'était pas proposée, elle avait pris le chemin de la Sibérie et finissait ses jours entre deux rangées de barbelés. Vous riez ? Vous dîtes qu'on n'en est pas là ? Certes, mais je me dis en écoutant certains de mes contemporains, qu'il suffirait de peu de choses. 

 Je reste persuadé que les artistes, ceux qui ont vécu et qui ont quelque chose à dire, à montrer, à faire entendre, que les artistes s'adressent à tout le monde, sans distinction d'origine, de couleur de peau, de classe sociale. L'art appartient à tout le monde, et si certains doivent avoir honte, ne les cherchez pas dans le public que nos conseillers en culture qualifient de grand avec mépris, mais parmi ces boursicoteurs qui cachent de grandes œuvres dans leur chez eux, à l'abri de l'impôt. 

§  

23/12/2014

Qu'elle est loin cette gare!

 

Vous est-il déjà arrivé d'être pressé, de tenter d'atteindre la gare à la limite du pas de course en évitant autant que faire se peut les rencontres dangereuses, voisins, cousins, amis, tous plus bavards les uns que les autres, qui sans le vouloir et avec les meilleures intentions du monde risquent de vous faire rater le train? 

La marche à pied est un délice pour celui qui veut méditer, penser, construire, refaire le monde. A bicyclette ou en voiture, ce n'est pas possible, ça va trop vite, ce sont des modes de déplacement incompatibles avec la flânerie. Allez reconstruire le monde alors qu'un connard vous colle à 50 centimètres parce que vous ne roulez qu'à 30 kmh en ville à l'heure de la sortie des écoles! Non, si je me rends à la gare, ce sera à pied. Je vais pouvoir ruminer. Elle est à un kilomètre et demi, j'ai le temps de gauler à la frontière suisse les malhonnêtes qui tenteraient de mettre leurs richesses à l'abri de l'impôt, de traduire en justice les criminels de guerre, de redonner du travail à celles et à ceux qu'on a gentiment remerciés après des années de loyaux services contre un salaire de misère, de distribuer des jouets de noël aux enfants hospitalisés pour longtemps, de les amuser, de leur montrer qu'il y a du monde qui pense à eux, de dire aux religieux que leur dieu ils peuvent se le mettre quelque part... 

...et patatras ! Voilà David au bout de la rue, et il m'a vu. Catastrophe, c'est le plus bavard des gens que je connais, je peux dire adieu au train de 37. Comment pourrais-je ruser avec cet homme qui est de tous celui que j'admire, qui me fait monter les larmes chaque fois qu'il me parle. Il m'appelle Michel et pourtant je ne l'ai rencontré qu'une fois dans une clinique de rééducation. Il fut rafflé pendant la guerre. Arrivé au terminus à Auschwitz, les SS avaient fait monter tout le monde dans le camion(1), mais avant de fermer les portes, un des gardes en uniforme avait fait redescendre le garçon, pour en faire monter un autre à sa place, allez savoir pourquoi? Le reste de la guerre ne fut pas pour lui une partie de plaisir, mais il eut la vie sauve. Il me racontait tout cela, et bien d'autres choses, ce type était captivant, d'une intelligence et d'une sensibilité rare. David! 

Oui quand je suis pressé, je ne tiens pas à rencontrer des gens intelligents, je préfère en croiser d'autres, ils sont des milliers avec lesquels je n'ai rien à partager. Mais ce jour-là, quand il faut se rendre à Paris, que la boutique qui vend du papier photographique ferme à 12h30, et que le train de 37 risque de vous passer sous le nez, il vaut mieux croiser des gens à qui vous n'avez rien à dire. Mais la malchance s'acharne. Vous allez me dire, si l'individu dangereux est au bout de la rue, vous aurez peut-être le temps de changer de trottoir? Oui, sauf s'il n'apparaît pas au bout de la rue, mais par surprise à un carrefour, qu'il débouche de cette ruelle imprévisible, et que vous vous trouviez nez à nez avec cette femme dont l'enfant est hospitalisé pour longtemps, oh qu'il doit s'ennuyer là-bas sans personne pour l'amuser, sans voiture elle ne peut s'y rendre qu'en bus, mais ses autres petits ont aussi besoin d'elle, et comme vous le savez, les femmes font des enfants toutes seules, les hommes ont des occupations très importantes, ils ne peuvent pas être au four et au moulin. Qui osera me dire que -pour être à l'heure à la gare et simplement pour l'achat d'une boîte de cent feuilles de papier photographique- je devrais ignorer cette personne et me contenter de lui adresser un sourire, cette femme que je ne reverrai sans doute jamais, et qui pensera qu'après tout c'est normal que chacun s'occupe de ses affaires, que j'ai d'autres chats à fouetter, des choses plus essentielles que de m'enquérir de la santé d'un enfant dont les médecins ne savent ni n'espèrent rien. 

Une chance enfin pour moi, je ne risque pas une rencontre avec Peter. Il est loin de l'autre côté de la Manche en Irlande. Ce serait quand même étonnant qu'il surgisse au coin de la rue, outre le fait qu'il est à des jours d'ici, il doit avoir maintenant dans les cent vingt ans, pauvre Peter qui aimait la France au point d'y avoir laissé son fils en juin 44, et qui pleurait quand il apprit que j'étais de là, français, de ce pays qu'il fallait aider et libérer des barbares. Son fils il ne l'a jamais revu, même pas son corps. Peter! Comment pourrais-je seulement écrire que je ne souhaite pas le rencontrer. Peter, si de là-haut où je crois que tu es, si de là-haut tu lis ces lignes, tu vois que je pense à toi et que l'idée de ne pas te rencontrer m'est insupportable. Quand nos regards se sont croisés, j'ai su que ce n'était pas un hasard, et que c'était pour toujours. Peter! 

Il y a ceux que je ne croiserai plus jamais. Michel, allez je peux dire son nom, Laurent. Nous avions vingt ans, nous étions révolutionnaires, lui encore plus que moi, lui il l'était vingt quatre heures sur vingt quatre, avec un handicap: pour avaler quelque chose, il lui fallait mastiquer pendant des heures car étant enfant, il avait bu une gorgée de soude chez lui, au sous-sol là où étaient entreposés des produits dangereux. Un jour, c'est la bourde de ma vie, nous étions en camping avec des copains, et nous nous étions ce jour-là bien amusés, je lui dis, mais comment cette parole m'est-elle venue à l'idée? Je lui dis que nous aurions de ce jour de bons souvenirs! Imbécile que je suis! Il devait quelque temps après subir une opération de l’œsophage, opération prévue depuis longtemps je le savais, qui ne pouvait être réalisée qu'au terme de la croissance. Il m'a envoyé balader, en me disant que les souvenirs il n'en avait rien à foutre. Quelques jours après l'opération, il mourut d'une septicémie. Michel! 

Et puis Catherine, pour moi c'était Menie. Une grand-mère comme il n'y en a pas beaucoup, employée agricole en Auvergne, elle ne connut pas souvent les bancs de l'école. Elle vint à Paris pour des ménages et gardiennage, elle était fière de m'annoncer qu'elle avait rencontré Marcel Aymé. Elle passa des examens puis fut embauchée comme soudeuse autogène chez Técalémit. Syndiquée et très active, elle participa aux mouvements de grève en 1936. Active mais responsable, elle combattit autant les patrons que les ouvrières pour qui la grève était l'occasion d'un défoulement, faisant du strip-tease debout sur les machines. Trente deux ans après, pour contredire l'adage selon lequel la sagesse vient avec l'âge (ce qu'on appelle la sagesse, c'est la lâcheté qui nous prend à tous les âges, mais qu'on ne déclare que lorsqu'elle est excusable) elle fut solidaire des grandes grèves et du mouvement étudiant. Là où elle est maintenant, cela ne m'étonnerait pas qu'elle serre les poings en voyant ce que les dirigeants du mouvement ouvrier sont devenus. Menie! 

Sur le chemin de la gare, je ne verrai pas non plus tous ces amis que les années, la vie et la paresse ont éloignés de moi. 

Je ne te verrai plus Jean-Bernard, mon ami. Si là-bas il pouvait y avoir un train en partance pour toi, plus personne, pas un David, un Peter, un Michel, pas même Menie ne pourraient m'arrêter. Un jour je le prendrai ce train, et crois-moi j'arriverai à l'heure dans cette foutue gare triste comme un jour sans pain. Jean-Bernard!

 

§ 

 

 

  1. les gens étaient asphyxiés à l'intérieur par un système de retour des gaz d'échappement.

 

 

 

09:03 Publié dans Jean-Bernard | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : rencontre, amitié